Donner son corps à la science

par Catherine Coste
mercredi 22 décembre 2010

Le don d’organes et le don de son corps à la science sont deux choix bien distincts. Dans le premier cas, il s’agit d’organes vitaux prélevés sur un patient se trouvant dans un état de coma dépassé (appelé « mort encéphalique »). Cet état est irréversible, il permet néanmoins de prélever des organes vitaux pour aider d’autres patients dont la vie pourra être améliorée par une greffe. La greffe, afin de "donner des années à la vie et de la vie aux années" (Docteur Jean Leonetti). Le don de son corps à la science se fait dans un but pédagogique et non thérapeutique. Tandis qu’on ne peut prélever des organes vitaux en « post-mortem » que sur certains patients se trouvant dans un état irréversible (« mort encéphalique », "arrêt cardio-respiratoire persistant"), n’importe qui peut faire don de son corps à la science, afin de permettre à des chirurgiens de s’entraîner en ... live, sans risquer la vie d’un patient. Le sujet sur lequel les étudiants de médecine s’entraînent ne se trouve pas dans un état irréversible. Il est à l’état de cadavre, déjà rigide.

Mercredi 15 décembre 2010, Ecole Européenne de Chirurgie, Paris. Je me rends à un training de chirurgie assistée par ordinateur : il s’agit d’un pontage coronarien à coeur battant, du moins en théorie, puisque ledit training va s’effectuer sur cadavre. Sans don de son corps à la science, ce training n’aurait pas été possible. Merci à celui (et aux proches) qui a fait ce don si généreux. Pour découvrir le training en images commentées, cliquer ici.

Un grand merci à M. David Douglas, responsable Formation Europe à Intuitive Surgical Inc. et à Mme Aurore Dionnet, directrice de l’Ecole Européenne de Chirurgie, pour m’avoir permis d’assister à cette journée si riche d’enseignements ... 

 L'Ecole Européenne de Chirurgie (l'EEC), fondée en 2002 par le professeur Guy Vallancien, chirurgien urologue à l'Institut Mutualiste Montsouris, est située dans les locaux de l'université de médecine Paris V- Descartes. Plus de 150 enseignants, universitaires, acteurs du système de soins et experts renommés y accueillent des chirurgiens et infirmières, mais aussi des administrateurs des hôpitaux, afin d’assurer à ces personnels de santé venus du monde entier une formation sous forme de modules théoriques et pratiques concernant le domaine de la chirurgie mini invasive (cœlioscopie, robotique), dans un projet commun de recyclage des connaissances et des pratiques pour de nombreuses spécialités médicales. L'EEC donne des master class à des chirurgiens expérimentés, au sens où elle les forme à utiliser un outil particulier : le système de chirurgie assistée par ordinateur, qui permet de pratiquer une forme de chirurgie mini invasive s'appliquant à plusieurs organes mous. On parle aussi de chirurgie robotique. Le but est d’assister le chirurgien dans la réalisation de gestes opératoires mini-invasifs supposés plus précis, plus fiables et plus reproductibles, le robot restant sous la supervision du chirurgien. La chirurgie robotique s’est développée en chirurgie urologique, pédiatrique, gynécologique, digestive, cardiaque (pontages coronariens simples ou doubles) et, plus récemment, en ORL, pour l’ablation de la thyroïde. En pédiatrie, les indications de la chirurgie assistée par ordinateur concernent tout spécialement l'exérèse des tumeurs abdominales ou thoraciques et le traitement de pathologies du domaine urologique comme l'hydronéphrose.

La prostatectomie radicale, une ablation de la prostate en cas de cancer localisé, à l’aide de la chirurgie assistée par ordinateur, permet de raccourcir le temps de récupération postopératoire, une cicatrice moins visible (quelques trous de moins d’un centimètre à la place d’une large cicatrice), de meilleurs résultats fonctionnels sur le plan urinaire et sexuel selon certains utilisateurs de cette technique, qui constatent une précision accrue.

Aujourd'hui je vais donc assister à un pontage coronaire à coeur battant sur un cadavre. Voilà qui est paradoxal, me direz-vous. Je pose la question au Docteur Jean-Luc JANSENS, de l'hôpital Erasme (Bruxelles), qui est là pour former un de ses collègues moins expérimenté que lui en chirurgie cardiaque mini-invasive. Il me répond qu'au cours de la dernière décennie, lorsque cette forme de chirurgie a commencé à se développer, les centres de formation comme l'EEC n'existaient pas encore, et que l'entraînement au pontage coronaire se faisait non sur cadavre, mais ... sur un morceau de viande acheté chez le boucher ! En clair : son jeune collègue a de la chance de bénéficier de cette formation. Un chirurgien plus expérimenté sur cette technique en forme un autre, moins expérimenté. On répond à mes questions que je pose sans perturber le rythme soutenu du training (9h30 - 17h00, une demi-heure de pause déjeuner), j'apprends sur le tas. Ici, le paternalisme médical est un mythe. On est pragmatique avant tout.
 
