Étude anti-chloroquine : science ou arnaque ?

par Décoder l’éco
samedi 30 mai 2020

Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, on observe la formation de 2 clans : un groupe qui défend l’utilisation de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine pour traiter la maladie et un groupe dit que c’est dangereux et que ça n’a pas d’effets avérés. Dans le premier groupe, on trouve de nombreuses personnes de la communauté scientifique dont le maintenant célèbre Professeur Raoult. Ce dernier défend depuis de nombreuses années l’utilisation de ce médicament, une bonne partie de ses travaux a été consacrée à monter son efficacité. On peut donc légitimement se dire qu’il a intérêt à défendre ses propres travaux.

Le deuxième groupe, lui aussi composé de scientifiques de renommée défend l’idée que ce médicament n’a pas d’effet contre le Covid-19 et qu’il est dangereux. Ce deuxième groupe est bien évidemment soutenu par des labos qui souhaiteraient vendre leur traitement. Par exemple le redemsivir développé par l’américain Gilead contre Ebola, mais contre lequel il n’a absolument pas fonctionné. L’hydroxychloroquine ne coûte quasiment rien alors que le redemsivir pourrait rapporter gros.

Le 22 mai le prestigieux journal scientifique The Lancet vient de publier une étude portant la conclusion que l’hydroxychloroquine n’est pas efficace pour soigner le coronavirus. L’étude ajoute que ce médicament est dangereux et ajoute qu’il trouve une surmortalité des patients soignés avec ce médicament. Cette étude a été fortement controversée et de nombreux scientifiques se sont regroupés pour dénoncer ses conclusions. En France, l’hydroxychloroquine, utilisée depuis 65 ans contre le paludisme notamment vient d’être interdite pour traiter le Covid 19. Est-ce un principe de précaution ou un problème de conflits d’intérêts ?

 

Lien vers la vidéo : https://youtu.be/eCusdTMw6xM

 

Qu’est-ce qu’une étude statistique ?

La première manière pour savoir si une molécule est efficace contre une maladie, c’est de faire une étude en laboratoire. On essaye de voir en laboratoire si le virus ou la bactérie en question meurt au sein d’un organisme auquel on a apporté le médicament. Cette observation est un argument scientifique et c’est ce que des scientifiques ont vu avec l’hydroxychloroquine. Une telle observation donne un argument de cause à effet, on donne le médicament, et cela tue la maladie puisqu’on l’observe.

La 2e manière de valider ou d’invalider un médicament c’est de faire une étude statistique. Comme tous les organismes sont différents, même si on a montré en laboratoire que le médicament permet de tuer la maladie, on n’est pas sûr que ça marche aussi bien si on donne le médicament à des êtres humains tous différents les uns des autres, et on est pas sûrs non plus que les humains supportent tous bien le médicament.

Pour tenter d’évaluer ça on fait une étude statistique.

La première chose qu’il faut savoir c’est qu’une étude statistique ne donne jamais la cause ou la conséquence entre les événements, mais peut uniquement montrer des probabilités de liens entre les événements.

De plus, lorsqu’on veut faire une étude statistique proprement sur les impacts d’un traitement, on doit rentrer dans un protocole très précis.

On a besoin d’un grand nombre de personnes dont on note les caractéristiques et qui sont porteuses de la maladie. Parmi ces personnes on va choisir un groupe, complètement au hasard auquel on va appliquer le traitement, tout le monde de la même manière. L’autre groupe sera appelé groupe témoin, on ne lui applique pas de traitement, ou alors un traitement déjà bien connu dont on connaît bien les résultats.

Il faut que les deux groupes soient de grande taille, puisque si on veut être représentatif, il faut de chaque côté des dizaines de personnes de toutes les combinaisons des caractéristiques qui peuvent avoir une influence sur les résultats. Il faut donc de chaque côté, des personnes cardiaques, non cardiaques, fumeuses, non-fumeuse, hommes-femmes, de tous les âges, avec des antécédents de maladies pulmonaires, sans maladies pulmonaires, de tous groupes ethniques puisque qu’on sait qu’il existe des fragilité héréditaires etc. Il faut aussi prendre toutes ces personnes absolument au hasard. En effet, il y a de nombreux critères qui peuvent avoir un impact sur les résultats du traitement et qu’on ne connaît pas avant d’avoir fait le test, par exemple le fait d’avoir des taux d’hormones particuliers dans le corps. En prenant un grand nombre de personnes aux hasard de chaque côté, on peut se dire qu’avec la loi des grands nombres on aura les mêmes profils de chaque côtés. C’est la seule manière de faire une comparaison proprement.

