COVID 19 - Ces chiffres qui nous posent des questions
par Miguel Ramis
samedi 17 octobre 2020
Les derniers chiffres de l'épidémie publiés en France ont tiré l'alarme et provoqué la mise en place d'un couvre-feu strict pour un tiers de la population. Ils nous alertent sur notre capacité à résister à une nouvelle vague de l'épidémie de la COVID 19. Selon ces données, plusieurs départements auraient déjà dépassé la cote d'alerte. Mais comment ces chiffres ont-ils été calculés et quelle est la réalité du terrain ? Nous avons voulu comprendre.
Chambres de réanimation en tension
C'est en voyant la carte publiée le 5 octobre par la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), qu'on a réellement commencé à s'inquiéter de la situation des services de réanimation. À cette date, on atteignait 30% d'occupation des lits en réanimation disponibles en France. Mais ce taux variait beaucoup selon les départements. De 0% (dans huit départements) à plus de 50% (dans huit autres), et jusqu'à 116% dans l'Eure. De quoi faire peur, effectivement. Mais ce chiffre ne représente qu'une réalité liée au nombre de lits disponibles localement dans les départements et non pas la proportion de cas graves localement. Depuis lors, les cas se sont encore multipliés, passant de 1.404 personnes en réanimation à 1.660.
En réalité, ces chiffres ne prennent en compte que les lits de réanimation destinés aux patients les plus gravement atteints, dont le pronostic vital est engagé. Ils sont destinés principalement aux patients nécessitant une ventilation "mécanique et invasive", selon la définition officielle par le code de la santé publique. À côté de ces unités, il existe aussi des unités de soins intensifs, destinés aux différentes spécialités (cardiologie, pneumologie, neurologie, etc.). Dans ces unités, les malades nécessitant une ventilation externe disposent de masques respiratoires. Les hôpitaux mettent également en place des chambres en soins continus pour les patients présentant une pathologie grave qui nécessite une surveillance continue. Dans ces unités également, on peut "ventiler" les personnes ponctuellement avec des appareils mobiles. Au total, la France possède donc plus de 19.000 lits en "urgence", dont près de la moitié munis de matériel respiratoire, soit une moyenne de 29 lits pour 100.000 habitants. On cite souvent les 25.000 lits mis en place en Allemagne contre nos pauvres 5.432 lits, mais on ne parle pas vraiment de la même chose.
Si l'on compare la France avec les autres pays industrialisés*, elle se situe en dixième position du classement pour le nombre de lits pour mille habitants (5.921 lits), loin derrière le Japon et la Corée du Sud (plus de 12.000 lits) mais pas si loin de l'Allemagne ou de l'Autriche (8.000 et 7.270). D'autres pays, comme l'Italie ou l'Espagne, sont dans des situations plus difficiles, avec plus ou moins trois mille lits disponibles (3140 et 2.970 respectivement). Faut-il voir là la raison de taux de la mortalité causée par la COVID-19 aussi différents entre ces différents pays ? Aucun chiffre n'est disponible à ce propos.
* source OCDE
Un choix plus politique que sanitaire
Les pouvoirs publics, principalement le ministère de la santé, ont choisi de ne diffuser que les chiffres concernant les unités les plus pointues, les "réanimations pures" qui posent le plus de problèmes de ressources humaines. C'est donc sur la base de ce chiffre que les décisions récentes ont été prises.
La question est donc de savoir de combien de lits de réanimation dispose chaque département. Tous les chiffres cités aujourd'hui se basent sur les statistiques publiées en 2018 par la DREES. On constate alors de grandes différences selon les régions. On compte quarante départements disposant de moins de cinq lits de réanimation pour 100.000 habitants et même neuf qui en possèdent moins de trois !* Lorsqu'on a parlé d'une saturation dans un département comme l'Eure, c'est parce que quatorze cas avaient été admis en réanimation pour douze lits disponibles. Entre-temps, la cote d'alerte dans l'Eure est redescendue à 50%, le nombre de personnes en réanimation étant passé à six. Malheureusement, il est possible que certains de ces patients sont décédés, cinq décès à l'hôpital dans le département étant intervenu durant la même période. Si ce département bénéficiait d'un nombre de lits équivalent à la moyenne nationale, il devrait posséder 60 lits en réanimation et ne n'aurait été qu'à 23% de taux de remplissage au maximum. Le même calcul peut être effectué pour la plupart des autres départements les plus touchés.
*(sources INSEE et DREES, 2019)
Moins de 3 lits pour 100.000 habitants :
Eure, Deux-Sèvres, Vosges, Côtes d'Armor, Ardèche, Mayenne, Vendée, Vaucluse et Morbihan
A contrario, d'autres départements sont largement mieux pourvus. Le Calvados, par exemple, voisin de l'Eure, dispose de près de 100 lits de réanimation, occupés à 17% (chiffre au 14 octobre). Sur l'ensemble de l'Île-de-France, on compte actuellement 511 personnes en réanimation, soit 43% d'occupation des lits d'urgence.
Une réalité différente.
La situation semble donc réellement préoccupante. Toutefois, elle pourrait paraître quelques fois très différente si on rapporte le nombre de cas à la population, au lieu du nombre de lits de réanimation. Paris, tout particulièrement, ainsi que Lyon et Marseille, qui atteignent un taux supérieur à cinquante personnes en réanimation pour cent mille habitants.
Si les chiffres publiés quotidiennement par les agences régionales de santé ne sont pas remis en cause, une cartographie basée sur le nombre de personnes en réanimation par rapport à la population dresse une image quelque peu différente de celle que présentent les pouvoirs publics. Les départements disposent en moyenne de 6,7 lits en réanimation pour 100.000 habitants. Les 1.660 personnes actuellement dans cette situation sont encore loin de saturer les services qui disposent de 5.400 lits dans ces services. Le problème étant de faire cohabiter les réanimations "normales" avec celles dues au Coronavirus.
