Conflits d’intérêts dans la recherche sur le tabagisme
par Luc DUSSART
mardi 6 février 2007
Le Pr MOLIMARD, fondateur et, deux décennies durant, président de la Société de tabacologie, aurait-il financé ses recherches sur le tabagisme avec des fonds provenant de l’industrie de la cigarette ?
Citons en effet son récent Petit Manuel de défume (Sides, 2007), au sujet de la faiblesse de la recherche sur le tabagisme en France, sur un sujet si important en termes de santé publique (p. 129) :
" La folie puritaine est telle que non seulement les chercheurs qui reçoivent des fonds des tabagiers se voient interdire de publier leurs résultats, mais tout contact avec l’industrie du tabac est dénoncé comme un pacte avec le diable. Or, les chercheurs et ingénieurs de cette industrie sont les seuls à connaître cette plante, les secrets de fabrication des cigarettes."
Dans la suite, Molimard se plaint que Big Pharma ait eu la peau de la Société de tabacologie (présidée dorénavant par un pharmacologue), société savante qu’il avait fondée en 1983.
On peut y déceler un aveu de sa part, qui rend plausibles les subsides de l’industrie du tabac. A sa décharge, il ne semble pas qu’il en ait profité personnellement.
Le Pr Molimard fait
exception dans notre dénonciation du charlatanisme des tabacologues : il
suffit de pénétrer dans sa tanière de Villejuif pour réaliser combien son
combat est sincère et désintéressé. C’est un bazar de professeur Nimbus.
Molimard est un vrai chercheur, médaillé pour ses travaux, intéressé par le
savoir et l’enseignement, comme il en existe encore. Il a précisément
démissionné de l’association qu’il avait présidée pendant vingt ans suite au refus
des institutions indépendantes de financer des recherches. La Société de tabacologie est devenue un cabinet de promotion de la chimiothérapie, un
repaire de médecins vantant faute de mieux la nicotine pharmaceutique et ses
avatars sous couvert d’autorité savante. Le trou de Molimard au fond d’un hôpital psychiatrique
banlieusard est à comparer avec le forum de ’La Maison du poumon’ où se tenait
récemment Tabacologia 2007 : entrée en marbre, adresse prestigieuse jouxtant le Jardin du Luxembourg, avec beaux présentoirs de médicaments oecuméniques : tous
y étaient bien en évidence. Le ministre de la Santé a applaudi : nos impôts
sont bien utilisés.
Le phénomène est général et j’ai assisté l’autre jour au passage devant le Conseil national de l’ordre des médecins d’un généraliste ayant dénoncé les propos du président de l’AFEM, association de promotion de traitements hormonaux pour la ménopause, les recommandant contre le consensus édicté par l’AFSSAPS. C’est le médecin qui dénonce le fait qui passe en jugement et non l’auteur des faits... Notre médecine a perdu la boule. Dans le temps, le praticien ordonnait une prescription au pharmacien, maintenant c’est la pharmacie qui a le pouvoir sur la médecine moderne. Avec son geste de démission, Molimard, à qui l’on offrait un placard doré, s’est sacrifié sur l’autel de la lutte pour les intérêts du patient contre ceux de Big Pharma. A défaut de budgets publics, il a pu chercher ailleurs : de toute façon, les résultats ont été censurés ! Souhaitons qu’un jour il nous raconte cette histoire.
Il dit courageusement dans son petit ouvrage pourquoi les palliatifs nicotiniques (et ce sera idem pour Champix°) ne sont pas une solution pour redevenir durablement non-fumeur. Nous indiquons à nos clients de ne pas en user (pour être factuel, nous leur rendons leur chèque en demandant de sortir s’ils s’y refusent) : il se révèle que c’est une cause de rechute ! D’ailleurs, les chiffres officiels de l’observatoire de l’OFDT montrent que la tendance de leurs ventes en France était en baisse avant la promotion pré-électorale (qui avait été déconseillée par la mission parlementaire sur le sujet cet été...).
Le médecin du travail d’un laboratoire pharmaceutique dit en public l’autre jour, durant une conférence que nous animions, qu’il comprenait évidemment pourquoi le fumeur qui prend une béquille pour marcher risque la chute. Les promesses des patchs ne sont qu’une arnaque : s’ils permettent l’abstinence temporaire, le risque de rechute ensuite n’est pas réduit selon nos constats de terrain auprès de salariés fumeurs aptes au travail.
Soit dit en passant, les constats de terrain que nous faisons ne sont pas comparables aux études contrôlées réputées valables en médecine. Ces dernières se font en éliminant les cas à problème justement... Les résultats sont biaisés par la méthodologie. Et quand ils ne sont pas favorables aux intérêts du financeur de l’industrie chimiothérapeutique, ce qui est majoritairement le cas dorénavant, ils ne sont pas publiés. La revue Prescrire s’en faisait l’écho en juillet 2006. Les recommandations de l’AFSSAPS en matière d’aide à l’arrêt du tabagisme (2003) sont biaisées à différents niveaux par ces conflits d’intérêts, ce qui se sait parfaitement dans le monde médical.
Et quand on dit que les aides médicamenteuses ’doublent les chances de succès’ comme une rengaine, on nous cache les scores dans l’absolu, qui restent voisins des résultats des traitements placebo. Zéro multiplié par deux, cela fera toujours zéro ! Plus précisément, on est dans l’ordre du ’pourcent’, de l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Le Pr Molimard est quasiment la seule référence médicale dénonçant cette énorme mystification pharmaceutique, et nous devrions définitivement lui en être gré. Il ne cesse aussi de dénoncer les effets nocifs du tabagisme, avec un discours que les fumeurs comprennent. Si nous nous trompons, qu’on nous le dise...