Après Médiator, la presse vante une utilisation détournée d’un médicament...
par Pharmaleaks
samedi 30 juillet 2011
Incorrigibles journalistes ! Les ravages du Médiator se dissipent progressivement de la conscience collective. Le système sanitaire nouveau est arrivé. Plus de prescriptions hors AMM ! Promis, juré, on a compris la leçon !
Et voici que la presse s'emballe pour un médicament qui aurait des propriétés extraordinaires... hors indication !
Tout commence par un article du Parisien : "Un relaxant bientôt testé contre l’alcoolisme", illustré par une photo du générique de Sanofi qui domine le marché des ventes de ce médicament. Autant le préciser tout de suite, contrairement aux apparences, il ne s'agit pas d'une publicité ! (Il est interdit en France de faire de la publicité pour un médicament nécessitant obligatoirement une ordonnance). Toute ressemblance etc.
"D’ici quelques mois, on saura enfin avec certitude si le baclofène, un simple cachet contre le torticolis commercialisé depuis 1975, peut stopper durablement l’alcoolisme chez ceux qui en sont atteints."
Le suspense était effectivement insoutenable pour ce médicament sorti tout juste un an avant le Mediator.
Cela fait des années qu’on attendait que cette étude soit lancée, se réjouit Sylvie, porte-parole de l’Association Baclofène, qui n’a aucun doute sur les résultats. (...) « A l’époque, il n’y avait pratiquement aucun médecin qui prescrivait du baclofène contre l’addiction à l’alcool. [NDLR : pourquoi l'aurait-il fait ?] Je suis donc allée m’en procurer en Espagne où une pharmacie sur deux le donnait sans ordonnance », se souvient cette informaticienne de la région toulousaine. (...) Cela fait maintenant trois ans que Sylvie est sobre et ceci sans aucun effet secondaire. « J’ai diminué les doses, [NDLR : pourquoi ? Effets secondaires ?] mais je continue à prendre le médicament », confie Sylvie, qui a depuis trouvé en France un médecin qui veut bien le lui prescrire.
Le genre de médecin qui devait prescrire du Médiator par camions entiers !
Dans l'article du Parisien, 3 phrases rabat-joie de l'AFSSAPS expliquent que ce médicament n'a pas d'indication dans le sevrage alcoolique.
Heureusement, de grands médecins viennent rassurer le lecteur :
Chef de service au groupe hospitalier Paul-Guiraud à Villejuif (Val-de-Marne), Renaud de Beaurepaire estime même qu’il serait « criminel de ne pas prescrire de baclofène aux alcooliques ». ...
Comme d'autres auraient pu trouver criminel de ne pas prescrire de Médiator pour faire perdre du poids...
Vient ensuite un article dans lequel le Professeur Lejoyeux rappelle ce qu'est l'addiction à l'alcool et met en garde contre les "pilules miracles" : il convient d'évaluer ce produit, et "il faudra toujours y associer une approche relationnelle et psychothérapique."
Un article donc curieusement très enthousiaste pour nous parler des propriétés encore non démontrées après 36 ans de commercialisation d'un médicament sur prescription médicale obligatoire. L'article est ponctué de quelques mises en garde qui rappellent celles qui s'affichent en tout petit sur les publicités à la télévision.
Le Parisien présente le baclofène comme "un simple cachet contre les torticolis". On ne pouvait pas trouver description plus rassurante. Le baclofène est un médicament indiqué dans les contractures musculaires en cas de sclérose en plaques, affections médullaires [=moelle épinière], et contractures d'origine cérébrale.
Il s'agit là d'une substance qui agit sur des récepteurs cérébraux. La notice du médicament attaque fort : le baclofène sera administré uniquement si le bénéfice est supérieur au risque.
Côté effets secondaires :
sédation, somnolence surtout en début de traitement, asthénie, dépression respiratoire, confusion, vertiges, céphalées, insomnie, état euphorique, dépression, ataxie, tremblements, hallucinations, sécheresse buccale, paresthésie, dysarthrie, dysgueusie, acouphène, hypotonie musculaire, hypothermie, troubles de l'accommodation, bradycardie, hypotension, nausées, vomissements, constipation, diarrhées, douleurs abdominales, anorexie, fonction hépatique anormale (augmentation des phosphatases alcalines et des transaminases), hyperhidrose, éruption cutanée, aggravation d'une dysurie préexistante.
Contrairement au Parisien, le Vidal n'a pas choisi de le présenter comme "un simple cachet contre les torticolis".
