Coronavirus - Combien coûte le décalage du confinement

par Alexis Toulet
lundi 8 février 2021

 

Les autorités ne publient pas les simulations de l’épidémie qu’elles utilisent. Il est cependant possible de reconstituer à partir des données publiques une modélisation de l’épidémie dans la période de début janvier à début mars 2021, qui à la fois rend compte du "plateau" actuel dans les contaminations et montre l’augmentation accélérée qui suivra en deuxième moitié de février, et qui rendra tôt ou tard inévitable un nouveau confinement strict.

L’outil permet encore de modéliser l’effet de ce nouveau confinement en fonction de la date à laquelle il sera décidé. Les conclusions sont sans appel : trois semaines de décalage supplémentaire rallongeraient encore le confinement de plus de deux semaines avec un surcoût de l’ordre d’une trentaine de milliers de vies, 35 milliards de PIB et 20 milliards de dette publique.

Les modélisations de l’épidémie utilisées par les autorités françaises comme base de leurs décisions ne sont pas publiques, ce qui peut renforcer l’impression d’une dispute de nature politicienne entre partisans par principe du reconfinement et partisans par principe de l’ouverture à tout prix. Cela participe de l’opacité des autorités françaises quant aux raisons de leurs décisions, qui contraste avec la communication complète et réaliste d’autres gouvernements, comme par exemple celui de Singapour.

Est-il possible, à partir des données publiques, de reconstituer une modélisation de la phase actuelle de l’épidémie qui fasse sens, et qui permette à chacun d’évaluer par lui-même les arguments des uns et des autres  ? Oui.

Construite par une seule personne et à partir des seules données publiques, la modélisation sera certes moins détaillée et probablement moins précise que celles dont les autorités doivent disposer - et qu’elles se gardent bien de publier. Mais elle permettra bien de comprendre ce qui est en train de se passer, et notamment :

Dans un premier temps, j’exposerai les éléments de base du modèle, et discuterai également ses simplifications donc ses limites.

Dans un deuxième temps, j’en détaillerai l’aspect mathématique. La feuille de calcul permettant de générer les simulations est jointe. Cette partie peut sans inconvénient être négligée par les personnes que l’aspect mathématique n’intéresse pas.

Enfin, j’exposerai les résultats, avec les visualisations de la dynamique prévisible de l’épidémie dans les prochaines semaines, ainsi qu’après le début du confinement en fonction de la date à laquelle Emmanuel Macron, forcé par les événements et après avoir refusé les propositions des scientifiques cherchant à minimiser le coût en vies et en argent du confinement en le commençant plus tôt, décidera de reconfiner, comme Boris Johnson l’a fait le 5 janvier devant l’explosion des contaminations en Grande-Bretagne, et peut-être aussi tard que lui.

Voici pour commencer les principales conclusions

Principales conclusions

  1. En l’absence de confinement, le rythme moyen des contaminations augmentera nettement à partir de la mi-février et dépassera les 40 000 vers début mars
  2. A partir du 20 février environ, les nouveaux variants plus contagieux (britannique, sud-africain, brésilien) seront majoritaires parmi les nouvelles contaminations
  3. Par rapport à la mise en place dès lundi 8 février d’un nouveau confinement strict continué jusqu’à ce que les contaminations puissent être maîtrisées par traçage et isolation (situation similaire à juin-juillet 2020), le décalage du confinement au 15 février, 22 février et 1er mars coûtera respectivement de l’ordre de
    • 15 février : + 6 000 morts et + 4 jours de confinement soit presque 10 milliards d’euros de PIB et 5 milliards d’euros de dette publique
    • 22 février : + 15 000 morts et + 9 jours de confinement soit 20 milliards d’euros de PIB et 11 milliards d’euros de dette publique
    • 1er mars : + 29 000 morts et + 16 jours de confinement soit plus de 35 milliards d’euros de PIB et 20 milliards d’euros de dette publique

Les éléments du modèle

La modélisation est basée sur les données suivantes :

Les hypothèses suivantes sont utilisées :

D’autre part, le modèle présente les simplifications suivantes :

Aspect mathématique

Dans les conditions prévalant en France jusqu’au 22 janvier - apparition de l’effet du couvre-feu à 18 heures - le rythme des contaminations au variant classique du Covid-19 augmente d’un facteur quotidien inconnu ρo, tandis que le rythme des contaminations aux nouveaux variants augmente d’un facteur quotidien ρa. D’autre part le passage au couvre-feu à 18 heures diminue le rythme des contaminations à tous les variants du virus d’un facteur inconnu α.

Ces facteurs peuvent être évalués à partir du nombre moyen des contaminations au 8 janvier (15 338) et du pourcentage des variants dans le total (3,3%), au nombre moyen des contaminations au 3 février (20 615) et pourcentage des variants dans le total (21,3%) ainsi que du nombre moyen des contaminations en milieu de période (19 760 au 22 janvier). Il vient :

Les valeurs calculées servent de base à la modélisation de la propagation de l’épidémie entre début janvier et début mars - voir visualisation plus bas. La simulation prévoit une proportion des nouveaux variants dans le total des contaminations de 13,4% au 27 janvier, proche de la valeur mesurée de 14%, ce qui crédibilise le modèle.

On peut noter que compte tenu d’un intervalle intergénérationnel moyen estimé à 6 jours - intervalle entre deux "générations" du virus - les facteurs calculés correspondent pour la période depuis le 22 janvier à un facteur de reproduction pour le variant classique et pour les nouveaux variants respectivement de :

Voici la feuille de calcul générant les simulations.

