Ah, la folie

par Philippe Stephan
lundi 6 octobre 2014

(Histoires vécues d’un infirmier) quelques extraits

Le mystère qui entoure la « maison de fous » ou comme la plupart des gens l’appelait l’asile psychiatrique, garde toujours ses secrets, ses tabous ; sauf pour ceux et celles qui y ont travaillé, et qui ont contribué à soulager les malades.

Voici donc quelques histoires vraies que j’ai grand besoin de révéler et ainsi briser le tabou du silence autour de ce sujet. Au début de ma carrière, l’effectif infirmier était pléthore par rapport à aujourd’hui, la formation était à la fois classique (somatique) et surtout psychologique. Nous apprenions aux côté des « anciens » qui nous encadraient pendant 3 semaines par mois, l’autre semaine étant consacrée au théorique.

A cette époque nous avions beaucoup plus de temps à consacrer aux patients, la base de toute relation soignante étant l’écoute et le respect de la personne.

Quotidiennement confrontés à cette violence verbale et physique, certains de nous avons pris des risques calculés et assumés affin d’entrer en communication avec ces malades en souffrance.

Souvent notre présence assidue et notre bienveillance à leur endroit suffisait à les apaiser, et faire connaissance…

Maintenant, passons au concret, au vécu par quelques petites histoires de ma vie avec les fous !

Récemment diplômé, je fus confronté à la prise en charge de Rémy. L ; il m’avait choisi comme référant. Souffrant d’un psychose paranoïaque et d’hallucinations, potentiellement violent, il terrorisait les patients mais surtout mes collègues femmes ou hommes et qui m’autorisaient à rester avec lui et seulement avec lui et ce, pendant tout mon temps de travail ; ainsi mes collègues pouvaient faire leur travail en toute quiétude. Rémy, tout comme moi pratiquions des arts martiaux, cela l’aidait à se défouler ; à travers le sport de combat, il cherchait à retrouver le contrôle de lui-même. Utilisant cette envie de sortir de son mal être, nous nous retrouvions souvent dans le parc de l’hôpital pour confronter nos techniques de combat selon les règles de respect mutuel.

Or il est arrivé une fois qu’après ces jeux, ma cheville fût mise à mal (foulure). Culpabilisé par cet incident, c’est lui qui me ramena au pavillon en me soutenant, il m’a demandé de ne rien dire de ce qui s’était passé.

Cela me paraissait évident, son angoisse fût de ce fait tout à fait apaisée. A la suite de cet incident, notre relation de confiance fût renforcée, ce qui m’a permit d’aller encore plus loin dans cette relation duelle pour l’aider à sortir de son isolement.

Dés lors, la confiance était installée entre nous, la liberté de communiquer était avérée.

Quand l’angoisse le submergeait, il savait que j’étais là pour lui, disponible à tout moment pour l’écouter et l’apaiser. Lorsqu’il était en souffrance, il me disait : « J’ai mal dedans, et ce n’est pas un mal de dents ».

Difficile de trouver une réponse à ça ; heureusement nous ne sommes pas seuls, nos alliés sont médecins psychiatres, les psychologues et surtout nos collègues infirmières qui nous permettent de gérer le stress d’une telle prise en charge. Lors d’une période de travail de nuit en binôme avec Charly, un collègue ancien et très expérimenté ; nous nous sommes retrouvés face à une situation très délicate. Rémy nous a menacé avec une lame de rasoir à la main, il était manifestement angoissé et avait commencé cette angoisse en agressivité patente. Mon collègue et moi avons œuvré pour faire baisser cette angoisse par la parole plutôt que par la contrainte physique ; ça a fonctionné, il a lâché la lame et s’est effondré en pleurs dans mes bras ! Il nous a fallu rester une heure avec lui pour la rassurer, le dés-angoisser puis l’endormir. La relation de confiance qui s’était installé entre nous a permis cette intervention sans violence ni traumatisme. Comme ça on dirait que c’est simple, sauf que Rémy nous a transmis son angoisse, et il nous a fallu la digérer ensemble avec Charly. Par la suite, cet incident l’ayant affecté, se sentant culpabilisé, l’humour et la dérision ont permis de dédramatiser l’événement de la veille. La pratique de l’auto-dérision de ma part a contribué à le rehausser dans sa propre estime, ce qui permet d’ouvrir encore un peu plus cette fenêtre de communication, ouvrir une fenêtre dan sa bulle protectrice, la tout petite lucarne vers le monde extérieur, sans qu’il se sente en danger.

