Coronavirus : quand le calendrier accable Macron
par Laurent Herblay
samedi 4 avril 2020
Il y a une semaine, Macron s’est défendu dans la presse italienne d’un « éventuel retard français ». Encore une fois, il intervient sans véritable contradiction, refusant le légitime questionnement démocratique qu’un dirigeant élu devrait accepter. Mais il montre surtout qu’il sait qu’il a tardé, que cela se voit, et qu’il croit que nier l’évidence pourrait le servir... L’examen du calendrier n’est pas tendre...
Ce qui était su, et quand
Pour refaire le film, je me suis basé sur l’excellent article de Pascal Marichalar, chercheur au CNRS, qui a recensé les publications de Science pour faire son évaluation. J’ai également repris tous les articles de The Economist depuis le mois de janvier, pour identifier ce que de simples journalistes savaient, et que des dirigeants devaient a minima connaître un peu avant…
Cette analyse est accablante. Dès la fin janvier, l’urgence est claire : le 30 janvier, l’OMS sonne l’arlerte et fait du coronavirus « une urgence de santé publique au niveau mondial », du fait de ce qui se passe hors de Chine. Le 5 février, Science évoque une possible pandémie, du fait des patients asymptomatiques, et pointe la nécessité de tester à grande échelle. Le 11, la revue alerte sur le danger de manquer de tests et indique les alternatives à mettre en place. Le 30 janvier, pour The Economist, « les autorités de santé doivent faire un plan aujourd’hui (…) il y a de grandes chances que (le covid) se répande autour du monde (…) ralentir sa progression passe par l’isolement des cas dès qu’ils apparaissent, tracer et mettre en quarantaine les personnes qui ont été en contact avec les victimes ».
Et de fait, beaucoup de pays se préparent. Pascal Marichalar note que le manque de tests « n’est pas une fatalité en Europe, comme le montre l’exemple de l’Allemagne » : dès janvier, Berlin s’est organisé pour pouvoir tester à grande échelle. Fin mars, le pays pouvait ainsi tester un demi-million de personnes par semaine, ce qui joue un rôle dans le nombre limité de morts. Georges Kuzmanovic pointe également la nette avance de l’Espagne pour les tests Les pays asiatiques ont également réagi vite, en testant à grande échelle, pour identifier et isoler les personnes touchées. C’est la stratégie de la Corée du Sud qui s’appuie sur des tests massifs et l’isolement des malades, tout comme Taiwan. Ils ont également restreint les mouvements de personnes, le Japon interdisant début février la venue de voyageurs passés à Hubei et Singapour toute entrée de personne passée en Chine.
Le 25 février, la pandémie est déclarée et le 28, l’OMS publie un rapport fruit de deux semaines passées en Chine pour étudier la gestion de l’épidémie, en voie d’être contenue. Le 27 février, The Economist se fait plus pressant, affirmant que « le virus arrive. Les gouvernements ont une quantité de travail énorme à faire ». Il recommande d’informer la population, de ralentir la transmission de la maladie et de préparer le système de santé à gérer l’afflux de malades. Ils rappellent le besoin d’isoler les malades et identifier leurs contacts, de mettre en place la distanciation sociale, par la fermeture des écoles, des lieux publics ainsi que des transports publics. Ils pointent la nécessité de bien cibler les personnes âgées. Ils soulignent aussi l’apport des nouvelles technologies utilisées en Asie.
Un manque complet et coupable d’anticipation
Le contraste avec le calendrier français est cruel. La France a attendu le 11 mars pour créer un conseil scientifique et le 24 mars pour créer un conseil d’anticipation. De telles instancse auraient du voir le jour au plus tard début février ! De même, nous voyons bien que les commandes de masques et de tests devaient être passées en janvier, comme l’Allemagne, ou au plus tard début février, moment où le risque de pandémie était clair. Le gouvernement ne donne pas l’impression d’avoir pris au sérieux ces sujets avant mi-mars, une première commande de 250 millions de masques étant annoncée le 21, qui devient un milliard le 28, mais avec un calendrier peu clair, à peine 2% arrivant sur mars… Idem sur les tests puisque le cap des cinquante mille par jour ne sera atteint que fin avril et les cent mille en juin !
Il faut aussi rappeler que Macron a décidé de changer de ministre de la santé mi-février ! Ensuite, la France a accepté la venue de trois mille supporters de la Juventus à Lyon le 26 février puis refusé obstinément de fermer nos frontières, contrairement aux autres pays ! Comme le note Pascal Marichalar, le 29 février, la majorité « détourne un conseil des ministres exceptionnel dédié au Covid-19 pour annoncer l’utilisation de l’article 49-3 » sur la réforme des retraites ! Pourtant, la sortie du rapport de l’OMS la veille aurait du imposer à l’exécutif de se concentrer sur le sujet initial, étudier le report des municipales, agir sur les commandes de masques et de tests, lancer des initiatives pour augmenter nos capacités d’accueil en réanimation, et mieux communiquer l’urgence de la situation auprès des Français pour ralentir l’épidémie. Las, le 4 mars, France 2 diffuse une émission pour nous rassurer, et le 6 mars, le président fait savoir qu’il sort et va au théâtre ! Les mesures annoncées le 12 mars étaient donc bien tardives.
Corine Lepage dénonce une « politique d’imprévoyance caractérisée », du fait de l’absence de commandes de masques, tests ou gels en janvier. Elle critique également la communication du gouvernement entre le « déni de gravité de la situation » ou les discours ubuesques sur l’inutilité des masques et tests. Elle affirme aussi que les raisons de santé publique ne pouvaient conduire qu’à un report des municipales, pointant les incohérences d’un gouvernement critiquant les sorties de certains le jour où il envoyait des millions de Français dans les bureaux de vote ! Et aujourd’hui, on constate tristement que de nombreuses personnes ayant participé à sa tenue ont été contaminées. Dès la fin février, il était clair que ces élections devaient être repoussées. Les maintenir était effarant, pour ne pas dire plus.
Pas étonnant que nous soyons 70% à ne pas juger le gouvernement honnête et 75% à ne pas être rassurés et à penser qu’il n’a pas pris les bonnes décisions au bon moment. L’exécutif devrait éviter de la ramener sur sa prétendue prévoyance quand le calendrier l’accable. Car outre le manque d’anticipation, il continue à nourrir le juste procès en arrogance et en malhonnêteté.