Acouphènes : il faut sortir du silence !
par pierre luton
jeudi 11 mars 2010
Souffrir d’acouphènes, c’est entendre des bruits 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 que personne d’autre ne perçoit. C’est un phénomène physique, réel, qui peut devenir très envahissant et toucher des personnes âgées ou jeunes. Quand les acouphènes s’installent durablement, la personne qui les subit rentre dans une situation qui peut se révéler très handicapante au quotidien.
À partir des études réalisées chez nos voisins, on peut projeter que, dans notre pays, environ 4 % de la population souffrent d’acouphènes en permanence : soit 3 millions de personnes environ dont 200 à 300 000 personnes qui vivraient une forme grave de cette affection.
Comment vivre avec ?
Les personnes atteintes d’acouphènes commencent à sortir du silence. Depuis plusieurs années, l’association France- Acouphènes se bat pour faire reconnaître cette affection. Sylviane Chéry-Croze, neuro-physiologiste, est à l’origine de la création de l’association France-Acouphènes.
Comment vit-on avec des acouphènes ?
S.C.-C. : Il existe différents types d’acouphènes. Certaines personnes ne sont pas plus gênées que cela ; d’autres, plus rarement, les jugent si insupportables que, dans les cas extrêmes, elles seraient tentées de se supprimer. Il faut souligner que, dans cette pathologie, les facteurs émotionnels comptent beaucoup et amplifient la gêne engendrée.
Existe-t-il des solutions ?
S.C.-C. : Aujourd’hui, on ne peut agir sur la cause. On propose donc aux patients qui en ont besoin, d’intervenir sur le retentissement que peuvent avoir ces acouphènes sur leur vie. Pour ceux qui souffrent d’une perte auditive, l’appareillage peut leur permettre de compenser et de réduire les acouphènes. Il faut surtout tout faire pour éviter aux patients de se murer dans le silence et de s’isoler. C’est dans le silence que l’on entend le plus les acouphènes. De plus, les gens ont besoin de se rencontrer, de s’informer, de rompre leur isolement, de comparer leur cas et de relativiser leur situation. Par ailleurs, puisque ces patients entendent des bruits qu’ils perçoivent comme menaçants, ils leur prêtent trop d’attention. Pour tenter de les soulager, la thérapeutique consiste aussi à informer, à expliquer, à supprimer les idées fausses et à changer les comportements inadaptés pour que ces patients puissent accorder moins d’importance à ces bruits et les mettre à distance. On utilise des thérapies cognitives et comportementales ou même l’hypnose.
Qu’en est-il des traitements ?
S.C.-C. : Les seuls traitements s’attaquant vraiment aux causes, sont encore en phase d’essai : on attend des résultats d’ici 2 à 4 ans.
Est-ce une affection réversible ?
S.C.-C. : Il ne faut pas donner de faux espoir. Par expérience, on peut dire que les bruits perçus par les patients peuvent s’atténuer ; disparaître complètement, c’est rare.
Longtemps, les acouphènes ont été accueillis avec déni et tabou...
S.C.-C. : Il y a une vingtaine d’années, beaucoup de médecins classaient encore les acouphènes dans la catégorie des hallucinations. Mais, depuis, avec l’imagerie médicale, on a démontré qu’il s’agissait d’un phénomène bien réel. Une activité auditive aberrante qui fait suite à un trouble (stress, choc, perte auditive…) en est responsable. Quand cette activité parvient au cerveau, elle provoque une sensation sonore
Plusieurs causes possibles
Il existe plusieurs facteurs qui peuvent déclencher des acouphènes comme la surdité, un choc acoustique voire physique, le stress et bien d’autres. 90 % des personnes acouphéniques présentent au moins une petite perte auditive. Les acouphènes peuvent être une des conséquences de la perte auditive liée au vieillissement. Ils touchent aussi de plus en plus un public jeune à l’audition dégradée, surexposé au bruit au travail ou dans les loisirs. Il ne faut pas négliger le rôle du stress. Les chercheurs ont pu le mettre en évidence chez l’animal. Sous l’effet du stress, on peut devenir hyper vigilant à tout et donc hypersensible aux stimuli. Le cerveau lui-même prend en compte des bruits qu’il négligeait jusque-là.
Besoin de parler
Dominique Dufournet, vice-président de France-Acouphènes, revient sur les informations, les exemples et la réassurance que l’on peut entendre dans cette association et sur la ligne téléphonique en particulier.
Notre premier combat, c’est la reconnaissance !, s’exclame Dominique Dufournet, vice-président de France-Acouphènes. C’est ce que réclament les personnes qui souffrent d’acouphènes, nos adhérents, ceux qui nous appellent... Quand un salarié ne peut plus supporter le bruit au travail et que sa direction continue à le laisser à son poste, ce n’est pas normal. Je connais une dame qui est téléopératrice et qui enchaîne dépression sur dépression. Je connais un agent SNCF qui ne peut pas porter de protection car il doit entendre le sifflet qui l’avertit du passage d’un train. Vous ne croyez pas qu’on pourrait songer à remplacer ce sifflet par un vibreur par exemple ? Mais dans ces cas-là, comme dans d’autres, les responsables font la sourde oreille. C’est encore plus compliqué lorsque les acouphènes sont directement liés à une situation de harcèlement ou de stress professionnel. Qu’est-ce qu’on attend ? On comprend désormais pourquoi 70 % des personnes qui nous appellent ont d’abord besoin de parler, de vider leur sac et de s’informer. Une fois qu’ils se sont exprimés, que doivent-ils savoir ? La première chose, lorsque l’on a des acouphènes, c’est d’aller faire un bilan complet pour voir quelle stratégie l’on peut mettre en place. L’essentiel, c’est de parler, c’est de trouver un lieu accueillant comme le nôtre qui permette de redémarrer du bon pied. Malheureusement, ceux qui reçoivent un mauvais accueil au début ont plus de mal à vivre avec leurs acouphènes. Il faut ajouter que de nombreuses personnes nous appellent pour parler de leur perte d’audition. C’est encore un sujet tabou en France. Il n’existe pas de structure de parole pour ces personnes et elles sont plutôt négligées quand on sait que les prothèses sont encore très mal remboursées ! »
Droits
Un symptôme de maladie professionnelle
Le tableau numéro 42 du régime général des maladies professionnelles prend en compte l’éventuelle présence d’acouphènes lorsqu’il y a perte d’audition. Un décret de 1963 a institué le tableau numéro 42 du régime général des maladies professionnelles, destiné à reconnaître et prendre en charge l’ « atteinte auditive provoquée par des bruits lésionnels sur le lieu de travail ».
Ce tableau permet aux personnes qui sont soit fréquemment exposées au bruit, soit ponctuellement soumises à des bruits très élevés de voir prise en charge au titre de la législation professionnelle la perte irréversible d’audition qu’elles peuvent subir. Il permet une reconnaissance de la perte d’audition pour raison professionnelle, ainsi que la présence d’acouphènes, mais il ne permet pas encore de reconnaître la seule présence d’acouphènes, en dehors de toute perte d’audition. Malheureusement, de trop nombreux salariés exposés au bruit négligent de prendre en compte les acouphènes qui sont les signes annonciateurs d’une éventuelle perte irréversible d’audition. Si votre travail vous expose au bruit et si vous souffrez d’acouphènes, n’attendez pas pour consulter !
Dossier réalisé par Pierre LUTON
Article paru dans le journal de la FNATH, "A part entière" (janvier 2010). Pour en savoir plus : www.fnath.org