Franchise sur les soins de santé : ce que le débat oublie
par Maxime Combes
jeudi 24 mai 2007
Devant la proposition de Nicolas Sarkozy d’instaurer une franchise sur les soins, Martin Hirsch, ancien président d’Emmaus et actuel membre du gouvernement, s’est dit opposé au projet1. Quelques heures plus tard et après une entrevue avec Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, Martin Hirsch a dit être rassuré par la promesse que les "personnes en difficulté" ne seront pas concernées par la franchise2.. Faut-il y voir un pas en arrière du gouvernement de François Fillon par rapport aux promesses électorales de Nicolas Sarkozy ?
Le communiqué
publié par Roselyne Bachelot nuance clairement le discours
jusqu’ici tenu par Nicolas Sarkozy. Devant les craintes que fait
naître ce projet de franchises, Nicolas Sarkozy avait jusqu’ici
juste réduit, peu à peu, le montant de la franchise. Si
le projet UMP évoque une somme de 50 à 100 euros par
an, Nicolas Sarkozy en est arrivé à « quelques
centimes d’euros » par acte3.
Reconnaître qu’il faut introduire de la solidarité
en préservant de la réforme les personnes en difficulté
est donc une nette évolution... qui revient en partie sur le
projet de l’UMP !
Néanmoins, à réduire d’autant le montant de la franchise alors que l’on sait qu’il faudrait qu’elle soit de 66 euros par personne et par an pour juguler les 4 milliards d’euros de déficit prévisionnels de 2007, on peut se demander si ce projet de franchises ne devient pas une simple bataille idéologique.
Les critiques émises par les médecins généralistes4 renforcent l’idée selon laquelle le projet de franchise cache autre chose. En effet, selon leur analyse, ce projet a trois défauts :
-
Elle serait un non-sens économique : loin de lutter contre la hausse des dépenses de santé, une telle franchise pourrait même inciter à l’augmentation des dépenses. En effet, 70% de la dépense totale est le fait de 10% de patients qui sont atteints de lourdes pathologies. Une fois la franchise payée, la logique économique serait de dépenser le plus possible sur l’année en cours.
-
Elle serait l’inverse d’une politique cohérente de santé publique : avec une telle franchise, on cherche à dissuader les petits ou moyens consommateurs de se faire soigner pour des maladies apparemment moins sévères et de reporter des actes de prévention à plus tard. La franchise défavorise donc la prévention... et retarder ou annuler des soins de prévention, c’est s’assurer de soins futurs lourds, beaucoup plus onéreux pour la collectivité.
-
Elle traduirait une remise en cause fondamentale de la solidarité : la franchise marquerait le début de la fin d’un système d’assurance maladie solidaire dans lequel chacun cotise selon son revenu et qui protège, équitablement, les individus en bonne santé et les malades. Avec un tel système, on quitterait la logique de la solidarité pour celle de l’assurance privée. Du coup, un tel système pourrait désinciter les patients aux faibles revenus, mais pas assez pauvres pour en être dispensés, de recourir aux soins.
A en croire ces médecins généralistes, ce projet de franchise serait donc socialement injuste, économiquement inefficace et dangereux pour la santé publique.
Même si on ne partage pas les analyses de ces médecins, le débat sur la franchise des soins de santé ne semble pas pouvoir se limiter aux échanges de petites phrases intragouvernementales ! En effet, si certains y voient une attaque idéologique contre l’esprit de solidarité, n’est-il pas nécessaire que le débat public porte là-dessus ?
Derrière cette analyse se profilent en effet des débats fondamentaux. Quelle place faut-il faire aux dépenses de santé privée ? A la solidarité collective ? Assurance ou solidarité ? Faut-il laisser se répandre l’idée selon laquelle les dépenses privées, parce que privées, seraient toujours préférables aux dépenses publiques ?
Petit éclairage international. Alors que les Etats-Unis dépensent 15,3 % de leur PIB pour la santé de leurs habitants5, la France n’en dépense que 10,5 %, ce qui en valeur absolue signifie que les dépenses de santé par an et par habitant sont quasiment deux fois plus élevées aux Etats-Unis qu’en France6. Le projet de Nicolas Sarkozy vise sans doute à rapprocher la France du système américain au sein duquel la part des dépenses publiques dans les dépenses de santé ne représente que 42 % des dépenses contre près de 80 % en France7. Il faut néanmoins remarquer que, sur la période 1990-2004, ces dernières ont augmenté de 5 points aux Etats-Unis contre moins de 2 points en France.
Le débat sur la franchise de soins gagnerait donc sans doute à être abordé frontalement sur ses divers versants idéologiques, histoire de favoriser l’appropriation citoyenne des divers enjeux. Allez, Martin Hirsch, encore un petit effort !
3Le Quotidien du Médecin, 9 Février 2007