Covid-19 : le passe sanitaire né dans la douleur en France

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 12 mai 2021

« Il y aura une nouvelle délibération ce soir et il y aura un "passe sanitaire" ! » (Jean Castex, le 11 mai 2021 à 20 heures sur France 2).

Rien ne va plus au sein de la majorité parlementaire. Mais auparavant, présentons le contexte de ce moment parlementaire.

L’heure est au troisième déconfinement. À ma grande surprise, les données montrent une véritable décrue de l’épidémie en France, avec un niveau proche de celui du début du mois de février 2021. Le nombre de lits occupés en réanimation a nettement chuté depuis la fin avril 2021, en passant d’un peu plus de 6 000 à nettement moins de 5 000 (on en est à 4 743 au 11 mai 2021). Le nombre des personnes hospitalisées pour covid-19 est descendu à 25 000 après être monté à plus de 31 000.

Le nombre de nouveaux cas aussi a chuté, à moins de 18 000 par jour en moyenne sur les sept derniers jours. Quant au nombre des décès chaque jour, lui aussi a chuté à 222 chaque jour en moyenne sur les sept derniers jours, et cela malgré encore un grand nombre de personnes contaminées, grâce à la politique vaccinale (ce que peut illustrer avec évidence la mortalité devenue très faible dans les EHPAD). Décès et nouveaux cas baissent actuellement d’environ 20% chaque semaine.

C’est lent mais notable. Cela ne signifie pas que l’épidémie est terminée en France (il y a quand même un malade admis en réanimation pour covid-19 toutes les cinq minutes), mais on peut espérer être optimiste : le taux d’incidence moyen est en chute libre (il est, au 8 mai 2021, à 183,9 nouveaux cas par 100 000 habitants en sept jours). Le taux de reproduction effectif est aussi en chute libre, à 0,76 au 1er mai 2021, il n’a jamais été aussi bas depuis le 3 décembre 2020. Enfin, le taux de positivité des tests PCR est de 5,4% au 8 mai 2021, en chute libre aussi, jamais aussi bas depuis le 2 janvier 2021 (ce taux permet de faire la part des choses sur les nouveaux cas, en fonction du nombre de tests réalisés).

L’enjeu pour les Français, c’est de pouvoir redescendre en dessous du palier qui s’était maintenu juste après le deuxième confinement, en décembre 2020, et de redescendre comme cela avait été le cas après le premier confinement. L’heure est au déconfinement, avec le risque de relâchement des gestes barrières et une recrudescence de l’épidémie en France soit à cause du comportement des Français, soit à cause de l’arrivée de nouveaux variants plus résistants aux vaccins (le variant indien par exemple). Mais ce déconfinement est nécessaire, le couvre-feu n’a pas cessé depuis octobre 2020 et les gens ont besoin de souffler. Il suffit d’ailleurs de voir à quel point ce week-end de l’Ascension va être l’une des premières vraies périodes de détente après la rentrée de septembre 2020, à la fin duquel, le 19 mai 2021, le report du couvre-feu à 21 heures, l’ouverture des terrasses, etc.



Alors, dans cette logique optimiste, on reparle du "pass sanitaire". Je garderai l’expression même si je suis désolé de ne pas employer le mot français, "passeport sanitaire" qui aurait tout à fait convenu malgré ses cinq lettres supplémentaires, mais peut-être est-ce plus raisonnable de séparer les deux mots, "passeport" fait un peu trop policier, "pass", cela fait penser au "pass Navigo", une sorte de laisser-passer vers la liberté. Après réflexion, je vais plutôt adopter, lorsqu’il est collé au mot "sanitaire", l’expression des parlementaires français : "passe sanitaire". Cela fait penser à "passe-muraille".

On distinguera précisément le "passe sanitaire" du "passe vaccinal" même si, à mon sens, le principe reste le même. Le "passe vaccinal", c’est de réserver l’accès à un certain nombre d’activités ou de lieux à ceux qui ont été vaccinés contre le covid-19. Précisons que le vaccin ne suffit pas à se préserver du covid-19, il réduit la probabilité d’attraper le coronavirus sans cependant l’exclure totalement. Les trois principaux vaccins autorisés et utilisés en France ont en effet une efficacité de 95% (donc, pas de 100% : vouloir trouver et amplifier médiatiquement des cas de personnes vaccinées qui ont attrapé le covid-19 n’apprend donc rien, c’est le principe d’un vaccin, certains passent à travers les trous de la raquette, il faut dire que dans le cas de ces vaccins, les trous de la raquette sont particulièrement petits).

