Autisme : la HAS sous pressions ?

par EgaliTED
jeudi 16 février 2012

Le 6 mars prochain, lors d’une conférence de presse, la Haute Autorité de Santé doit rendre publique ses recommandations de prise en charge de l’autisme, au cours d’une conférence de presse. Cet évènement est très attendu depuis des années par les associations de familles, qui récusent l’approche psychanalytique majoritairement utilisée en France et demandent des prises en charge éducatives cognitivo-comportementales comme en Belgique ou en Espagne. Or, cette semaine, une partie de ces recommandations a « fuité » dans la presse, provoquant une levée de boucliers du milieu psychanalytique, et une forte inquiétude des associations.

 
L’enjeu est de taille (voir notre précédent article sur Agoravox). En effet, au vu de la version préliminaire émise en juillet 2011, il apparaît qu’enfin les prises en charge éducatives cognitivo-comportementales (ABA et TEACCH principalement), largement demandées par les familles et leurs associations, voient leur utilité et leur efficacité reconnue. C’est un soulagement qui se profile pour les familles d’autistes, car enfin on donne des arguments scientifiques qui étayent leurs demandes, souvent incomprises voire rejetées par les psychiatres ou les MDPH, en charge de compenser les coûts de ces prises en charge.
 
Mais la question va beaucoup plus loin : en effet, la HAS doit également recommander, ou ne pas recommander, les prises en charge actuellement les plus utilisées en France, d’inspiration psychanalytique. Ce type de prise en charge est rassemblé sous le vocable « psychothérapie institutionnelle » et est basé sur l’idée que l’autisme est une maladie du psychisme. On tente alors de le « soigner » en fonction des théories d’éminents psychanalystes, ce qui concrètement se traduit par une thérapie familiale, ou une psychothérapie de l’enfant, ou encore des « médiations thérapeutiques » tels l’atelier conte, l’atelier cheval, l’atelier poterie, l’atelier pataugeoire (dit aussi « flaque thérapeutique ») ou le très controversé « packing ».
 
Force est de constater la faiblesse voire carrément l’absence manifeste de preuves scientifiques de l’utilité et de l’efficacité éventuelle de ces thérapies, ainsi que la méconnaissance totale d’effets indésirables, en particulier en ce qui concerne le « packing ». Ce sujet est d’ailleurs actuellement débattu par l’Ordre des Médecins (une audience est prévue à Lille ce 16 février).
 
Par ailleurs le contexte est extrêmement tendu, l’autisme ayant été déclaré « Grande Cause Nationale 2012 », suite à quoi le Député Mr Daniel Fasquelle, président du groupe d’études sur l’autisme de l’Assemblée Nationale, a déposé un projet de loi visant à interdire les prises en charges psychanalytiques dans le cadre de l’autisme, puis plus récemment a interpellé les Présidents d’Université pour leur demander de faire cesser les formations psychanalytiques sur l’autisme, non-conformes aux connaissances scientifiques actuelles.
 
Les recommandations provisoires émises en juillet dernier ont fait l’objet d’une large consultation publique, à laquelle la plupart des associations de familles ont répondu (notre précédent article s’en faisant l’écho). Suite à cette consultation, la Haute Autorité de Santé devait effectuer une dernière synthèse puis publier les recommandations définitives lors d’une conférence de presse prévue le 6 mars prochain. Mais une fuite dans « Libération » est venue semer le trouble dans les esprits. Selon ce quotidien, dans lequel les psychanalystes tiennent fréquemment tribune, la dernière mouture des recommandations classerait les interventions psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle dans les « interventions non recommandées ou non consensuelles ». En clair, devant l’absence de preuve d’efficacité, ce type de prise en charge n’aurait aucune raison d’être recommandé pour les autistes – comme un emplâtre sur une jambe de bois en somme… Par ailleurs le packing serait montré du doigt, la Haute Autorité manifestant son « opposition formelle » à cette pratique.
 
Une mise au point a été aussitôt publiée par le Directeur Général de la HAS, qui indique que « le paragraphe sera certainement modifié, car la demande en a été faite, pour être "mieux contextualisé", en insistant sur le fait que "ce qui est non consensuel ne veut pas dire non recommandé". » Quant au packing, la HAS n’a ni la vocation ni le pouvoir d’interdire sa pratique, mais se déclare en effet opposée à son utilisation même dans les cas extrêmes et exceptionnels, ne le tolérant que dans le cadre d’un protocole de recherche.
 
Cette déclaration a aussitôt soulevé une grande inquiétude parmi les associations de parents. L’allusion à une demande de modification rappelle en effet l’épisode survenu en 2010, lorsque la HAS a émis son « Etat des Connaissances  » sur l’autisme. A cette époque, des manœuvres de dernière minute par certains représentants des psychiatres d’obédience psychanalytique avaient été conduites dans le but de maintenir la notion de « psychose infantile », et que conformément aux pratiques internationales on établisse enfin la nature neurodéveloppementale de l’autisme. Ces manœuvres avaient été dénoncées par voie de presse et contrées aussitôt par les associations de parents qui avaient exigé le maintien du texte d’origine ; au final un compromis acceptable avait été trouvé, le texte mentionnant « Les termes « psychose précoce » ou « psychose infantile » et « psychose infantile précoce » sont contestés en raison des difficultés d’interprétation qu’ils entraînent », le texte d’origine du rapport (avant l’intervention en coulisses) étant relégué dans une note de bas de page, parlant de termes « inappropriés car [entraînant] des confusions et des contresens entre psychose et TED. »
 
L’inquiétude des associations de parents n’a fait que grandir alors que l’article de Libération était repris très rapidement par l’ensemble de la presse écrite, puis radiophonique. On a ainsi pu entendre des attaques d’une grande virulence envers ce document de la HAS par des psychiatres psychanalystes habitués des médias, en particulier sur France Culture et France Inter. Le Parti Communiste a même pris position dans l’Humanité  !
 
