Actimel : pas un yaourt, un médicament !

par gerlando
mardi 2 juin 2009

Avril, ne te découvre pas d’un fil…
Mai, fais ce qu’il te plaît !

Les saisons sont toutes puissantes. Elles rythment nos conversations, nos habitudes et surtout notre consommation.
Le phénomène est facilement observable à la télévision. Allergies au pollen, rhinites virales, épidémies de gastroentérite… A chaque saison ses maladies ; les annonceurs adaptent leur discours en conséquence.

Il est une marque qui, pourtant bien loin de l’industrie pharmaceutique, a adopté cette saisonnalité publicitaire. Il s’agit de Danone, qui pour faire la promotion de ses bouteilles d’Actimel, a réalisé des clips pour chaque période de l’année. En ce moment, nous pouvons voir celle dédié au printemps et à ses températures changeantes. Le discours est simple : face aux irrégularités du thermomètre, il faut aider l’organisme et nos défenses naturelles. L’hiver dernier, nous pouvions voir cette autre publicité :

Le schéma est toujours le même. On commence par exposer la menace ; les dangers de la saison. Puis l’on glisse vers la solution, appliquée par un individu qui se distingue de la masse par sa guérison.

Ces campagnes de publicité qui s’adaptent aux saisons sont le symbole du produit phare de Danone, Actimel, l’une des plus ingénieuses réussites marketing mises en place pendant les années 2000.

Pas un yaourt à boire, mais un alicament…

Il existe un lien fort entre l’alimentaire et le médicinal dans l’esprit du consommateur. Selon une étude du CREDOC, une très large majorité de l’opinion croit en une interdépendance entre l’alimentation et la santé [1]. Le marché s’oriente vers cette concentration, depuis plusieurs années. Selon le Crédoc, les consommateurs “recherchent non seulement des produits bons, mais surtout des produits sains “. D’où l’émergence de nouveaux produits, de nouveaux arguments de vente… et d’un nouveau concept marketing ; le “nutraceutical”, contraction de “nutrition” et de “pharmaceutical”. En français, on parle d’alicament (aliment/médicament). Il s’agit d’aliments susceptibles d’avoir des effets positifs sur l’organisme, et vendus comme tels. L’utilisation du terme n’est pas soumis à des obligations légales particulières. Ainsi, chaque entreprise commercialisant des aliments peut les vendre sous l’étiquette flatteuse “d’alicaments” ou “d’aliments nutraceutiques”.



Actimel s’est fait la figure de proue de cette mouvance marketing en France. La base de son argumentaire “médicinal”, Actimel la puise dans le “L.Casei Defensis”. Il s’agit d’une bactérie dont le vrai nom est “Lactobacillus casei DN 114 001″. Danone a choisi de renommer cette bactérie “L.Casei Defensis” pour sa publicité et sa communication. A la suite du terme “casei”, Danone a rajouté l’expression pseudo-latine “defensis” et s’est servi du nouveau terme obtenu comme d’un slogan médicinal toujours accolé au nom “Actimel”. Cette bactérie est vendue par Actimel comme aidant l’intestin et son système immunitaire à se défendre contre les mauvaises bactéries. L’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments ) a confirmé [2] que “la souche Lactobacillus casei DN-114 001 a des effets sur la flore intestinale, les cellules épithéliales et sur quelques paramètres du système immunitaire muqueux et intestinal”. Cependant, pour que les effets bénéfiques du produit se fassent sentir, 200 à 500 mL par jour doivent être consommés, ce qui est loin des 100 mL journaliers (le contenu d’un flacon) préconisés par la publicité de Danone. En dehors du “L. Casei Defensis”, Actimel est un yaourt normal, à base de lait fermenté. C’est donc sur sur cet unique argument qu’Actimel développe sa stratégie de différentiation produit, “justifiant” un prix très élevé (environ cinq euros le litre) par une substance pseudo-médicamenteuse. Selon Libération, “le directeur du marketing d’alors, Bruno Meurisse, n’en revient pas d’« avoir vendu autant de lait aussi cher »”. Sur son blog, Laure Quéritet analyse comme suit la composition d’un flacon d’Actimel : “les 94 ml d’Actimel contiennent 10,5 g de glucides, soit l’équivalent de 2 sucres (autant que dans 100 ml de Coca). On trouve aussi 2,8 g de protéines et 1,6 g de lipides, contre respectivement 3,9 g et 1 g dans un yaourt nature. Bilan ; pour un prix très nettement supérieur à un yaourt normal, vous vous retrouvez avec moins de protéines et beaucoup plus de sucre et de gras”.

