Comment on tue 40 000 fous, au minimum

par Voris : compte fermé
mercredi 24 octobre 2007

Le gouvernement de Vichy n’a pas fait dans le « détail » ; il est directement responsable de la mort de 40 000 décès de malades mentaux. Au minimum, car le chiffre de 50 000 est parfois donné. Au minimum, car cette politique d’extermination ne lui coûta rien : il lui a suffi de les laisser mourir de faim.

L’Histoire n’a jamais fini de se réécrire. On a d’abord cru que Vichy avait appliqué une sorte de "solution finale à la française" aux aliénés de l’Hexagone, on a pensé à un complot du silence sur cette page de l’Histoire. Aujourd’hui, on penche plutôt pour un délaissement plus ou moins délibéré qui a condamné ces malades mentaux à une mort certaine.

D’abord les faits : ils sont indiscutables ! L’Allemagne nazie conduira 70 273 malades mentaux à la mort par le gaz dans six asiles spécialement aménagés pour l’exécution de ces basses oeuvres. En France, entre 1940 et 1945, près de 50 000 malades mentaux sont morts de faim ou de froid dans les hôpitaux psychiatriques français. Point culminant en 1941 avec 23 577. Autre certitude : il était fréquent à l’époque en France d’affirmer que les fous coûtaient cher et dégénéraient la race. Edouard Herriot, lui-même, disait en 1937 : "il vaut bien mieux laisser mourir un aliéné et sauver un enfant". Le Pr Rochaix, titulaire de la chaire d’hygiène de la faculté de Lyon, dit partager cette position et déplore "l’augmentation du nombre des tarés, des dégénérés, en un mot des déchets sociaux, qui, par suite de la suppression artificielle de la sélection naturelle, contribuent à la dégénérescence de la race et deviennent une lourde charge pour la collectivité." Devant ces chiffres assez parlants, au vu du contexte outre-Rhin et de la politique de collaboration, de même qu’à la lecture de ces propos, on pouvait être tenté de soutenir la thèse d’une extermination volontaire par le gouvernement de Vichy.


En 1987, la thèse de l’extermination volontaire a été soutenue par un étudiant en médecine, Max Lafont. Publiée par une petite maison d’édition qui lui donne le titre de L’Extermination douce, cette thèse affirme que cette extermination fut planifiée comme en Allemagne et accuse les psychiatres d’avoir été complices ou d’avoir laissé faire. L’éditeur, qui a choisi ce titre et qui profite de l’ouverture du procès de Klaus Barbie le 4 juillet 1987 pour publier le même jour cet ouvrage à sensation, semble vouloir produire le maximum d’effet. Le journal Le Monde amplifiera le retentissement donné à cet événement en faisant paraître le 10 juin 1987 dans ses colonnes un papier, "Les asiles de la mort" signé du Dr Escoffier-Lambiotte. L’auteur de l’article dresse une diatribe contre les psychiatres de cette période trouble. Dès lors les choses s’emballent : deux romans sortent opportunément (Le Train des fous en 1988, et Droits d’asile en 1998), une pétition ("Pour que la douleur s’achève") est lancée en 2001 pour demander un devoir de mémoire. Certains voudraient même que soit reconnu le "génocide" bien qu’il n’y ait pas eu de décrets exterminatoires.

En 2000, Isabelle von Buelzingsloewen vient apporter un éclairage très différent des faits : maître de conférence à l’université lyon II, elle se voit confier, par le conseil scientifique de l’hôpital de Vinatier (à Bron, près de Lyon), un projet de recherche sur la famine dans cet hôpital entre 1940 et 1945. A la tête d’un groupe d’historiens, elle vient affirmer que l’hécatombe ne fut pas provoquée intentionnellement par le gouvernemnt de Vichy, mais due à la malnutrition généralisée qui sévissait à l’époque dans notre pays, avec des conditions aggravées pour les fous enfermés : approvisionnement des hôpitaux paralysé (camions réquisitionnés par l’armée), imposibilité de constituer des stocks par crainte de réquisition à l’improviste, impossibilité pour les aliénés de se débrouiller par eux-mêmes pour aller chercher au-dehors leur nourriture. Il n’empêche que les psychiatres de l’époque auront des comportements variés. Certains chefs de service en profitent pour étudier les signes de la famine chez les patients mourants, pensant de cette façon servir la science ! D’autres, heureusement se mobilisent, ce qui aboutira à la circulaire Bonnafous du 4 décembre 1942 qui viendra apporter aux malades mentaux des suppléments de ration.

L’explication de la manultrition est évidente. Le ministre de la Santé de 1945 déclare que "beaucoup des internés dans les asiles d’aliénés sont morts littéralement de faim". Cela peut rendre crédible la thèse de l’hécatombe involontaire. Il n’empêche qu’on peut s’interroger sur la grande inertie de Vichy qui laisse planer un soupçon sur les causes de ce drame. L’Histoire ici n’a peut-être pas fini de se réécrire si les historiens apportent d’autres analyses des faits.

La Libération ne fait pas disparaître les problèmes d’approvisionnement. Le Dr Scherrer, démobilisé, reprend la tête de son hôpital d’Auxerre et se trouve obligé d’écrire au préfet que pour nourrir décemment ses patients, il va devoir recourir au marché noir ! Par ce moyen extrême, il parvient à se faire entendre de l’administration !

De nos jours, ceci nous paraît comme un lointain souvenir, un mauvais souvenir. Et pourtant la prise en charge de la santé mentale aujourd’hui n’est pas exempte de critiques. Par exemple, la Commisson européenne a présenté en octobre 2005 un "livre vert" sur la santé mentale qui pointe la France comme un mauvais élève, avec 5 % seulement de ses dépenses consacrées aux maladies mentales contre 10 % au Royaume-Uni, au Luxembourg, en Suède. Mais c’est l’Europe tout entière qui est défaillante selon le rapport. Cela pèche aussi dans les prisons françaises. En décembre 2006, le comité consultatif d’éthique rend un avis qui "en appelle de manière urgente aux pouvoirs publics, aux élus, au législateur et aux autorités sanitaires pour qu’ils prennent toutes les dispositions nécessaires afin que la prison ne se subsitue plus à l’hôpital psychiatrique et que tout détenu ait accès au respect de ses droits fondamentaux". La prison n’est pas un lieu de soin et pourtant elle devient une sorte d’annexe de la psychiatrie ! Déjà en 2001, l’IGAS et l’IGSJ (inspection des services judiciaires) dénonçaient "une augmentation de patients lourds dans la file active de psychiatrie en milieu pénitentiaire". Il semble qu’aucun effort n’ait donc été fait depuis pour améliorer cette situation. Une tendance à la responsabilisation des malades mentaux revient en vogue : d’abord sous le prétexte que le malade mental a droit lui aussi à un jugement, les années 70 virent fleurir la théorie selon laquelle il faut admettre leur responsablité pénale. Aujourd’hui, c’est pour satisfaire les victimes et surtout l’opinion publique que le gouvernement a voulu traiter cet aspect sous le seul angle de sa politique pénale (projet de loi de prévention de la délinquance qui a soulevé une forte contestation chez les psychiatres et conduit le gouvernement à reculer sur le dangereux amalgame entre maladie mentale et délinquance).

Cette initiative n’a fait que stigmatiser les malades mentaux. Dommage ! Une campagne sur le thème "Accepter les différences, ça vaut aussi pour les troubles psychiques" avait justement été financée et menée en décembre 2006 dans la presse, par spots TV et par voie d’affichage. Mais sensibiliser à quoi bon si le populisme reprend toujours le dessus ?


Lire l'article complet, et les commentaires