Guerre antibiotique : pour un retour au bon sens

par Vincent Verschoore
lundi 23 décembre 2013

Au 19ème siècle, la pionnière des soins infirmiers Florence Nightingale avait compris qu’un facteur majeur conditionnant la guérison des malade hospitalisés était l’accès à l’air frais et à la lumière naturelle. Les cliniques construites selon ces critères avaient des chambres à hauts plafonds, des grandes fenêtres qui s’ouvraient, et des balcons orientés au sud. Le soleil tue non seulement les bactéries aériennes ou au contact de la peau, mais a également un effet positif sur la tuberculose via l’augmentation de la vitamine D. 

En 1928, Alexander Fleming découvrit la pénicilline. La puissance de cette découverte eu tôt fait de reléguer les principes d’aération et de luminosité au rang de curiosités, et dans les années 60 les médecins étaient convaincus que les maladies infectieuses étaient sur le point de disparaître sous la puissance de feu des multiples antibiotiques qui sortaient en rangs serrés des laboratoires.

Au même moment, au plus fort de la guerre froide, des microbiologistes anglais firent des tests avec la bactérie E. Coli pour déterminer l’effet que pourrait avoir la détonation d’une bombe bactériologique au dessus de Londres. Ils se rendirent compte que les bactéries maintenues à l’extérieur mourraient quasiment toutes, alors que celles contenues dans une boîte, à même température, survivaient bien mieux. Ce “facteur air libre”, qui plus est fluctuait de jour en jour, n’avait pas d’explication évidente, mais les recherches n’avancèrent guère d’autant que la menace d’une guerre bactériologique avait tendance à reculer.
Les hôpitaux et cliniques fermèrent leurs fenêtres, les néons blafards et les conduits d’air conditionnés, véritables distributeurs de bactéries pathogènes, prirent la place des éléments naturels pour donner les endroits suffocants et malsains à la gloire du tout-chimique que nous connaissons aujourd’hui.

Aujourd’hui, la fin de l’époque du “tout antibiotique”, du fait de la résistance accrue des bactéries à ces produits, et sans réelle alternative médicamenteuse en vue, renouvelle l’intérêt médical envers ces vieilles méthodes issues d’un temps où le bon sens ne se heurtait pas encore aux ambitions marketing de l’industrie pharmaceutique. Temps qui, au vu du problème des antibiotiques et des nombreux scandales associés à cette industrie, pourrait bien être sur le retour – mais là n’est pas l’objet de ce billet.

La tuberculose, la pneumonie, la gonorrhée font leur retour du fait de notre nouvelle incapacité à les traiter efficacement. Que faire ? 
En Angleterre, il a été remarqué que le simple fait d’insister sur le lavage des mains par le personnel hospitalier a fait baisser le risque d’infection au staphylocoque doré (SARM). Selon Stephanie Dancer, microbiologiste au Hairmyres Hospital de East Kilbride, il est temps de revenir aux fenêtres ouvertes et aux bains de soleil. A Lima, au Pérou, des tests de diffusion d’air ont été réalisés au sein d’hôpitaux à l’ancienne avec flux d’air passif, et modernes avec l’air conditionné. Utilisant des extincteurs au gaz carbonique comme source d’agent diffusant, les chercheurs du Imperial College London se sont rendu compte que la capacité de ventilation des vieux hôpitaux “à la Nightingale” est deux fois supérieure à celle des bâtiments modernes…

Certains gestionnaires d’hôpitaux tentent désormais de modifier leur infrastructure afin de tirer profit d’une meilleure exposition et ventilation, mais ce n’est pas toujours possible. Une alternative est l’utilisation de lumière artificielle ultra-violette calibrée pour donner les meilleurs résultats bactéricides. A Lima toujours, un test fut mené au sein d’un département pour tuberculeux avec des cochons d’inde. Dans certaines parties on a installé des lampes à UV, et pas dans d’autres. Le risque pour les animaux d’attraper la TB était de 35% dans les parties sans UV, et de 10% dans celles avec UV. Ces lampes sont installées au Pérou mais aussi en Afrique du Sud, en Russie et au Brésil. Une lampe UV est également en service dans une salle d’attente du département en charge des maux de poitrine au St Mary’s Hospital de Londres.
L’effet bactéricide des UV est connu : David Brenner, de la Columbia University à New York, a développé des lampes UV pour blocs opératoires, visant à tuer un maximum de bactéries en suspension dans l’air avant qu’elles n’attérrissent sur les plaies ouvertes des patients. Le meilleur effet est observé avec une longueur d’onde UV bien précise, à 207 nanomètres : cette onde est absorbée par les protéines du corps et ne pénètre pas au niveau du noyau des cellules, où elle causerait des mutations dommageables. Mais elle suffit à tuer les microbes du fait de leur très petite taille.

Des recherches sont également menées sur le fameux “facteur air libre” découvert dans les années 60. Il s’avère que ce facteur est le radical hydroxyle, une molécule à faible durée de vie continuellement produite dans l’atmosphère au travers de réactions entre l’eau et l’ozone.
L’OMS recommande aujourd’hui l’usage de la ventilation naturelle autant que possible. A Mumbai, en Inde, un ancien sanatorium doté de hauts plafonds et balcons ensoleillés est rénové pour accueillir des patients avec TB résistante aux antibiotiques.
Les hôpitaux sont une chose, mais l’effet bénéfique de l’air et de la lumière naturelle sont évidents partout. Une étude menée durant la première guerre du Golfe auprès des GIs conclu que ceux qui vivaient sous tente avaient bien moins de chance de souffrir de rhumes que ceux qui occupaient les dortoires avec air conditionné. Les employés qui passent leur vie dans des bureaux fermés et conditionnés en savent quelque chose.

On peut espérer que les architectes, médecins et gestionnaires d’hôpitaux vont entendre le message et opérer un retour vers des habitations, des bâtiments et des établissement médicaux construits en vertu du bon sens retrouvé : bien éclairés et avec des fenêtres qui s’ouvrent !


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