Le "passe sanitaire" élargit l’accès aux mêmes activités et lieux non seulement aux personnes vaccinées, mais aussi à ceux qui peuvent prouver qu’ils ne seront pas un danger pour les autres, à savoir des personnes testées négatif récemment, ou encore, des personnes qui sortent récemment de la maladie et ne peuvent plus l’attraper à court terme (en principe, là encore, il y a des cas contraires).

Concrètement, on parle d’un QR code à charger sur son smartphone, mais comme le "pass" doit être accessible même à ceux qui n’utilisent pas de smartphone, un simple certificat ou attestation d’avoir reçu le vaccin, d’avoir été testé négatif ou d’avoir eu une fin de maladie suffit pour servir de "pass".

D’un point de vue pratique (et politique), il faut donc bien définir les cas où les usagers en auront besoin des cas où il ne sera pas nécessaire, également, tenter une harmonisation au moins européenne, ne serait-ce que pour permettre le tourisme ou les voyages professionnels avec des règles à peu près identiques.

D’un point de vue juridique, il faut s’inquiéter aussi des transmissions de données. Le QR code ("quick response code") a l’avantage de n’indiquer qu’un "ok" ou "pas ok" sur le "pass", sans savoir si son propriétaire est vacciné, ou testé négatif, etc., tandis que le certificat ou attestation est un document très précis, intégrant les numéros de sécurité sociale, la date de naissance et d’autres informations médicales plus ou moins confidentielles (marque du vaccin, etc.). En revanche, cette attestation papier sera lisible physiquement et ne sera donc pas intégrée dans une base de données numérique au contraire du QR code qui serait lu par un appareil numérique.

D’un point de vue démocratique, il faut que la population soit dans l’acceptabilité d’une telle mesure, et cette acceptabilité passe d’abord par l’universalité de la possibilité de se faire vacciner. À partir du 10 mai 2021, les plus de 50 ans peuvent se faire vacciner, et à partir du 12 mai 2021, les plus de 18 ans peuvent se faire vacciner du jour au lendemain s’il reste des rendez-vous libres, sinon, ils devront encore attendre le 15 juin. On comprend qu’un tel "pass" ne pourra être mis en application que le jour où toutes les personnes qui veulent être vaccinées soient dans la capacité de l’être, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.



D’un point de vue économique, on mesure l’importance de ce "pass" : il permettra d’avoir la saison estivale en plein rendement avec une certaine garantie que le risque de se faire contaminer (par les autres) ou de contaminer (les autres) est très faible. Si on table sur l’absence d’une quatrième vague (en automne 2021) grâce à la vaccination (au 11 mai 2021, il y a eu plus de 18,1 millions de personnes qui ont reçu au moins la première dose, soit plus du quart de la population totale), alors cet été devrait être le début du rebond économique et il faut donc mettre tout en œuvre pour l’accompagner, le renforcer, l’amplifier. Ce "pass" devrait y contribuer.

Le choix du gouvernement français a toujours été de rester dans un principe d’égalité pour tous, tout en ne fermant aucune porte sur des restrictions d’accès par un tel "pass", d’une part, dans un objectif d’harmonisation européenne sinon internationale (généralement, on adopte des mesures diplomatiques réciproques avec les pays partenaires, quels qu’ils soient ; ainsi, les conditions des déplacements entre États-Unis et Union Européenne restent encore très incertaines), d’autre part, dans un objectif de soutien à la croissance économique.