Pour commencer à dire quelque chose, il faudrait donc suivre ce protocole avec des milliers de personnes infectées dont la moitié qu’on choisirait de ne pas soigner avec ce médicament. Déjà ça coûte très cher, mais en plus quand on est en période d’épidémie, on a surtout envie de soigner les gens. Faire des essais cliniques c’est pas trop le moment. Il est donc normal que des instituts comme celui du professeur Raoult, qui ont étudié en laboratoire le lien de cause à effet entre l’hydroxychloroquine et l’éradication du virus Covid-19 fassent le choix de l’administrer largement. La suite a permis au laboratoire de constater le record du plus petit nombre de décès liés au Covid-19 au monde. Ce laboratoire ne peut cependant pas en déduire une meilleure efficacité de son traitement qu’un autre puisqu’il n’a pas pris de groupe témoin.

On peut toujours rétorquer que les personnes du sud de la France résistent mieux au Covid-19 que les autres, ou que les personnes venues voir le professeur Raoult étaient moins malades, personne ne peut être complètement sûr du contraire. On peut juste conclure que ces 4000 personnes traitées à l’hydroxychloroquine sont décédées bien moins souvent qu’ailleurs. À chacun de voir ce qu’il choisirait comme une bonne stratégie pour la suite.

 

Qu’est-ce que l’étude de The Lancet ?

Dans le monde, personne n’a fait d’étude sur l’hydroxychloroquine en suivant le protocole avec un groupe témoin proprement. L’article publié par The Lancet disponible sur le site du journal, n’est pas une étude de comparaison régulière, mais une méta-étude. Un collectif, a trouvé des fonds pour acheter des données sur des malades du Covid-19 à 671 hôpitaux à travers le monde pour un total de 96 000 personnes infectées. Il serait intéressant de savoir dans quelles conditions ces transferts de données ont été obtenues.

On remarque d’emblée que plus des 3/4 des hôpitaux sont nord-américains et les 2/3 des patients sont aussi nord-américains. Dire que l’étude couvre bien tous les continents est donc largement exagéré. Il s’agit d’une étude majoritairement Nord-Américaine, complétée de quelques données d’ailleurs dans de monde. C’est intéressant de noter à ce stade que les laboratoires qui ont intérêt financièrement à décrédibiliser l’hydroxychloroquine sont Nord-américains. Ce n’est qu’un lien, en tant que statisticien je ne conclus pas de rapport de cause à effet.

Dans l’étude, on ne sait pas depuis quand les malades sont infectés. L’article n’utilise pas non plus comme donnée la quantité de chloroquine ou d’hydroxychloroquine donnée au patient. On n’a donc pas un bon groupe test, puisqu’on ne sait pas ce qu’on teste.

Un collectif de scientifiques Brésiliens a étudié en détail les données des 96000 personnes de l’étude. Moi je n’ai accès qu’à tous les tableaux résultats de l’article. Ils ont relevé de nombreux problèmes et notamment des personnes qui ont reçu des doses de cheval d’hydroxychloroquine, alors qu’à haute dose c’est toxique, ou bien des personnes qui en ont reçu alors que leur santé ne le permettait pas. Le test risque donc d’emblée d’être faussé si on a donné un traitement à des gens pour lesquels on sait que c’est contre-indiqué ou qu’on en a donné des doses aberrantes.

On peut voir ensuite que sur les 96000 malades, seulement 14 000 ont reçu un traitement avec de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine. C’est assez surprenant, on parle de données majoritairement récoltées en Amérique du Nord. Ce pays est censé avoir assez tôt passé des consignes pour soigner les gens avec de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine. Où sont tous les patients qui ont été soignés avec ces médicaments ? Ça semble n’être vraiment pas de chance de tomber sur des hôpitaux qui ont fait le choix de ne pas ou très peu s’en servir. À moins qu’il manque des données dans l’étude, ou que les hôpitaux de l’étude ont été sélectionnés.