Voici pour le contexte théorique de ce que vous allez voir en images :
"La chirurgie coronarienne à cœur battant a gagné en popularité au cours de la dernière décennie. Cette chirurgie a pris son essor à partir de la fin des années 90 suite à l’utilisation d’un stabilisateur, agissant par un mécanisme de succion à la surface du myocarde, qui permet la stabilisation d’une 'zone cible' pour la réalisation des anastomoses distales des pontages, sans être gêné par les mouvements du cœur." (Source)
"Il s'agit d'une intervention sans manipulation de l’aorte, dite le 'non-touch', avec utilisation exclusive de pontages artériels 'le tout artériel'. L’artère mammaire interne droite est utilisée en pontage artériel sur deux artères marginales en séquentiel. Il est possible d’effectuer jusqu’à six pontages artériels sans toucher l’aorte et ceci en utilisant la mammaire interne gauche et la mammaire interne droite qui est anastomosée en Y ou en T sur la gauche." (Source)

En pratique, la formation sur mesure organisée aujourd'hui permet à un chirurgien et à son équipe de pratiquer toutes les étapes de la dissection de l'artère mammaire, puis de l'anastomose (soudure).

"Pas de problème pour avoir des cadavres pour faire le training ! En France, ils ont le 'consentement présumé' !", m'explique un commercial irlandais de la société Intuitive Surgical, qui fabrique et commercialise dans le monde le système de chirurgie mini-invasive assistée par ordinateur faisant l'objet du training. Alors là, nous avons affaire à un cas de paternalisme médical mal à propos. J'explique à ce jeune Irlandais qu'en France, le consentement présumé s'applique au don de ses organes à son décès. Ne pas confondre avec le don de son corps à la science après son décès. La loi fait de chacun de nous un potentiel donneur d'organes à notre décès, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays, loin s'en faut. Mais pour le don de son corps à la science, il faut se porter volontaire. Dans le cas du don d'organes, on donne ses organes vitaux encore fonctionnels à son décès, nous sommes tous présumés y consentir, c'est la loi. Dans le cas du don de son corps à la science, on accepte de servir de "terrain d'entrainement" pour des étudiants en médecine, des chirurgiens. Sans de tels dons, un training comme celui d'aujourd'hui ne pourrait avoir lieu. Merci au donneur et à sa famille ... Je peux témoigner du grand respect avec lequel ce corps est traité. L'Ecole Européenne de Chirurgie est au 6e étage de l'université de médecine Paris V - Descartes. Au 5e étage se situe le bureau des "Dons du corps" - bureau sous la responsabilité du professeur Guy Vallancien, fondateur de l'EEC. Un moyen très concret d'approvisionner l'EEC en cadavres afin de permettre à des chirurgiens européens de s'entraîner aux techniques de chirurgie mini-invasive.

Les avantages et inconvénients de la chirurgie assistée par ordinateur :

Avantages pour les patients :

- Durée d’hospitalisation réduite

- Cicatrice(s) moins visible(s), moins de douleurs postopératoires

- Risque d’infection diminué

- Moins de pertes de sang, moins de transfusions

- Temps de récupération plus court

- Retour aux activités habituelles du patient dans des délais plus brefs

La chirurgie mini invasive, en réduisant la taille des incisions, permet de diminuer les séquelles pariétales constituées par l’éventration, c'est-à-dire :

Diminuer la douleur et le saignement per-opératoire, la durée de l’hospitalisation donc le coût de la prise en charge du patient. Le fait d’opérer avec une machine procure une exactitude géométrique des mouvements, une certaine stabilité, des degrés de liberté plus importants, la stérilité, la résistance aux radiations et aux infections.

Les limites :

Un coût élevé, qui demande un investissement considérable. Cette nouvelle technologie exige bien souvent la mise à dispositions de salles opératoires dédiées, spécialement équipées, les coûts de formation des équipes chirurgicales par spécialité sont aussi élevés. Par comparaison, la chirurgie cœlioscopique, également mini-invasive, a un coût moindre. Si aux USA, le traitement du cancer de la prostate par prostatectomie radicale est réalisé avec l'aide de la chirurgie robotique dans plus de 80% des cas, il n'en est pas de même en France. L'hexagone ne compte en effet que 30 systèmes de chirurgie assistée par ordinateur, contre plus de 900 aux états unis.

L’image en 3 D (haute définition) ne permet pas encore au chirurgien opérant à la console du système de chirurgie assistée par ordinateur de bénéficier du "retour haptique", ou "retour tactile". Il s’agit du retour de force permettant d’éprouver la résistance des tissus lors de l’opération. Ce retour de force, naturel lors d’une opération en chirurgie invasive, fait défaut en chirurgie robotique. Il n’existe pas encore de guidage haptique pour la chirurgie robotique, mais il existe déjà des robots "qui ont le sens du toucher" : l’iCub est un petit robot humanoïde conçu en open-source par le projet Européen RobotCub Consortium, composé de plusieurs universités à travers toute l'Europe. Doté d’une peau artificielle faite avec des composants électroniques agissant comme des capteurs, ce robot a le sens du toucher, pouvant reconnaître la texture et la matière de ce qu’il touche, tout comme il pourra apprendre à saisir correctement des objets en ajustant la pression de ses doigts. [i] Les chirurgiens utilisateur du système espèrent que la chirurgie robotique bénéficiera d’un guidage haptique dans un futur proche.




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