Le très médiatique Pr Bernard Golse a pour sa part su occuper le terrain ; ainsi sur France 5 le 14 février, où il a pu exprimer son discours habituel, d’apparence consensuelle et bien connu des parents, cependant émaillé d’inexactitudes qui ne peuvent qu’être intentionnelles. Par exemple lorsqu’il énonce que « dans le domaine de l’autisme, toutes les méthodes d’approches qu’on a – cognitive, psycho comportementales, psycho-thérapeutiques, etc… Rien n’est validé. Il y a des choses en cours de validation mais rien n’est validé et pas plus de méthodes ABA que d’autres ». Cette phrase est erronée, la méthode ABA a démontré son efficacité, contrairement aux approches psychanalytiques, et c’est précisément pour cela que les recommandations provisoires de la HAS la recommandent, comme le font déjà depuis des années les recommandations des autres pays.
 
Dans la même intervention le Pr Golse déclare : « C’est un peu dommage que le rapport soit sorti avant l’heure car il était encore en cours de validation par les différentes instances professionnelles. J’aurais du mal à le signer s’il sort sous cette forme là. », puis un peu plus tard « ça ouvre une petite fenêtre de discussion pour retrouver des formulations qui satisfassent les uns et les autres ».
 
Pour les associations de parents, dont les principales ont participé elles aussi à l’élaboration des recommandations de la HAS, tout est clair : le texte ne leur convenant pas, et devant l’absence d’argument objectifs disponibles pour le contester, les psychanalystes auraient décidé de jouer leur va-tout en organisant la fuite dans « Libération » puis la tempête médiatique qui s’ensuit. Il s’agirait de faire pression sur le comité de pilotage des recommandations et sur la Direction de la HAS, tout en présentant, par la voix en apparence plus « modérée » du Pr Golse, une porte de sortie négociée (« retrouver des formulations qui satisfassent les uns et les autres »). Le tout sous la menace à peine voilée d’un refus de signer le document final.
 
Mais cette manoeuvre de la dernière chance dont on soupçonne les psychanalystes est à double tranchant. D’une part, ils ne sont pas les seuls à pouvoir refuser de signer ; les associations de familles ayant participé à l’élaboration du document sont également signataires, et leur refus de signer signifierait la continuation du scandale français actuel, dans lequel les familles se méfient des psychiatres et préfèrent fuir en Belgique ou bricoler une prise en charge ABA ou TEACCH par leurs propres moyens plutôt que confier leur enfant à l’hôpital de jour.
 
D’autre part un refus de signer par les psychanalystes officialiserait leur mise en marge des recommandations officielles, et donc leur opposition frontale aux parents des enfants qu’ils professent vouloir aider, ce qui serait pour le moins paradoxal.
 
On peut d’ailleurs s’interroger sur la teneur des propos du Pr Golse. Voila un médecin psychiatre, chef de service de pédopsychiatrie à l’hôpital Necker, en charge du diagnostic de nombre d’enfants porteurs d’autisme, et de surcroit membre du Conseil d’Administration du Centre Ressource Autisme d’Ile de France, qui déclare publiquement au sujet de l’autisme : « On parle d’un enfant sur 150, vous vous rendez compte, ce qui serait énorme. Mais on mélange tout, comme s’il y avait une épidémie d’autisme. (…) Tout cela est incohérent. » Ce faisant, le Pr Golse conteste frontalement les recommandations de diagnostic de la HAS, qu’il est censé appliquer dans son service, et qui ont été émises par la Fédération Française de Psychiatrie dont il est membre ! En son temps, Mr Chevènement avait déclaré, au sujet de son désaccord sur la Guerre du Golfe, « un Ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne » ; on peut se demander dès lors si le Pr Golse ne devrait pas prendre ses responsabilités et tirer les conséquences logique de son attitude de rejet des avancées scientifiques et médicales qu’il est chargé d’appliquer.
 
Au final, au milieu du champ de bataille qu’est devenue la question de l’autisme en France, en cette année de Grande Cause Nationale, le sort des autistes et de leurs familles reste pour l’instant suspendu aux discussions probablement animées qui ont lieu dans les bureaux de la HAS, et dans l’attente du dénouement le 6 mars prochain. L’espoir de tous est que la raison et l’objectivité scientifiques puissent prévaloir face à l’irrationnel de la doctrine psychanalytique, et que la France, après être passé de la préhistoire au moyen-âge dans ce domaine, puisse avancer de nouveau et rejoindre un jour prochain les autres nations développées qui utilisent depuis 30 ans le TEACCH et l’ABA après avoir depuis longtemps tourné le dos aux théories et pratiques psychanalytiques pour l’autisme.
 
La psychanalyse survivra à ces évènements quoi qu’il arrive. L’enjeu ici n’est pas le sort d’une idée ou d’une discipline, mais bien l’avenir d’êtres humains depuis trop longtemps maltraités par la volonté de préserver des théories obsolètes.

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