Selon les chiffres publiés hier, onze départements sont au-dessus de la moitié des lits occupés par les malades en réanimation pour Covid-19 :
Département |
% du nb de lits occupés |
Nb. lits/100.000 hab |
---|---|---|
Seine-Saint-Denis |
75,00 % |
6,16 |
Ariège |
75,00 % |
5,22 |
Ardèche |
75,00 % |
2,46 |
Guadeloupe |
72,41 % |
7,43 |
Vaucluse |
68,75 % |
2,86 |
Martinique |
65,52 % |
7,78 |
Seine-et-Marne |
61,04 % |
5,48 |
Loire |
58,97 % |
10,22 |
Val-d'Oise |
58,33 % |
4,88 |
Essonne |
55,67 % |
7,48 |
Gard |
51,02 % |
6,58 |
Lien vers la carte dressée par l'ESRI quotidiennement : ESRI
Lorsqu'on rapporte le nombre de patients hospitalisés en réanimation au niveau de la population du département, la situation est légèrement différente. Certains départements, comme le Vaucluse, l'Ardèche ou le Gard ne devraient théoriquement pas figurer parmi les régions en tension s'ils disposaient d'un nombre "normal" de lits en réanimation. De même, la Seine Saint-Denis n'a que 100 lits de réanimation disponibles pour une population de 1,6 millions d'habitants (6,16 0/00) et le Val d'Oise, 60 lits pour 1,2 millions d'habitants (4,88 0/00).
Et cette situation est encore plus évidente lorsque l'on compte l'ensemble des lits d'urgence par département, où les différences se creusent encore. Bien entendu, on peut comprendre que Paris dispose de plus de lits que les autres régions, en raison de la présence d'un plus grand nombre de spécialistes et la concentration habituelle en France. La capitale possède 62 lits en "urgence" contre une moyenne nationale qui se situe à 29 lits pour 100.000 habitants. Mais comment comprendre que le Val d'Oise, l'Oise, le Morbihan ou la Vendée, par exemple, quatre départements où la population dépasse le demi-million d'habitants, ne soient pourvus que de quinze ou seize lits d'urgence, soit quatre fois moins ? D'autres départements, au contraire, sont plus chanceux et comptent plus de 45 lits d'urgence, comme la Haute-Garonne, la Côte d'Or, la Meurthe-et-Moselle, et le Doubs, jusqu'à 57 lits pour la Haute-Vienne, par exemple.
Quelle responsabilité porte le gouvernement dans cette situation ?
On le voit bien en examinant ces données, la crise sanitaire tient plus au manque de lits de réanimation qu'à l'expansion incontrôlable de l'épidémie. On est encore loin du sommet atteint en avril dernier, qui atteignait plus de 7.700 personnes en réanimation, à comparer avec les 1.642 personnes actuellement hospitalisées dans ces services. Si l'on rapporte le nombre de personnes en réanimation par rapport au nombre total des lits d'urgence, on atteint moins de dix pourcents d'occupation des lits. L'ensemble des personnes hospitalisées pour cause de COVID-19 représente moins de deux pourcents de l'ensemble des lits disponibles "théoriquement", c'est-à-dire sans compter les lits fermés pour cause de manque de personnel.
Le plus inquiétant dans la situation que nous vivons actuellement est le constat que rien, ou presque, n'a été fait au niveau des urgences depuis le mois de mai. On aurait pu croire que le gouvernement, disposant de moyens élargis grâce à cette crise sanitaire, investirait massivement dans les services de santé pour corriger les erreurs constatées durant les mois précédents. Il semble s'être complètement focalisé sur les tests PCR, qui ont prouvé leur inefficacité pour ralentir l'épidémie. Avec seulement vingt centres de dépistage ouverts en Île-de-France, il faudrait que chacun accueille plus de 100.000 personnes par semaine pour détecter réellement tous les cas positifs ! On a laissé de côté les tests sérologiques, qui permettraient pourtant de détecter un grand nombre de cas, asymptomatiques ou non, avec une mise en place beaucoup plus simples. Le ministère de la Santé vient enfin d'autoriser l'utilisation de tests antigéniques et salivaires, mais uniquement pour les personnes présentant les symptômes de la maladie.
L'auto-dépistage, la voie d'avenir ?
L'Université de Liège, en Belgique, a mis au point un kit de dépistage individuel, appelé le "Screening Covid-19". Le mode d'emploi est simple. Il s'agit d'un test salivaire réalisé hebdomadairement de manière autonome. Même si ce type de test est théoriquement moins efficace que l'exploration nasale, l'Université a démontré statistiquement l'intérêt de cette méthode.
L'Université a mis en place un kit permettant de tester l'ensemble des étudiants et des personnels, soit 30.000 personnes, toutes les semaines. Selon les chiffres publiés sur leur site, ce test salivaire permet de détecter environ 180 personnes positives, même asymptomatiques, alors qu'il n'aurait jamais pu réaliser des frottis naso-pharyngés sur une telle échelles. Les tests PCR réalisés actuellement à l'échelle de la Belgique permettraient de détecter 80 cas positifs à peine sur le même groupe !
Réfléchissons un peu… Vaut-il mieux tester chaque semaine plusieurs millions de personnes pour détecter et mettre à l'isolement rapidement les cas positifs ; ou bien mobiliser des services de santé et des laboratoires pour n'en détecter que deux ou trois fois moins, au bout de 48 heures au minimum ? Poser la question, c'est y répondre.