Une segmentation multi-niches

Tout, dans l’élaboration d’Actimel, a été articulé autour de ce concept “d’alicament”.
Le nom - “Actimel” commence comme “actif” et se termine par une douce envolée (”mel”). Une première partie pour annoncer le médicament, une seconde partie pour rassurer et donner l’impression du consommable, de l’innofensif.
Packaging - Le contenant est une petite fiole aux bords arrondis. Les mini-bouteilles d’Actimel sont conçus comme de véritables petites potions “magiques”. On cultive par là le mythe médicamenteux du produit que l’on consomme une fois par jour, comme s’il était prescris. Les couleurs sont douces et claires. Le bleu domine.
L.Casei Imunitass – Sur ses bouteilles, Danone s’accorde parfois une autre excentricité terminologique : “L.Casei Defensis”, déjà largement fictif, devient “L.Casei Imunitass”. On va plus loin dans l’affirmation ; Actimel ne fait pas que défendre l’organisme, il l’immunise.

Dans un article dédié à la construction de la marque, le JDN nous apprend qu’Actimel n’a pas toujours été victorieux sur le marché. A la base, le produit était vendu à une tranche réduite de la population ; les jeunes actifs. En 2002, avec son plan de relance, Danone réimplante la marque par des publicités “multi-niches”. On s’attaque maintenant cycliquement à chaque segment de consommateur : enfants, jeunes et seniors. Le discours est adapté pour chaque segment, et le marché entier est arrosé, par vagues successives.

Dans son rapport d’activité 2007 [3], Danone révèle qu’Actimel “dépasse le milliard d’euros de chiffre d’affaires et a poursuivi son envol avec une forte croissance (+ 13%)”. Actimel est une locomotive pour Danone, qui qualifie la marque de “blockbuster”. Plus de 10% du chiffre d’affaire réalisé par Danone dans le monde en 2007 est effectivement imputable à Actimel.

Un produit symbole de la stratégie du groupe Danone

Ces dernières années, Danone s’est lancé dans un processus de diversification produit, faisant d’Actimel non plus un simple produit aux yeux du consommateur, mais une gamme, un label. Danone a mis sur le marché l’Actimel 0% et différentes déclinaisons aromatisées. En jetant un œil à la liste des produits lancés par Danone ces dernières années, on constate une vraie tendance alicament. Plus largement, Danone mise sur une stratégie de différentiation produit, avec des yaourts et boissons aux prix élevés, qui sont vendus sur la base d’un concept spécifique. Par exemple, Danacol aiderait à lutter contre le cholestérol, Activia et son “bifidus actif” faciliteraient la digestion.
Danone propose des produits pour chaque segment du marché. Par cette stratégie de diversification produit poussée, Danone s’assure présence et combativité pour chaque segment sur les marchés des produits laitiers, de l’eau et, plus récemment, de la nutrition infantile et médicale. Les quatre “blockbusters” de Danone couvrent tout le marché : Vitalinea et Activia ciblent les femmes, Danonino les enfants et Actimel, l’ensemble du marché par ses publicités multi-niches.

Dans son document de référence 2008 [3], Danone communique : ” Cette stratégie axée sur les blockbusters est primordiale dans un contexte marqué par (i) l’accroissement des préoccupations autour de la santé, (ii) la perception accrue des consommateurs sur les bénéfices santé et (iii) la réduction du coût des matières premières”. Danone veut accroître ses bénéfices en agissant sur deux facteurs :

- la hausse de la valeur perçue côté consommateur (les produits sont perçus comme étant de qualité, ce qui justifie leur prix élevé)

- la réduction des coûts des matières premières (baisse des coûts de production)
Par ces deux effets conjugués, Danone peut espérer maintenir sa forte croissance et s’affirmer durablement en tant que leader mondial.

Combattre le doute par la caution


La chasse au doute, images prises sur le site officiel d’Actimel France

Actimel est un produit qui doit susciter la confiance. Ses performances en terme de vente se mesurent à l’efficacité de son argumentaire. Danone doit parvenir à faire croire au consommateur que son produit propose quelque chose d’unique. Actimel doit se distinguer par une “high perceived value”, une forte valeur perçue par le consommateur. Ainsi, l’objectif est de faire intégrer aux consommateurs Actimel à la fois comme un geste santé et comme une habitude quotidienne. Pour faire la chasse aux sceptiques et enfoncer le clou planté par les multiples campagnes publicitaires, Actimel déploie un éventail d’arguments et de cautions impressionnant.