Bien sûr, le traitement médicamenteux qu’il acceptait de prendre a contribué en grande partie à rendre possible une relation duelle entre le soigné et le soignant.

Un autre atout, sa femme, qui par son courage, sont amour a permis d’envisager une sortie de l’hôpital pour Rémy ; son épouse était sa bouée de secours, un vrai point d’ancrage dans le monde extérieur. En accord avec l’équipe infirmière et surtout avec le psychiatre qui soignait Rémy, et bien sûr son épouse ; Rémy sortit définitivement de l’hôpital. Il était apaisé et aussi très ému par notre séparation, tout comme moi. Par la suite, il a repris une vie quasi normale, chez lui, avec l’amour de sa vie, cette épouse bienveillante à son encontre.

La satisfaction du devoir accompli, se sentir utile, nous emplit de plaisir à ce moment là.

Durant quelques années, Rémy ne fut pas hospitalisé, ce grâce à un suivi de l’équipe infirmière qui travaillait en extra-hospitalier et bien sûr de son psychiatre.

Tout d’abord, il faut décrire le lieu où était soignés les patients ; entre nous soignants, nous appelions cela un « cul de bosse fosse » ! Le bâtiment était insalubre, au rez de chaussée se trouvaient les patients plus au moins grabataires, à quatre par chambre et une seule salle de bains avec une baignoire, une douche qui jouxtait les seuls « chiottes » de cet étage ; désolé pour cette expression vulgaire mais aucun autre mot ne peut désigner ce genre d’endroit.

Malgré des conditions de travail dures nous trouvions le moyen de les supporter à travers le jeu ; il fallait simplement se mettre au même niveau que les malades, et là, tous nous prenions du plaisir. Un patient que tous appelaient « Mimi » était hospitalisé depuis l’âge de 3 ans ; victime de trois méningites en une année. Il était sourd ou presque, ce qui l’obligeait à parler fort pour qu’il puisse entendre ce qu’il disait ; il avait acquis un peu de langage, et était presque autonome ; plutôt que de le laisser dans son coin à ne rien faire, mon collègue Jacky et moi le sollicitions souvent, pour jouer. Un jour où tout était calme, les patients étaient tous à leur place habituelle en cercle dans le réfectoire, la télé ne fonctionnait pas. Le seul qui était actif et venait facilement vers les soignants, Mimi (Michel) ; et lorsqu’il nous adressait la parole d’un langage particulier et difficile à comprendre, nous engagions une sorte de discussion avec lui.

Comme Il parlait fort, au bout de quelques minutes, nos deux collègues infirmières invectivsé en disant : « Vous allez arrêter de l’emmerder, on ne s’entend plus parler ! » Pas de commentaires… Mon collègue Jacky venait travailler avec son chien, un cocker tout noir et très sympas avec tout le monde ; le médecin chef lui donnait même quelques caresses lorsqu’il enjambait le toutou qui était étalé de tout son long en travers du couloir ! C’est pour dire qu’à cette époque, la tolérance était de mise, aujourd’hui c’est impensable, car ce sont les protocoles qui commandent, toute initiative est pratiquement étouffée dans l’œuf. Mimi adorait « No Body » le chien de Jacky, il le caressait souvent en disant : « il est gentil le toutou » ; le petit chien qui par sa présence éveillait stimulait les patients était de faire thérapeutique.

Il est arrivé que l’on pousse le jeu soignant un peu plus loin ; Mimi était toujours en chausson, et il y tenait beaucoup. Avec la complicité de « No Body », nous prenons un chausson pour le lancer afin quelle chien se l’approprie et joue avec devant le patient.Ce fut la première fois que je vis Mimi courir après le chien, pour récupérer son chausson, et il hurlait : « Enculé le toutou » et à plusieurs reprises ! Nous étions ravis du résultat de cette expérience car cela s’est terminé par des câlins, des léchages entre le patient et le toutou.

