Amiante : un déni de justice

par Henry Moreigne
jeudi 23 mai 2013

Victimes sanitaires et désormais victimes judiciaires. Les travailleurs de l'amiante ne connaîtront pas le relatif réconfort de voir les responsables de leurs malheurs devant les tribunaux. Cerise sur le gâteau, le Comité permanent amiante (CPA), créé en 1982 par les industriels de l'amiante considéré comme instrument de lobbying pour prolonger l'utilisation de la fibre se voit lavé de cette accusation.

La décision de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris d'annuler neuf des dix-sept mises en examen dans l'un des volets de l'affaire de l'amiante, laisse un arrière-goût amer. Non pas qu'elle rende une hypothétique vengeance impossible mais parce qu'elle contribue à rendre illusoire l'établissement des responsabilités qu'elles soient politiques, administratives ou industrielles. Une sorte de détestable ni responsables, ni coupables. Comme si, la maladie qui frappe les ex salariés de l'amiante, relevait de la fatalité, de la faute à pas de chance.

Le télescopage des dossiers judiciaires est terrible. "Un grand dossier de santé publique, c'est d'abord de la douleur et de la souffrance, la maladie et la peur de la maladie, la mort et la peur de la mort" déclarait le 14 mai Jacques Dallest, procureur de la République dans une affaire très médiatique, celle des prothèses PIP.

Un grand dossier de santé publique, lui a répondu Me Christophe Bass, qui défend l'ex-directeur financier de PIP, c'est la confrontation de deux logiques au sein de notre société : celle d'un principe de précaution qui, en cas de doute, condamne le produit. Et celle d'une justice pénale pour laquelle le doute doit toujours bénéficier à l'accusé.

Et c'est ce doute qui permet aujourd'hui au CPA dans l'affaire de l'amiante non seulement de passer entre les gouttes, mais de bénéficier d'une hallucinante réhabilitation par des magistrats qui auront lavé plus blanc que blanc.

On pourrait en sourire s'il n'y avait de quoi en pleurer. Le président de l'Association des victimes de l'amiante (Andeva) a annoncé son intention de se pourvoir en cassation. Il dispose de solides arguments. A commencer par le rapport de la mission d'information du Sénat sur l'amiante de 2005 qui décrit le CPA comme "un modèle de lobbying, de communication et de manipulation qui a su exploiter, en l'absence de l’État, de pseudo-incertitudes scientifiques ", et qui "a joué un rôle non négligeable dans le retard de l'interdiction de (l'amiante) en France".

Reste à comprendre comment un tel décalage est possible entre un rapport sans ambigüité sur la responsabilité du CPA et la décision des magistrats pour qui ce rôle "n'est pas établi".

Pourtant, à lire Stéphane Foucart et Simon Piel dans les pages du Monde les faits sont accablants. Le CPA a été bâti en 1995 "par Marcel Valtat, patron de Communications économiques et sociales (CES), la société de relations publiques des industriels de l'amiante". "Les réunions des membres du CPA – médecins, représentants de l'industrie, fonctionnaires, responsables syndicaux – se tenaient dans les locaux mêmes de CES, sous la houlette de M. Valtat" soulignent les journalistes, désabusés par le fait que l'arrêt de la cour d'appel porte au crédit du CPA cette inféodation aux industriels.

Stéphane Foucart et Simon Piel concluent leur article sur une phrase de l'arrêt de la cour d'appel qui, au fond, explique tout. "Aucune étude épidémiologique (...) ne remettait en cause l'usage contrôlé de l'amiante" écrivent les magistrats. Cette contrevérité scientifique se solde par un déni de justice.

La lecture de l'arrêt permet de comprendre le raisonnement intellectuel qui conduit à ce désastre judiciaire. Un passage en particulier est très explicite : "l’usage contrôlé d’un produit dangereux est une constante notamment dans l’industrie, qu’il est dans les attributions de la Direction des relations du travail de réglementer et de surveiller ces usages contrôlés de produits dangereux, qu’ainsi la mise en place et le maintien d’un usage contrôlé de l'amiante était dans la norme et n’est pas la manifestation d’une imprudence, d’une négligence répréhensible".

Plus que la réhabilitation du CPA lui-même, c'est l'affirmation selon laquelle "un usage contrôlé de l'amiante était dans la norme et n’est pas la manifestation d’une imprudence, d’une négligence répréhensible" qui pose un véritable problème car le concept bidon "d'usage contrôlé", créé de toutes pièces, n'aura été qu'un paravent grossier destiné à s'affranchir de toutes les preuves scientifiques de l'époque qui allaient dans le sens d'une interdiction pure et simple de l'amiante.

En donnant quitus au CPA et à sa sphère (décideurs politiques administratifs et industriels), les magistrats envoient un très mauvais signal, celui de l'impunité, au moment où la cupidité conduit certains acteurs économiques indélicats à jouer avec les risques sanitaires.


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