L’AFSSA – Actimel met souvent en avant le fait que “l’AFSSA a estimé qu’ “Actimel participe à renforcer les défenses naturelles de l’organisme” est scientifiquement justifié”. Danone a su se montrer optimiste dans l’utilisation du rapport de l’AFSSA en en exploitant la seule affirmation non rejetée par l’organisme de contrôle. Dans le rapport proposé par l’AFSSA, on peut lire la liste des affirmations “scientifiquement” rejetées [2] : “Les 9 allégations « aide votre barrière intestinale à se renforcer », « aide à la régulation du système immunitaire », « contribue au bon fonctionnement du système immunitaire », « aide à renforcer le système immunitaire intestinal », « aide le corps à bien se défendre », « contribue à rendre le corps plus résistant », « aide à protéger votre corps », « aide votre intestin à repousser certaines bactéries indésirables », « aide votre corps à lutter contre certaines agressions du quotidien » sont soit imprécises, soit non justifiées scientifiquement. L’allégation « participe à renforcer les défenses naturelles de l’organisme », remplaçant l’allégation « aide à renforcer les défenses naturelles », est justifiée”.

Il est à constater que l’affirmation laborieuse selon laquelle Actimel “participe à renforcer les défenses naturelles de l’organisme” est un slogan applicable à bien des denrées alimentaires.


Capture d’écran de l’un des articles Doctissimo ventant l’efficacité des produits Actimel, entrecoupé d’une publicité du groupe Danone

Doctissimo - Autre caution d’importance, Doctissimo, le site sur la santé le plus visité de la Toile francophone. Doctissimo est contrôlé par Lagardère Active, un groupe de média et de publicité. Le site est alimenté par une équipe rédactionnelle, composée de journalistes et de médecins. Actimel propose sur son site d’aller consulter les preuves de l’efficacité des petites fioles auprès de Doctissimo. En suivant le lien, on est renvoyé sur une page hébergée par Doctissimo qui présente un “publi-communiqué” d’Actimel, en réalité un tract publicitaire. Danone profite ici du flou possible entre les différents contenus – publicitaire et rédactionnel – publiés sur le site pour bénéficier de l’autorité en matière de santé que constitue Doctissimo aujourd’hui sur le Web. Mais les liens qui unissent Doctissimo et Actimel ne sont pas que publicitaires. Doctissimo a publié de très nombreux articles sur les “probiotiques” (les bonnes bactéries) depuis son contrat passé avec Actimel. Peu scrupuleux en matière de déontologie journalistique, Doctissimo ne parle que du probiotique contenu dans Actimel dans ses articles et vante le produit comme étant d’une efficacité incontestable. Doctissimo va même jusqu’à décliner la segmentation marketing d’Actimel journalistiquement. Dans l’article “Pas d’âge pour les probiotiques”, Doctissimo détaille en quoi Actimel leur semble parfait pour les enfants, les adultes et les seniors. Les articles de Doctissimo reprennent beaucoup des arguments des publicités Actimel, comme celui de l’hiver dangereux. Le site va même jusqu’à recommander aux “réfractaires du petit déjeuner” de prendre un Actimel chaque matin ! En tout, entre 2007 et 2009, six articles ont été publiés sur Doctissimo vantant les mérites d’Actimel. Une passion bien soudaine.

 

 

L’Institut Pasteur, Fred et Jamy – Danone communique beaucoup sur ses liens avec l’Institut Pasteur. Créé en 1919 à Barcelone, Danone s’est développé au début du 20ème siècle en produisant des yoghourts fabriqués grâce à des souches de ferment lactique fournies par l’Institut Pasteur. Danone tire aujourd’hui profit de ce lien historique en s’affirmant en tant qu’entreprise travaillant main dans la main avec les chercheurs… et vendre, sous cette caution, les petites fioles Actimel. Avec la publicité présentée ci-dessus, le message est particulièrement éloquent. Danone, par une main aimante, accompagne juste ce qu’il faut l’enfant, figure d’avenir, lui assurant ainsi le “petit geste” indispensable “pour avancer”. Actimel s’investit en ce moment dans l’opération du Pasteurdon, soutenue par les animateurs Fred et Jamy. Actimel a créé un site passerelle, quasiment vide de contenu, qui fait le lien entre Actimel et le Pasteurdon. Actimel, dont le crédo est celui de renforcer l’organisme, affirme soutenir “l’institut Pasteur dans ses recherches sur le Système immunitaire”. L’opération ne coûte quasiment rien à Danone et permet à Actimel de renforcer son image par de sérieuses cautions. L’Institut Pasteur est un monument de la recherche en France et les animateurs Fred et Jamy jouissent d’un capital image très fort ; les joyeux vulgarisateurs sont loin de tout mercantilisme, insoupçonnable.