Ce choix, sage, consiste à considérer que tout ce qui relève de gestes de la vie quotidienne doit être accessible à tous, y compris à ceux qui ne sont pas vaccinés ou qui n’ont pas été testés (par exemple, faire ses courses, etc.), mais ce qui n’est pas un acte quotidien, comme participer à une manifestation culturelle ou sportive rassemblant des milliers de personnes ou embarquer pour un vol aérien international, alors le "pass" paraît justifié sans mettre en danger les libertés publiques dans une certaine discrimination. Évidemment, la ligne de crête est fine et certaines situations pourront prêter à contestation, interprétation, voire confusion.

L’Union Européenne a présenté le principe d’un "passeport vert" le 17 mars 2021 avec application pour la fin du mois de juin 2021. Le comité d’urgence sur le covid-19 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), réuni le 15 avril 2021, a annoncé le 19 avril 2021 être opposé à l’obligation d’un passeport vaccinal pour les vols internationaux.

Du point de vue législatif, ce "pass" doit donc faire l’objet d’une loi qui doit donc rassembler une majorité de députés (la majorité au Sénat est moins nécessaire puisqu’à la fin, l’Assemblée Nationale aura le dernier mot). Son principe est donc intégré dans l’article 1er du projet de loi relatif à la gestion de la sortie sanitaire (n°4105), déposé le 28 avril 2021 par le gouvernement qui a engagé la procédure accélérée. Le texte est examiné en séances publiques depuis le 10 mai 2021.

Or, le "pass" proposé par les députés LREM a été …rejeté par les députés MoDem, qui font pourtant partie de la majorité parlementaire. Et depuis plusieurs mois, le groupe LREM n’a plus la majorité absolue sans l’apport de son allié exigeant, le MoDem. J’ai rangé cet article dans la rubrique Santé/Covid mais il aurait pu aussi se ranger dans la rubrique Politique. En effet, à onze mois de l’élection présidentielle, voici que le MoDem montre son importance stratégique (et arithmétique) au sein de la majorité. Le rejet a eu lieu avec 8 voix d’écart seulement, et les députés MoDem ont su fédérer les élus LR.

Selon les différents commentaires, le rejet des députés du MoDem aurait deux finalités : une finalité immédiate qui est de défendre les jeunes, et une finalité à plus long terme qui est d’être un peu mieux considérés par le gouvernement dans la construction des textes. Défendre les jeunes, pour le MoDem, cela signifierait rouvrir les discothèques, fermées depuis le samedi 14 mars 2020 et jamais rouvertes depuis ces quatorze mois. S’il doit y avoir un "passe sanitaire", alors il faut l’utiliser aussi pour permettre la réouverture des discothèques à partir du 1er juillet. Mieux considérés par le gouvernement que d’être informés des intentions du gouvernement par une interview du Premier Ministre Jean Castex par le journal "Le Parisien" du 10 mai 2021.

Jean Castex a donc dû faire le service avant-vente dans le journal de 20 heures de ce mardi 11 mai 2021 sur France 2, pour annoncer qu’il y aurait une nouvelle délibération cette nuit du 11 au 12 mai et que le "passe sanitaire" serait voté, tout en refusant d’avoir un horizon précis pour les discothèques : « Pour les boîtes de nuit, je ne suis pas en mesure de donner un horizon. ». Jean Castex aurait tort de ne pas prendre en compte l’avis du MoDem considéré souvent comme un allié "supplétif" même si, désormais, il est indispensable à la stabilité gouvernementale.

Toujours est-il que cela donne une petite ambiance de Quatrième République et de marchands de tapis qu’un scrutin à la proportionnelle ne manquerait pas de renforcer dans le cas où celui-ci serait adopté pour les élections législatives (ce qui est trop tard pour le scrutin de juin 2022).

Jean Castex en a profité pour faire le service après-vente, cette fois-ci, du vaccin AstraZeneca, dont deux millions de doses sont maintenant disponibles en France : lui-même s’est déjà fait injecter la première dose et il demande à être imité par tous les Français non encore vaccinés de plus de 55 ans.

Rendez-vous donc dans quelques heures sur le résultat de la séance de nuit, mais cela montre aussi que les sénateurs viendront avec leurs idées et amenderont nécessairement ce projet de loi qui présente une urgence, puisqu’il s’agit de savoir comment déconfiner en juin et juillet prochains.


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Sylvain Rakotoarison (11 mai 2021)
http://www.rakotoarison.eu


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