Capiforpi, bitoubib et bitoussi

par LaLettredeGalilée
samedi 15 mai 2010

Esquissant un énigmatique sourire, Roekeghem l’avait poliment susurré le mois dernier aux coalisés anti-capi1 invités à la table ronde d’ouverture du MEDEC2 (Legmann, président du conseil national de l’ordre des médecins, Lajoux pour l’industrie pharmaceutique et Chassang pour les médecins - voir notre Lettre n° 116). « Attendez de voir la conclusion de la Cour européenne de justice » avait-il lancé avec cette discrète mais absolue certitude qui le caractérise.
 

Dans un arrêt rendu public fin de semaine dernière la cour européenne a donné raison au NHS (National Health Service) qui avait fait l’objet d’un recours de l’industrie pharmaceutique contre le système de paiement à la performance (P4P, Pay For Performance) instauré par les autorités britanniques.

Voilà donc assuré un bel avenir pour le Capi, notre « Piforpi » à la française, et remusclé notre Rocky qui vient de balancer par-dessus les cordes les trois coalisés. On saura sous quelques jours si le Conseil d’État, officiellement saisi du dossier, les ramène sur le ring.

On se demande d’ailleurs où ce polytechnicien, ancien de la Direction générale de l’armement, réinvesti pour 5 ans à la tête du plus gros budget du pays (150 milliards d’euros) a décidé de planter ses uppercuts.

Le passage du relais entre les URCAM3 et les ARS4 s’est fait sans difficulté apparente même si, comme le souligne cyniquement la lettre d’information du syndicat des cadres FO sous le titre « assurance maladie et ARS : le grand amour », la CNAMTS aurait transféré quelques personnels sur le point de partir à la retraite laissant le soin aux ARS de payer la prime de départ à la retraite d’agents qu’elles n’auront jamais vus.

Le projet de COG5, ce texte sacré qui lie la CNAMTS6 à l’Etat pour 5 ans, présenté sans bruit au conseil de la CNAMTS il y a deux mois, a même plutôt des allures d’allégeance vis-à-vis des nouvelles institutions régionales. L’assurance maladie s’y positionne comme un effecteur docile des ARS (exemple chapitre 123 : « l’assurance maladie développera des études relatives à la répartition des professionnels de santé libéraux sur le territoire […] A partir de ces études, les ARS pourraient déterminer l’offre de soins utile sur un territoire de santé, tant au niveau des établissements que des professionnels … »).

Elle s’y présente même avantageusement comme un prestataire permettant à l’agence de remplir ses missions. Le document préparatoire à cette COG proposant les orientations de l’assurance maladie en matière de gestion du risque que s’est procuré La Lettre de Galilée précise même dans un grand élan de générosité vouloir mettre à la disposition des ARS les outils de surveillance de la santé des populations par les centres d’examens de santé de la sécu (dont nous avions parlé justement le mois dernier dans la Lettre n° 110).

En somme, la CNAMTS propose de faire du « B to B » avec les ARS, mot à la mode qui implique un donnant/donnant. En étalant sa force de frappe, l’assurance maladie se rend incontournable. D’autant qu’elle détient dans sa musette 15 000 CAPI désormais estampillés du sceau de l’Europe et qui fait d’elle un passage obligé. Du « bitoubib » en quelque sorte.

Le plan d’actions de l’UNCAM7 2010 qui décline partiellement la COG, traduit bien les quatre piliers d’un rapport de force qui se révèle par petites doses. « Au-delà du seul service des prestations… », ainsi commence sans ambigüité la note remise au conseil, l’assurance maladie veut se mettre les médecins libéraux dans la poche. Ne revenons pas là-dessus.

Le deuxième axe de sa stratégie consiste à gagner davantage la confiance de ses assurés. De plain-pied dans la prévention (c’est encore elles qui ont l’oseille) les caisses veulent offrir « un accompagnement personnalisé » aux assurés atteints de maladie chronique. En gros, les caisses veulent « soigner » leur clientèle et se faire aimer d’elle, gardant le bâton du gendarme pour les offreurs de soins qui abusent.

Le 3ème axe est celui de la coordination. Quèsaco ? C’est celui de l’offre de soins coordonnée au travers des maisons de santé pluriprofessionnelles, des réseaux de santé avec lesquels les caisses ont indiscutablement su s’attirer de l’empathie, des « pays de santé » auxquels les caisses agricoles portent traditionnellement un grand intérêt.

Le dernier axe est celui de la lutte contre la fraude, sujet sur lequel les médias sont friands et qui avait rendu plus célèbre que Jean-Pierre Pernaud l’ancien directeur de la caisse de Nantes.

En bref, l’assurance maladie a bien l’intention d’exister. Et ses domaines d’intervention n’apparaissent pas illégitimes. Encore faut-il que les bonnes intentions ne masquent pas de sombres luttes de pouvoir. De grâce pensons à la lisibilité du système par les utilisateurs. 

Ce serait bien si l’Etat faisait un peu de Bitoussi (B to C : Business to Consumers).

1 Contrat d’amélioration des pratiques individuelles
2 Congrès de la médecine générale
3 Union régionale des caisses d’assurance maladie
4 Agence régionale de santé
5 Convention d’objectifs et de gestion
6 Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés

7 Union nationale des caisses d’assurance maladie


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