Elle est trop sensible — les ondes ont bon dos

par San Kukai
jeudi 16 avril 2009

L’électrosensibilité est cette nouvelle maladie, qui peut devenir très handicapante, provoquée selon les personnes qui disent en souffrir par les ondes qui nous entourent : téléphone portable, borne WiFi, four micro-ondes, antennes-relais, écran de télévision, etc. Parce que certaines personnes disaient souffrir à proximité des bornes et antennes, des associations citoyennes ont pris leur bâton de pèlerin pour faire baisser les seuils d’émissions des ondes radioélectriques.


Pour ce faire, elles se sont fondées sur des rapports scientifiques qu’elles considèrent comme définitifs, abandonnant pour les besoins de la cause le sens critique et la méthode scientifique qui devraient prévaloir en pareille circonstance. Voyons un peu de quoi il retourne et si les effets pervers d’une générosité précipitée n’ont pas débordé la philanthropie initiale.
La justice française
 
Dernièrement, trois procès ont condamné les opérateurs à démonter certaines de leurs infrastructures, leur présence créant un trouble généré par la peur qu’elles inspirent. La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 4 février 2009, écrit ainsi que la réalisation du risque reste hypothétique. Elle fonde son jugement non pas sur une nuisance avérée, mais sur le manque de garantie d’une absence de risque, provoquant une crainte légitime constitutive d’un trouble. Elle en déduit un préjudice moral résultant de l’angoisse créée par la seule présence de l’antenne-relais.
 
C’est-à-dire que la justice reconnaît que les gens qui se plaignent de la présence des antennes sont en droit de le faire, non parce que les ondes radio produites par ces antennes leur causeraient effectivement des dommages physiques, mais parce qu’elles ont peur des dommages que les antennes pourraient être susceptibles de causer. Les riverains ayant porté plainte l’ont fait parce qu’ils souffraient de maux de tête, de palpitations cardiaques et de nausées, mais la cour d’appel n’en a pas tenu compte. Pourquoi ?
 
 
L’Organisation mondiale de la santé
 
L’Organisation mondiale de la santé donne une explication :
Certaines personnes qui se plaignent d’un ensemble diffus de symptômes les attribuent à une légère exposition aux champs électromagnétiques produits sur leur lieu de résidence. Il s’agit notamment d’anxiété, de céphalées, de tendances dépressives voire suicidaires, de fatigue et d’une réduction de la libido. Jusqu’à présent, les données scientifiques ne confirment pas l’existence d’un lien entre cette symptomatologie et l’exposition à des champs électromagnétiques.
 
Rappelons ici le contexte dans lequel l’OMS s’autorise à faire pareille déclaration :
Au cours des 30 dernières années, environ 25 000 articles scientifiques ont été publiés sur les effets biologiques et les applications médicales des rayonnements non ionisants. […] S’appuyant sur un examen approfondi de la littérature scientifique, l’OMS a conclu que les données actuelles ne confirment en aucun cas l’existence d’effets sanitaires résultant d’une exposition à des champs électromagnétiques de faible intensité.
 
Pourtant, des personnes souffrent de troubles réels (rougeurs, picotements, sensations de brûlure, fatigue, difficultés de concentration, étourdissements, troubles du sommeil, nausées, palpitations, troubles digestifs, etc.). Certaines de ces pathologies, particulièrement invalidantes, réclament une prise en charge médicale, psychologique et sociale, qui doit être faite par les organismes de santé publique. Certains pays considèrent même l’électrosensibilité comme un handicap. Des associations de défense des personnes se disant électrosensibles se fondent sur le rapport BioInitiative pour invalider la position de l’OMS et prouver l’incidence physiologique des ondes radio sur certains organismes particulièrement réceptifs.
 
 
Le rapport BioInitiative
 
Pour les associations de défense des personnes électrosensibles, le rapport BioInitiative dresse un complet état des connaissances de l’effet sur l’homme ou les organismes vivants des rayonnements non ionisants des lignes électriques et de la téléphonie mobile. […] Ce rapport récapitulatif passe en revue plus de 1500 travaux publiés. […] Sur le plan scientifique, il n’y a plus de débat. La toxicité de la téléphonie mobile est un fait établi.
 
Ite missa est ? Pas tout à fait.
 
Les études produites par le rapport sont des expériences publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture. Jusqu’ici, tout va bien. Mais, contrairement à ce que dit le texte promotionnel et militant ci-dessus, l’état des connaissances présenté par le rapport est incomplet. C’est-à-dire que les contributeurs de BioInitiative ont omis de rapporter les études qui, sur des sujets semblables, donnaient des résultats différents. Partant, les conclusions données ne peuvent être objectives.
 
