H1N1, suite : La grippe, une affection banale sous haute surveillance
par Bernard Dugué
mardi 2 février 2010
L’avènement du dispositif contre la fausse pandémie de 2009 a permis de dévoiler quelques traits saisissants du système de santé… (lire la suite du liminaire ici ***)
Pour y voir plus clair, allons voir quels sont les dispositifs mis en place pour surveiller et traiter la grippe en France. La plus connue est l’Institut de veille sanitaire (InVS), établissement public, créé par la loi du premier juillet 1998 visant à renforcer la veille sanitaire, la sécurité alimentaire, et censé prendre la suite, avec des compétences renforcées, du Réseau national de santé public (RNSP). L’InVS a donc été créé sous le gouvernement Jospin avec l’objectif de mettre sous surveillance sanitaire accrue la population française (dans veille, il y a surveillance). On a affaire à une grosse machine sanitaire dont les missions ont encore été renforcées et étendues par la loi du 9 août 2004. Avec comme contexte précis la montée en puissance du principe de précaution et la gestion d’éventuelles crises sanitaires. Il y eut en effet le précédent de la vache folle puis en 2003, l’épidémie de Sras et ses quelques centaines de décès, localisés en Chine, à Hong Kong, au Canada et à Singapour, les autres pays ayant été épargné excepté un ou deux décès ici et là. En ce sens, l’InVS est une structure qui colle à son époque, comme ce fut le cas de la ligne Maginot dans les années 1930. Les craintes contemporaines sont chimiques, climatiques, virales. Elles ne doivent pas être sous-estimées, mais elles ne doivent pas non plus être exagérées ni confondues. Rien de commun entre la pneumonie atypique et la grippe.
L’InVS a beaucoup communiqué pendant la fausse pandémie grippale de 2009 et c’est dans ses compétences. Elle s’est basée sur deux structures rompues à la surveillance de la grippe, le réseau Sentinelles et les GROG. Créé en 1984, le Sentinelles est sous l’autorité de l’Inserm et constitue un réseau de 1300 médecins généralistes permettant un maillage du territoire et le suivi de 14 indicateurs de santé, par exemple la gastro-entérite, la rougeole mais aussi les tentatives de suicide. La grippe fait bien évidemment l’objet d’un suivi attentif des Sentinelles. Un peu plus nombreux sont les médecins, pédiatres et autres urgentistes participant à l’autre réseau d’alerte grippale, celui des Grog, lui aussi créé en 1984 et constitué en association 1901. Depuis 2004 les Grog sont devenus un partenaire de l’InVS et reçoivent par ce biais un financement qui, ajouté à celui de la Santé, couvre 80 % de son budget, le reste étant réparti entre divers organismes émargeant au financement d’Open Rome, encore une autre structure, créée en 1989 par le docteur Jean-Marie Cohen qui en est le gérant, et qui a pour fonction entre autres de coordonner l’action des Grog. Dans la notice de présentation, Open Rome insiste sur l’épidémie de Sras et des craintes qu’elle suscita, mentionnant au passage qu’elle fut chargée par la DGS d’une étude sur les personnels de santé revenus de leur mission à l’hôpital français de Hanoi après cet épisode. Open Rome a pour principal objectif la surveillance et l’étude de la grippe et des affections respiratoires mais aussi le pilotage d’études diverses concernant la santé publique ainsi que la surveillance, par exemple avec la coordination de l’opération Vigie foot visant à assurer une veille sanitaire sur les sites de la Coupe du Monde en 1998. N’assistons-nous pas à une tendance à l’hyper-surveillance et à l’hypertrophie des systèmes sanitaires ? Telle est la question qui devrait faire débat car les choix de technique sanitaire ne sont pas neutres, surtout au niveau des dépenses engagées.