Les résultats

La simulation de la propagation de l’épidémie dans la période entre début janvier et début mars 2021 mène bien au "plateau" actuel dans le rythme de contaminations, suivi à partir de la mi-février d’une augmentation de plus en plus rapide.

La raison apparaît clairement à la lecture du graphique : le couvre-feu à 18 heures d’une part fait diminuer lentement le variant classique du virus, d’autre part est insuffisant pour faire mieux que légèrement ralentir les nouveaux variants. En ce début de février, le variant classique restant majoritaire, il y a équilibre entre la lente diminution de ce variant et l’augmentation des autres, certes rapide mais partant d’une base beaucoup plus basse. Au cours du mois de février, les nouveaux variants devenant progressivement majoritaires, l’équilibre est rompu et c’est le comportement d’augmentation rapide des variants britannique, sud-africain et brésilien qui apparaît.

Contaminations détectées, moyenne sur 7 jours
Orange = total mesuré  ; Gris = modélisation variant classique  ; Bleu = modélisation autres variants

Sous les hypothèses listées plus haut, voici l’effet sur les contaminations d’un confinement strict, de type "Britannique" actuel, s’il est mis en place lundi 8 février. La date de chute du nombre moyen de contaminations quotidien en dessous de 5 000 - permettant de mettre en place la stratégie la plus efficace "Tester Tracer Isoler" - est calculée au 23 mars soit un confinement de 43 jours : environ 6 semaines.

Confinement strict mis en place le 8 février
Durée 43 jours - Levée du confinement le 23 mars

Les trois simulations suivantes modélisent l’effet d’un confinement strict mis en place 1 semaine, 2 semaines ou 3 semaines plus tard, c’est-à-dire les 15 février, 22 février et 1er mars respectivement.

A chaque fois, la durée du confinement augmente car la situation de départ est empirée. De plus, le nombre total des contaminations est augmenté, à la fois parce que la situation de départ est pire et parce que le tout - décalage + confinement - a duré plus longtemps. Il en résulte naturellement un plus grand nombre de morts. Ce décalage a également un coût économique important, estimé à partir des données citées plus haut sur le coût de chaque semaine de confinement.

Enfin, un nombre plus grand d’emplois sont mis en danger, et le poids psychologique subi par l’ensemble de la population - durée de l’isolement notamment - est alourdi.

Confinement strict mis en place le 15 février
Durée 47 jours - Levée du confinement le 3 avril
Décalage 1 semaine entraîne + 6 000 morts et + 4 jours de confinement

Confinement strict mis en place le 22 février
Durée 52 jours - Levée du confinement le 15 avril
Décalage 2 semaine entraîne + 15 000 morts et + 9 jours de confinement

Confinement strict mis en place le 1er mars
Durée 59 jours - Levée du confinement le 29 avril
Décalage 3 semaines entraîne + 29 000 morts et + 16 jours de confinement

Une grande partie des pertes humaines et des coûts monétaires et psychologiques subis pendant un nouveau confinement strict sont désormais inévitables. Seuls les pays qui ont su d’abord éradiquer le virus sur leur territoire, ensuite lutter contre toute nouvelle flambée par la combinaison des stratégies tester / tracer / isoler et sas de contrôle aux frontières, peuvent les éviter.

L’enjeu à ce stade est de limiter ces pertes humaines, ces coûts en argent et ces dégâts psychologiques en reconnaissant l’inévitable et en n’acceptant plus aucun délai, qui ne fait qu’empirer la situation.

La décision est dans les mains du président de la République Emmanuel Macron. Elle dépend de son sens de l’anticipation et de sa capacité à regarder en face les réalités, même les plus dures.

Charles de Gaulle le disait : "Toujours le chef est seul en face du mauvais destin".

 

(1) - Le taux de létalité moyen au Covid-19 tous âges confondus compte tenu d’une prise en charge médicale du meilleur niveau (hospitalisation, réanimation) est estimé suivant les études entre 0,5% et 1%. L’immunité collective étant estimée aux alentours de 66% de la population pour le variant classique du virus, donc 80% pour le variant britannique plus contagieux, il faudrait envisager la mort d’au moins 0,5% à 1% de 80% des 67 millions de la population française c’est-à-dire 250 à 500 mille personnes - mais en fait davantage étant donné que tous ne pourraient être pris en charge par des services de réanimation débordés. Ce sacrifice ne procurant d’ailleurs aucun bénéfice aux survivants puisque l’immunité collective à un variant du virus ne garantit pas l’immunité aux autres, voir la situation de Manaus au Brésil, il faudrait donc compter sur une autre ponction de centaines de milliers de vies un peu plus tard dans l’année

(2) - Bien sûr, la stratégie tester / tracer / isoler n’a pu être efficace que jointe à un "sas" de contrôle aux frontières permettant de protéger le pays contre les recontaminations venues de l’étranger. A titre d’exemple, un voyageur entrant en Corée du Sud non seulement subira un test Covid-19 mais devra même en cas de résultat négatif se soumettre à une quarantaine obligatoire de 14 jours avant d’être autorisé à se déplacer dans le pays. Un tel dispositif est praticable pour des pays au commerce extérieur plus intense que le français - Corée du Sud et d’autres - il le serait à plus forte raison pour la France, soit à ses frontières nationales, soit à celles de l’espace Schengen suivant le choix des partenaires européens du pays


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