 
Méthode scientifique ou Canada Dry ?
 
Les critiques du rapport BioInitiative, faites par plusieurs comités scientifiques, ne portent pas sur les études qui y sont reprises, mais sur la façon dont celles-ci sont sélectionnées et présentées.
 
Les critiques portent sur :
• Une sélection d’études scientifiques en fonction de critères arbitraires,
• L’élimination tout aussi arbitraire d’études scientifiques similaires pouvant avoir des conclusions différentes à celles des études retenues,
• La déclaration erronée en ce qui concerne la vue d’ensemble (overview) de la connaissance scientifique que le rapport prétend avoir,
• Des erreurs méthodologiques importantes : on ne peut, par exemple, établir une analyse scientifique objective à partir d’une sélection arbitraire,
• On ne saurait par conséquent obtenir une synthèse scientifique objective de ces analyses,
• Les confusions graves entre « effet biologique » et « dommage biologique »,
• Le mélange des incidences sur la santé des champs basses fréquences et hautes fréquences,
• L’absence de données scientifiques nouvelles,
• L’absence de relation entre les affirmation des conclusions (concernant les maladies notamment) et les études des effets des champs électromagnétiques (CEM) sur la santé.
 
Aucun des comités ne doute que les CEM ont des effets biologiques. Mais ils ne parviennent pas à comprendre comment la somme de ces études permettrait de déduire que les expositions de la vie quotidienne, avec les normes actuelles, présentent un danger avéré pour la santé humaine. Pour eux, l’absence de méthodologie scientifique interdit d’en tirer des conclusions quant aux modifications des normes actuelles, revendication faite par les auteurs du rapport dès ses premières pages.
 
Ils disent d’autre part que plusieurs études récentes (dont certaines sont publiées par la BioElectromagnetics Society) permettraient de tirer des conclusions différentes de celles des sections du rapport.
 
Il est par conséquent impropre d’affirmer que le rapport BioInitiative est une preuve scientifique définitive.
 
Les comités scientifiques ayant émis ces critiques sont les suivants :
Conseil de la santé des Pays-Bas
Direction de la santé du Danemark
Office de la protection contre les radiations allemand
Centre australien de recherche sur les effets des fréquences radio
 
JFC, contributeur d’AgoraVox, rapporte que le nº 285 de la revue Science et Pseudo-Sciences d’avril-juin 2009 vient de paraître. Dans son dossier intitulé « Ondes électromagnétiques : mythes, peurs et réalités » on trouve entre autre une analyse critique du rapport BioInitiative par Jean-Paul Krivine : « Le Rapport BioInitiative ou l’apparence du sérieux scientifique ».
 
 
Et les électrosensibles dans tout ça ?
 
En 2005, une méta-étude a analysé les résultats de trente-et-une expériences qui vérifiaient si les champs électromagnétiques causaient l’électrosensibilité. Chacune d’entre elles exposait des personnes qui se déclaraient atteintes d’électrosensibilité à des champs électriques et/ou magnétiques, fictifs ou réels, à de multiples fréquences, dans des expérimentations en double aveugle (le sujet et l’agent expérimentateur à ses côtés ne savent pas si le champ est fictif ou réel). L’objectif pour le sujet est de déterminer s’il a été exposé (détection du champ) et rapporter d’éventuels symptômes.
 
Cette étude concluait que :
Les symptômes décrits par les personnes souffrant d’« électro-hypersensibilité » peuvent être sévères et parfois handicapants. Cependant, il s’est révélé difficile de montrer que, dans des études en aveugle, l’exposition à des champs magnétiques pouvaient être à l’origine de ces symptômes. Ceci suggère que l’électro-hypersensibilité n’est pas reliée à la présence de champs magnétiques, bien que des recherches supplémentaires sur ce phénomène soient nécessaires.
 
Rubin, Das Munshi, Wessely, « Electromagnetic Hypersensitivity : A Systematic Review of Provocation Studies » (Psychosomatic Medicine 67:224-232 — 2005)
 
Depuis lors, plusieurs études ont confirmé ces conclusions, dont certaines ont été réalisées par la société BioElectromagnetics, de laquelle sont issus certains contributeurs du rapport BioInitiative…
 
 
Oui, mais les vrais électrosensibles dans la vraie vie de tous les jours ?
 
Et bien parvenu à ce point de l’exposé, je suis partagé. Non pas entre la véracité de leurs propos et l’infirmation de ceux-ci par les études scientifiques, mais entre le parti d’en rire ou de m’offusquer de la situation. En effet, il existe peut-être un paradoxe : l’agitation médiatique autour des ondes (favorisée et amplifiée par les associations de défense des personnes électrosensibles) et la peur que cette agitation provoque dans le public, peuvent générer de véritables drames humains parmi les personnes les plus fragiles psychologiquement.
 