Et voici que la presse nationale va reprendre unanime et joyeuse ces informations pour nous annoncer qu'une étude va être conduite dans le sevrage de l'alcool ! Pénurie estivale de scoop ? A ce stade, aucune donnée validée ne permet de savoir si l'on peut ou non prescrire ce médicament chez des patients alcooliques. Et les résultats ne seront pas disponibles avant plusieurs années !
France-Soir : "Le Baclofène est-il un remède contre l'alcoolisme ?" :
"Du Baclofène, ce médicament des laboratoires Sanofi, on connaissait les effets relaxants, les comprimés étant notamment utilisés pour soigner les torticolis. Ce que l'on connaissait moins, c'était les apparents effets du médicament pour lutter contre l'alcoolisme. Sur les 100.000 consommateurs français de Baclofène, environ 10.000 l'utiliseraient pour soigner leur dépendance à l'alcool. Et la guérir.
Selon France-Soir, ce médicament permet de "guérir" la dépendance à l'alcool. Pourquoi donc faire des études et octroyer des AMM alors qu'il suffit de lire France-Soir ! Après de telles retombées, nul doute que le mésusage de ce médicament va flamber !
L'article s'achève par une mise en garde légale dont le ton monocorde contraste avec l'enthousiasme général de l'article : "L'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est en revanche beaucoup plus réservée. L'agence vient de publier une mise en garde destinée aux utilisateurs du Baclofène et dans laquelle elle rappelle que le médicament n'a, pour l'heure, aucune autorisation de mise sur le marché pour soigner l'alcoolisme. "
France-Info se livre à un véritable travail d'investigation : "Une alcoolique témoigne : elle a commencé à prendre le relaxant il y a trois ans. Aujourd’hui : indifférence totale à l’alcool ! Pas même l’envie d’une gorgée de bière !". Un enthousiasme également modéré par la même mention légale :"Un médicament détourné, ça rappelle l’affaire du Médiator. On connait aujourd’hui les effets dramatiques de cet antidiabétique quand il est utilisé comme coupe faime. D’où la mise en garde publiée par l’agence du médicament, et cette étude scientifique pour tenter d’en savoir plus."
Europe 1 reprendra cet article au mot près, et à la faute d'orthographe près sur le mot "coupe faime" !
TF1 : "Chez cette ancienne alcoolique, sobre depuis trois ans, la prise du Baclofène a provoqué une "indifférence totale à l'alcool". Elle en consomme toujours aujourd'hui, grâce aux prescriptions d'un médecin convaincu des effets du médicament.
Et Yves Montuelle, dans l'Express de conclure en titrant directement : "Le baclofène est un outil contre l'alcoolisme"
Il affirme même : "Le baclofène fonctionnerait sur l'organisme comme un substitut. L'alcool agit comme un relaxant en venant se fixer sur certains récepteurs spécifiques du corps humain. Le médicament, un décontractant musculaire, se fixerait sur ces mêmes récepteurs. Différence de taille : il ne crée pas la dépendance, source de souffrance chez les alcooliques." (...) Parmi ces patients, Camille* a enchaîné les cures de désintoxication pendant six ans. Cette mère de deux enfants est alcoolique. Elle buvait en moyenne 2 à 3 litres de vin par jour. Cette infirmière, en congé maladie depuis près de quatre ans, a commencé à prendre du baclofène il y a trois mois. Au début son médecin lui a prescrit ce médicament à raison de 15 mg par jour avant d'augmenter progressivement les doses. "Jusqu'à 90 mg, le baclofène n'avait aucun effet, je continuais à boire", explique-t-elle. Mais depuis 8 semaines, elle en prend 100 mg par jour [NDLR : soit 10 comprimés par jour !!!], et se dit différente : "Je me sens détachée de l'alcool, je n'en ai plus besoin."
La mise en garde de l'AFSSAPS a cette fois complètement disparu.
Aucune donnée scientifique sur le sujet, une étude qui va simplement être lancée, une apparente sécurité d'emploi. Des professeurs qui trouvent criminel le fait de ne pas prescrire ce médicament alors qu'ils ne déclarent pas leurs conflits d'intérêts...
A quoi sert donc cet article du Parisien ?
Ce vieux médicament ne va-t-il pas comme par hasard être réévalué avec les autres cet été ?
Qu'est-ce que c'est que cette "Association Baclofène" qui vient tout juste d'être créée (08/05/2011), au moment où de nombreux médicaments doivent être réévalués ? Qui la finance ?
Comment un tel article peut-il être repris par tous les médias ? Quelle agence de communication a assuré ces retombées ?
A qui profite le crime ?