Plus bas dans l’article, on voit les caractéristiques des personnes qui ont reçu les traitements avec de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine. On constate avec stupeur que les personnes qui reçu les traitements sont beaucoup plus à risque que les autres. Ils sont plus vieux, plus souvent noirs (beaucoup d’études montrent qu’ils ont un risque de gravité plus élevé), ont un IMC plus haut, donc sont plus gros, avec toutes les complications qui vont avec, plus d’obèses, plus de diabétiques, plus de personnes avec de l’hypertension, aussi plus de fumeurs réguliers et j’en passe.

Donc nos personnes traitées n’ont absolument pas été choisies aléatoirement et on constate qu’elles ne ressemblent pas du tout aux personnes non traitées. Pour pouvoir faire quand même une comparaison, l’étude utilise une méthode pour choisir le groupe témoin de façon à ce qu’il ressemble au groupe test. J’ai pu utiliser ce type de méthode, la méthode Rubin, dans une étude économique. Cependant j’avais à ma disposition des données sur non pas des milliers, mais des millions d’entreprises sur lesquelles j’avais des centaines de caractéristiques. Et même avec ça, j’ai pris beaucoup de précaution dans mes conclusions.

Le principe de la méthode, c’est que pour chaque personne ayant reçu un traitement, on lui trouve un jumeau qui n’a pas reçu le traitement. Ce jumeau est déterminé par les caractéristiques qu’on connaît, sexe, âge, poids, fumeur, diabète etc. On ne trouve jamais de jumeau parfait, mais on prend le plus proche. Quand on a à disposition des millions de données, on peut sélectionner plusieurs jumeaux, ce qui permet d’éviter un peu le hasard des résultats. Ici, avec le peu de données et le fait que le groupe témoin ne ressemble pas au groupe test, on a forcément peu de jumeaux.

L’idée c’est donc de remplacer la loi des grands nombres. Pour mémoire, la loi des grands nombres ça nous dit que lorsqu’on prend au hasard plein de gens de chaque côté, les 2 groupes vont se ressembler. Ici, on essaye de construire un groupe témoin pour qu’il ressemble au groupe test qui n’a pas été du tout choisit aléatoirement. C’est peine perdue d’emblée puisqu’on ne connaît pas toutes les caractéristiques des gens, on n’a mesuré que quelques critères (une vingtaine ici) et ça ne garantit pas du tout que 2 personnes se ressemblent vraiment et vont réagir de la même manière au traitement.

 

La conclusion de l’article de dire que puisqu’on voit une différence de survie entre les 2 groupes, on peut en déduire que la chloroquine ou l’hydroxychloroquine ne fonctionnent pas et sont dangereux, ce n’est juste pas de la statistique, ce n’est pas de la science. C’est une utilisation malhonnête de méthodes statistiques pour appuyer un discours.

On a deux possibilités. La première, que les auteurs de cet article ne comprennent pas grand-chose aux modèles statistiques. Ils n’ont pas eu de chance dans la collecte de données, elles semblent assez loin de la réalité et ils n’ont pas pensé à enlever les valeurs bizarres, par exemple les gens qui ont reçu une surdose de traitement ou qui n’auraient pas dû en recevoir au vu de leur état de santé. Ensuite ils ont appliqué un modèle qu’on sait assez mauvais mais dont en plus les conditions pour qu’éventuellement ils puisse éclairer quelque chose ne sont pas réunies. Auquel cas, il faut se dire que cette étude est certes un effort, mais est complètement ratée.

L’autre possibilité, c’est que les auteurs ont un intérêt à décrédibiliser l’utilisation de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine et donc ils ont essayé de cacher leurs intentions avec un modèle mathématique pour faire sérieux. Auquel cas, c’est un exercice de propagande.

Pour les politiques qui ont fait le choix d’interdire la chloroquine ou l’hydroxychloroquine sur la base de cette étude, c’est la même chose, soit ils ne comprennent rien à ce qui se passe et personne ne leur a soufflé dans l’oreillette qu’elle était faisandée, soit ils ont aussi un intérêt direct à interdire ces médicaments et sont biens contents de pouvoir ce cacher derrière cette soit-disant étude.

Entre la bêtise et la malhonnêteté, on ne sait jamais ce qu’on préfère.


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