Ainsi, chez certains malades présentant des affections cliniques, la conviction qu’ils sont électrosensibles peut évoluer vers une chronicité pathologique. Toutes sortes de troubles et de désordres peuvent alors intervenir :
• Souffrances physiques et psychologiques (occupation des pensées, anxiété, état dépressif, stress…),
• Comportements d’évitement de l’exposition,
• Organisation de la vie du malade autour de ce problème,
• Absentéisme, incapacité de travail,
• Isolement social,
• Difficultés financières dues aux déménagements et aménagements électriques de la maison.
 
Comment certaines associations entretiennent-elles, sans doute involontairement, ces troubles et désordres du comportement ? En construisant tout un univers apparemment rationnel, qui renforcera le malade dans l’idée qu’il a de la réalité des causes de sa maladie. Ici, il est très important de distinguer deux types d’associations militantes, certaines d’entre elles (dont Robin des Toits) dénonçant publiquement les procédés détaillés ci-dessous.
 
 
Que faire si je suis électrosensible ?
 
Attention, c’est du brutal :
 
Nous conseillons aux personnes hypersensibles aux hautes fréquences d’acheter des rouleaux de feuilles d’aluminium destinées à l’emballage des denrées alimentaires. Il existe actuellement des rouleaux d’aluminium présentant une bonne résistance mécanique (Toppits® avec alvéoles de renforcement, largeur 44 cm, rouleaux de 10 mètres).
 
Lorsque la personne doit circuler dans des zones où des champs à hautes fréquences existent, elle glisse sous une casquette ou sous un chapeau (qui peut être élégant) une feuille de cet aluminium modelant le dessus du crâne en forme de casque. […]
 
Elle protège également sa cage thoracique (coeur) en se confectionnant au besoin un sous-vêtement tapissé de feuille d’aluminium ou réalisé avec une coupe de couverture de survie.
 
On pourra, si l’on préfère la confection au fait maison, s’adresser à la société ShieldWorks (Radiation Protection Technology). Ces premiers éléments et ce dernier conseil sont issus du site Teslabel Coordination.
 
On peut aussi trouver sur le site de NextUp comment tapisser sa chambre, sa maison, son lit, son bureau pour se protéger et se faire un chapeau en aluminium très élégant. S’il ne vous fallait cliquer que sur un lien pour vous faire une idée, le revoici.
 
Une fois que l’on est bien convaincu que la soupe électromagnétique peut nous faire mourir, on cherche à savoir si son chez-soi est contaminé. Coût d’une étude : de 200 à 500 €.
Voir ici ou .
 
On peut aussi faire son marché, ou partager de bonnes adresses entre électrosensibles.
 
Concernant les soins et pour finir en beauté dans une émission pipeule entre Raël et les frères Bogdanoff, on trouve : Soigner les ondes nocives grâce à la guérison spirituelle en tant que soin holistique et à la canalisation d’énergie christique (par téléphone).
 
Je vous avais prévenus.
 
On peut rire. Et s’inquiéter en même temps de la façon avec laquelle la science et la méthode scientifique sont triturées, de la façon dont l’information qui devrait rendre compte de la connaissance scientifique ne cherche même plus à distinguer la science de la pata-science, de la façon dont le quidam abandonne son sens critique au profit des opérateurs qui lissent toute aspérité ou de leurs détracteurs qui érigent l’exception en règle. 
 
Ou on peut encore chercher à s’informer raisonnablement en ne prenant rien pour acquis, en prenant quelques précautions d’usage et d’économie (éteindre sa borne WiFi la nuit, utiliser une oreillette, éteindre son mobile de temps en temps…) et en éteignant définitivement son tube cathodique — en un seul geste, tu protèges ta cervelle et ton intelligence.
 
 
Note :
Cet article a été rédigé avec une casquette du Stade Toulousain sur la tête, doublée d’une feuille d’aluminium ménager (on ne sait jamais).
 
__________
 
• Wikipédia : Risques sanitaires des télécommunications
• Organisation mondiale de la santé : Les Champs électromagnétiques — Récapitulatif des effets sanitaires 
• Robin des Toits : Le Rapport BioInitiative
• Charlatants.info : Les faux rayonnements peuvent aussi faire mal 
• Charlatans.info : Le portable et le cancer 
• Charlatans.info : Antennes-relais et rayonnement 
Le Cercle zététique 

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