CMU : discrimination sociale des médecins ?

par citoyen
vendredi 23 juin 2006

A l’heure où nos responsables politiques parlent de discriminations positives en faveur des femmes - voir la loi du 28/06/1999 sur l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives - en faveur des minorités « visibles » - voir les discussions internes au Parti socialiste sur les futurs candidats aux législatives, les Français découvrent que leur médecin, celui qu’ils consultent régulièrement, pratique lui une discrimination illégale et contraire à la déontologie médicale à l’égard des personnes bénéficiaires de la CMU.

Dans un contexte de tension sur les dépenses d’assurance maladie dont le blog-citoyen s’est fait écho, l’émergence d’une médecine à deux vitesses, selon le niveau social des individus, devient un problème sérieux, d’autant plus que le récent rapport du Fonds de financement de la CMU pointe du doigt des pratiques discriminatoires de la part de certains médecins à l’égard des personnes bénéficiant de la CMU, c’est-à-dire de la part de ceux-là mêmes à qui le patient est venu confier son corps, son esprit et ses maux. Qu’en est-il de cette « sacro-sainte » relation privilégiée patient/médecin basée sur la confiance réciproque ? Qu’en est-il du respect de la loi et de la déontologie médicale qui édicte que le médecin doit soigner toutes les personnes avec la même conscience, quelle que soit leur origine ? Le ministre de la santé et des solidarités saisit le Conseil national de l’Ordre des médecins au sujet de cette affaire.

Cela risque de faire grand bruit. Alors que le dispositif de la couverture maladie universelle, dit CMU, tente, dans le domaine de la santé, de mettre en pratique l’un des principes fondateurs de notre démocratie, l’égalité de tous les citoyens, une enquête montre que nos concitoyens les plus démunis sont victimes de discriminations de la part des médecins ; de quoi ébranler encore un peu plus le socle républicain dont Nicolas Sarkozy pense qu’il n’est pas - plus ? - à même de donner un sens à la vie. Comment en serait-il autrement, quand ce sont des individus, ayant fait le choix d’exercer une profession, dont le but est de soigner l’autre, qui sont accusés de pratiques discriminatoires ? Parce que ce sujet risque de devenir un sujet sensible de plus pour le gouvernement de Dominique de Villepin, son artificier à la santé, Xavier Bertrand s’est empressé d’annoncer à l’Assemblée nationale, lors du débat sur les orientations des finances sociales pour 2007, qu’il venait de saisir le Conseil national de l’Ordre des médecins en lui demandant « quelle décision il entendait prendre à l’égard des professionnels de santé » qui ne respecteraient pas le principe sacré de l’égalité d’accès aux soins et « de veiller à ce que de tels agissements soient sanctionnés ». Le ministre a par ailleurs annoncé avoir prévu pour 2007 un relèvement du plafond de revenus des bénéficiaires de cette aide permettant d’en augmenter le nombre de bénéficiaires potentiels de 900 000 personnes, en le faisant passer de 2 millions à 2,9 millions. Les probabilités de discriminations risquent de s’accroître encore plus.

Les médecins ont été « testés »

L’enquête du fonds de financement de la CMU a été réalisée par le biais de la méthode du « testing » désormais traditionnelle pour apporter la preuve de pratiques discriminatoires. Elle a porté sur un échantillon de 230 médecins exerçant dans 6 villes (Saint-Maur, Vincennes, L’Haÿ-les-Roses, Maisons-Alfort, Champigny-sur-Marne et Vitry-sur-Seine) du département du Val-de-Marne.

Sur les 230 demandes de rendez-vous, 75 se sont vu opposer directement un refus soit 33,5% tandis que 149 rendez-vous ont été accordés. Parmi les refus de rendez-vous, 76% sont liés à la CMU. L’analyse des échanges montre que, pour partie, les médecins refusant d’accorder un rendez-vous prennent des motifs que le rapport qualifie de « stratégies d’évitement », mais ce qui est relevé, et ceci est encore plus grave, c’est que d’autres médecins n’hésitent pas à afficher le motif réel de leur refus : « la CMU ». En fait, l’analyse fait remonter que les discriminations s’expliquent selon que le médecin est favorable ou non à la loi dite « CMU ».

Les médecins spécialistes particulièrement ciblés par l’enquête

Il ressort en synthèse que 41% des médecins spécialistes testés ont refusé les soins aux patients au motif que ceux-ci étaient bénéficiaires de la CMU contre 4,8% des médecins généralistes, sachant que pour ce qui les concerne, il existe une différence notable entre les médecins généralistes inscrits au secteur 1 (pratiquant des prix de consultation conventionnés) et ceux inscrits au secteur 2 (pratiquant des honoraires libres). Les premiers ont adopté une attitude discriminatoire dans seulement 1,6% des cas, contre 16,7% des cas pour les seconds.

Le rapport montre que les pratiques discriminatoires sont basées sur des « préjugés sur les bénéficiaires » de la CMU.

Que dit le Code de déontologie médicale ?

Comment des professionnels revendiquant haut et fort des augmentations de leurs revenus peuvent-ils refuser de prodiguer des soins à des personnes parmi les plus démunies de la population ?

Le Code de déontologie médicale édicte ainsi dans son article 7, intitulé « non discrimination », que « le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes, quels que soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard.

Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances.

Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. » (source)

Il apparaît donc incompréhensible pour le citoyen lambda de se voir opposer un refus de prise en charge de la part du médecin auquel il s’adresse. Au vu de cet article, les refus de soin attestés par l’enquête du fonds de financement de la CMU constituent bien une pratique discriminatoire inacceptable dans une démocratie qui souhaite défendre l’égal accès des citoyens à l’offre de soins sans prise en considération de la situation sociale de l’individu.

Pour autant, le Code de déontologie n’est pas exempt d’ambiguïté laissant la porte ouverte à une appréciation très « personnelle » du principe de non discrimination de l’article 7.

C’est le cas notamment de l’article 47, qui précise que « ... Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. » (source)

Cet article semble pour le moins peu compatible avec celui cité plus haut.

Ne doutons pas que la communauté médicale saura réagir face à une situation qui ne constitue, malheureusement, que le triste reflet des préjugés de la société dans son ensemble.

CMU : Connaître vos droits


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