Des streptocoques impliqués dans des décès H1N1. Les experts en question !

par Bernard Dugué
jeudi 14 janvier 2010

La question des experts, de leur rôle, de leur compétence, de leur impartialité, a souvent été posée à propos du déroulement de la « pandémie grippale de 2009 ». La dramatisation de cette grippe a été critiquée quelques professionnels peu nombreux mais maintenant que la vague épidémique est passée, les voix peuvent se délier, surtout que des informations tombent et notamment celle que je vais commenter et qui mérite le détour.

Souvenez-vous, c’était à la mi-décembre. La ministre qui préconise l’usage du Tamiflu et la controverse qui s’en suit. Le directeur de la santé montre au créneau, pour justifier les choix face aux critiques. « En réponse à ces réactions, Didier Houssin s’est justifié hier en conférence de presse. Selon lui, "cette recommandation de l’élargissement de la prescription des antiviraux vise à limiter les conséquences d’une grippe pandémique dont on a vu déjà les impacts". Il cite également des observations faites au Chili et en Argentine. Le taux de mortalité de la grippe A serait beaucoup plus faible au Chili, où l’utilisation des antiviraux était large, qu’en Argentine où ces traitements étaient réservés aux cas graves. » (Doctissimo, 16/12)


A cette époque, j’avais observé les chiffres et effectivement, au Chili, la mortalité grippale semblait de moitié inférieure à celle de l’Argentine (facteur 0.6) Des résultats à prendre avec précaution car au vu des quelques centaines de décès, c’est un peu faible comme échantillon. Par ailleurs, ces décès peuvent être liés à des facteurs non grippaux, de type viral ou bactériens. N’importe quel étudiant en médecine sait que des pneumopathies foudroyantes peuvent être causées par des bactéries. Mais était-ce le cas en Argentine où les autorités avaient décelé une mortalité supérieure à celle d’autres pays ? Eh bien oui et une étude récente l’a montré. Selon l’auteur de la publication, Gustavo Palacio, les analyses effectués à partir de prélèvements ont mis à jour un nouveau facteur de risque chez les patients authentifiés comme morts de la grippe. On savait que le diabète et l’obésité, l’asthme et d’autres pathologies rendaient les gens plus sensible au virus grippal. Mais cette fois, c’est un streptocoque qui a été mis en cause, spécialement chez les patients sévèrement atteints au niveau pulmonaire. Voilà donc une étude qui, si elle se confirme ailleurs, risque de constituer une petite bombe dans le milieu des experts et des autorités.


Revenons aux déclarations du professeur Houssin. La mortalité comparée entre l’Argentine et le Chili n’a en fait rien à voir avec l’usage généralisé du Tamiflu dans l’un des deux pays. Elle est due probablement à la présence de ce streptocoque plutôt méchant. Qui augmenterait le risque par un facteur 125 selon les dires d’une co-auteure de l’étude portant sur des patients âgés entre 5 et 55 ans. On sait que lors de la première guerre mondiale, un streptocoque a occasionné une épidémie de pneumonie chez les militaires et d’ailleurs, c’est sans doute l’une des causes de la mortalité importante de la grippe espagnole de 1918. Par ailleurs, les cliniciens savent que dans toute complication sévère observée dans les cas de pneumonie, il faut chercher la présence du streptococcus pneumoniae.


Ces résultats montrent bien comment un haut fonctionnaire de la santé a justifié des choix sanitaires en jouant sur quelques données statistiques interprétées de manière intempestive, sans recul scientifique. On peut se demander si les décès grippaux H1N1 annoncés suite à des complications pulmonaires n’ont pas été causés par ces bactéries circulantes et peut-être contractées au sein même des hôpitaux. Et si ça se trouve, ce sont ces mêmes bactéries qui ont été à l’origine des premiers décès de la grippe observés à Mexico. Il y a matière à s’interroger sur la communication alarmiste des autorités présentant la grippe H1N1 comme pouvant être foudroyante chez de rares patients alors que le facteur mortel était ailleurs. La communauté scientifique doit se mobiliser pour poursuivre les investigations sur ces décès.


Je remercie C. qui m’a envoyé l’encart paru dans le dernier Obs, ce qui m’a permis de rédiger ce billet en effectuant les recoupements nécessaires.

 


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