L’IFOP – Les efforts d’Actimel ont payé. Un sondage commandé à l’IFOP en 2005 a révélé de bons résultats d’opinion, synthétisés avec style dans un communiqué. Dans les trois premiers chapitres de ce document, IFOP et Actimel reviennent sur des banalités largement acceptées par l’opinion : les consommateurs sont stressés, ils déclarent faire très attention à leur alimentation et consomment très régulièrement des produits laitiers. Ces évidences ne choquent personne. Ces trois premières phases ont pour but de mettre en confiance le lecteur et de créer un lien d’égalité dans la pertinence entre les différents chapitres. Le quatrième et dernier chapitre porte sur l’efficacité d’Actimel et révèle des statistiques toujours positives. Cette étude de satisfaction est une opération gagnant/gagnant en terme de développement pour Actimel et l’Ifop. L’opération a permis à l’IFOP de bénéficier de l’effet de publicité de la communication des résultats de l’étude par Actimel. Dithyrambique, l’Ifop titre une newsletter  : ” Vu à la Télé ! Depuis le 6 mars, l’Ifop est présent sur le petit écran en partenariat avec Actimel”. On peut lire dans cette dépêche que “la « Grande Etude Actimel – Ifop » a permis d’attirer 40% de nouveaux consommateurs”. L’opération a permis à Actimel de générer une boucle de renforcement positif. En communiquant sur les convaincus, Actimel convainc.

Le bombardement publicitaire

Dans chaque pays où ses produits sont commercialisés, Actimel déploie un véritable arsenal publicitaire à la télévision. Les angles d’approche sont différents d’un pays à un autre. Selon les marchés, le produit est vendu plus ou moins “sérieusement”.

En France, on mise tout sur l’aspect “alicament”. La publicité Actimel hiver, que vous pouvez revoir plus haut dans cet article, est entièrement bâtie autour du slogan “aide à renforcer les défenses naturelles”. Les publicités les plus récentes placent ce martelage dans le contexte doux et rassurant de la famille. Ce ne sont plus des individus lambdas croisés dans la rue que l’on prend pour sujet Actimel, mais les archétypes familiaux. L’une des publicités les plus diffusées dernièrement est celle où une grand-mère est informée par sa fille de la nature “fortifiante” d’Actimel. Ces publicités accueillent le consommateur dans le cadre familial avant de déployer l’argumentaire médicinal, s’assurant par là une adhésion plus confiante des consommateurs. Les déclinaisons de publicités à l’intérieur de la famille font intervenir tous les segments visés par Actimel : enfants, jeunes actifs et seniors.

A l’étranger, les points de vue sont parfois très différents. Pour l’Angleterre et la Pologne, on est allé dépêcher une star nationale.
En Pologne, c’est la présentatrice télé Martyna Wojciechowska qui a été recrutée pour faire la promotion d’Actimel. Pour l’Angleterre, une publicité met en scène Sir Robert Charlton, champion du monde anglais de football, véritable légende du sport dans son pays. La publicité cible évidemment les seniors et positionne Actimel comme un garant du bien-être et de la santé à tout âge. Affectivement, la réalisation s’appuie sur un cadre très national, celui de la jeunesse populaire anglaise.

Côté russe, on a carrément un parti-pris parodique, très loin de l’angle d’approche pour la France.

Une plate-forme vidéo a été montée par Danone pour le marché russe. L’objectif est visiblement de tirer parti des possibilités de campagnes “virales” et peu coûteuses offertes par Internet. En reprenant un thème très en vogue sur Internet, celui du pétage de plomb filmé, Danone a réalisé de petits clips où des acteurs jouent aux employés surmenés, qui, pour éviter de s’en prendre à leur collègue trop bavarde ou à la photocopieuse en panne, auraient dû se ressourcer avec un Actimel. Rien que sur Youtube, les vidéos ont été vues plusieurs dizaines de milliers de fois. La campagne a donc permis de toucher, en plus du public russe, les internautes du monde entier.

Danone s’est construit un avantage compétitif, par ses gammes de produits à forte identité et ses “alicaments”. Il reste désormais à maintenir cet avantage. Le principal danger pour l’avenir semble être légal. En plus de conserver positive l’opinion au sujet de ses produits, Danone va peut-être devoir affronter une nouvelle législation européenne sur la publicité des “alicaments” [4].

[1] L’étude du CREDOC est à lire en ligne
[2] L’étude de l’AFSSA est à lire en ligne.
[3] Télécharger les rapports annuels de Danone.
[4] Lire à ce sujet l’article de Libération, Actimel, fils de pub

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