Il est possible de s’amuser en travaillant tout comme travailler en s’amusant, car nous sommes plus efficaces dans ces conditions de travail.

Fidèles à nos convictions sur la méthode de travail à adapter avec ce type de malades nous avons continué dans ce sens, à savoir la dérision toujours, ce qui engendrait des rapports chaleureux avec nos patients. Le patient dont il s’agit maintenant souffre du syndrome de Korsakoff, après d’être alcoolisé pendant toute sa vie, il lui était impossible d’avoir une mémoire immédiate, mais il se rappelait un peu de cette mémoire antérieure comme de ses faits de soldat pendant la deuxième guerre mondiale, déporté en Allemagne pour le STO (Service de Travail Obligatoire).

Auparavant il exerçait le métier d’ouvrier chauffagiste, il entretenait et montait des radiateurs pour un patron qui tenait un café-bar. Mr F, le patient dont il est question se souvenait de quelques bribes de sa vie ; il lui arrivait de nous confier qu’il « buvait sa paye au bistrot de son patron » !

Dans le pavillon, il passait son temps collé au radiateur du couloir, et personne ne venait parler avec lui, étant donné que son cas était désespéré, incurable, et qu’il ne posait pas de problèmes. Par contre, lors du réveil, c’était une autre histoire, car il baignait dans son urine et dégoulinait pendant qu’il se rendait à la salle de bain, les poings serrés, il était très potentiellement agressif ! Un matin au moment du réveil, il était très remonté contre moi, sortant de sa chambre d’un pas rapide, il saisit le balai d’une "technicienne de surface" et me menace jusqu’à la salle de bain. Le seul secours possible était de me cacher dans la douche en attendant environ 30 secondes pour qu’il oublie ce pourquoi il était là, avec un balai, ; et cela a marché, sauf que j’avais oublié que dans les latrines juste à côté de la douche se trouvait un patient qui avait pour habitude de jeter ses excréments par-dessus la cloison vers la douche…

C’était un grand moment de solitude et d’humilité quand je pus sortir de ce cauchemars ; ensuite après avoir donné une cigarette à Mr F, tout était rentré dans l’ordre.

Et le côté positif de cette mésaventure fut l’hilarité de mes collègues quand ils m’ont vu sortir de la douche, pratiquement maquillé grave ; il m’a fallu de toute urgence regagner les douches réservées au personnel soignant ; mais après avoir donné sa cigarette à Mr F ! On a tout de même sa dignité.

 

Toujours dans ce même pavillon vétuste, j’ai assisté à une scène choquante, bien plus grave que de la maltraitance. Le malade âgé de soixante ans était tranquille dans le cour, à l’extérieur du pavillon lorsqu’il a franchi la limite autorisée. Le cadre infirmier est intervenu et au moment de le maîtriser, le patient s’est défendu légitimement et lui a donné une petite gifle, se sentant humilié devant tous les collègues il m’a demandé de l’aider à conduire le patient en chambre d’isolement. Et là, le cadre lui a asséné plusieurs coups de poing au visage, puis il m’a dit : « Je me paye ». Stupéfait par cette violence gratuite, je suis resté muet et profondément choqué par cette scène.

 

Voilà ce que devait être l’asile quand les soignants de l’époque utilisaient ce type de méthode pour asseoir leur domination sur les malades. La mal-traitance a changé de visage, elle est moins visible mais très pernicieuse, c’est le mépris des soignants pour les malades mentaux et qui peut aller jusqu’à l’abandon de ces rapports humains qui sont indispensables à la communication.

A l’époque de l’asile, il n’y avait pas de médicaments pour soulager la souffrance, seuls les moyens de contention étaient d’usage courant, il fallait attaché les plus violents, les cambrioler, etc…

Dans ce temps, rien a changé, les résultats sont les mêmes.

 

Une vidéo Rare sur l'histoire du CHSR de sotteville-lès-rouen

Enquêtes sur la mémoire infirmière dans un hôpital psychiatrique de Rouen


Lire l'article complet, et les commentaires