La fausse pandémie grippale de 2009 nous aura également permis de connaître l’existence d’une cellule ministérielle spéciale dédiée aux grippes ainsi que d’une autre association 1901, le GEIG, Groupe d’étude et d’information sur la grippe. Cette association se propose dans ses missions de promouvoir la vaccination. Ses membres ne sont pas rémunérés mais juste défrayés de leurs dépenses engagées pour s’acquitter de leur fonction. Le Les cinq laboratoires qui distribuent en France les vaccins anti-grippaux assurent le financement du Geig et notamment la campagne de présentation du vaccin aux Français ainsi qu’un colloque annuel sur la grippe. Le lecteur conclura sans doute à des liens d’intérêt entre les laboratoires et le corps médical mais ce serait aller vite en besogne car le Geig peut se prévaloir d’une action décidée sous l’autorité des politiques. La présentation signale en effet que la mission du Geig est de participer à une prise de conscience plus forte des risques liés à une grippe saisonnière occasionnant environ 3000 décès par an, et par conséquent, d’amener le plus grand nombre de sujet à risque vers leur médecin afin qu’ils soient vaccinés, conformément aux objectifs chiffrés de la loi de santé publique.
Il existe en effet un texte réglementaire où l’on s’aperçoit que la culture du chiffre et du résultat est parfaitement appliquée par les gestionnaires de la santé. La feuille de route pour les années 2004-2008 se fixe des objectifs dans de multiples secteurs. Par exemple, diminuer de 25% la prévalence des petits consommateurs de légumes ou bien augmenter de 25% le taux de personnes effectuant plus de 30 minutes d’exercice physique quotidien. La liste des préconisations est édifiante, ressemblant à celle des points de contrôle technique. Il y a cent points de contrôle sanitaire et notamment celui qui nous intéresse et concerne la grippe. On peut y lire que la couverture vaccinale des groupes à risques doit atteindre 75%. Même chose pour le personnel de santé (21% en 2004) et les personnes de plus de 65 ans. Le citoyen scrupuleux pensera sur le champ à une notion, usine à gaz. Toujours est-il qu’on prend conscience d’une chose, c’est de la culture médicale des experts de santé publique, une culture interventionniste, notamment dans le champ de la vaccination contre la grippe. On ne sera donc pas étonné de voir fleurir des officines comme le Geig, dévolues à la promotion de la vaccination, de même que cette frénésie sanitaire vue et entendue à l’occasion de la grippe de 2009. Les troupes de la brigade antivirales étaient prêtes et conditionnées pour mener la guéguerre à la grippe H1N1.
Comme dans toute opération de type militaire, la communication doit être encadrée. D’aucuns se sont demandés pourquoi des avis contraires n’ont pas été entendue au moment de la décision d’activer le plan contre la pandémie et de commander les vaccins ? Censure gouvernementale ou alors autocensure ? Un élément de réponse dans une précision mentionnée dans la présentation du Geig. La notice affirme formellement que les membres du Geig ont fait le choix de ne pas communiquer sur la pandémie de 2009. Alors que communiquer sur la grippe est la mission principale du Geig. Vous avez bien lu. Je répète en copiant deux extraits lus sur le Net, l’un dans le volet présentation : « Le GEIG a fait le choix de ne pas communiquer sur la grippe A (H1N1)v, l’information sur la lutte contre la pandémie étant du ressort exclusif des autorités » ; l’autre dans le volet mission « Informer les soignants, les autorités, le grand public et les relais d’opinion, notamment les médias, sur les caractéristiques de la grippe. » Etonnant, une association qui refuse d’assurer la mission qu’elle se donne selon ses statuts.
Qui sont alors ces autorités. Eh bien le ministère de la santé et son comité de lutte contre la grippe au sein duquel on trouve quelques membres du Geig dont Bruno Lina, récemment sous les feux de la rampe médiatique car devant répondre d’éventuels liens d’intérêt. Première remarque, la plus importante. Le refus de communiquer du Geig évoque une mise sous contrôle de la diffusion d’information un peu comme dans le cas d’une opération militaire. Rien de surprenant. Sauf que le silence des experts n’a pas permis la diffusion d’un avis contraire sur cette pandémie et que les médias ont péché par négligence en n’allant pas chercher d’autres sources. Il fallait que la vaccination soit un succès pour les autorités. Le comité de lutte contre la grippe a été institué par le décret du 25 juillet 2008. Soit presque un an avant le début de la grippe pandémique. Incroyable, ce flair, cette perspicacité, cette clairvoyance. Ne voyez dans ces mots qu’une tournure ironique permettant de mettre l’accent sur le soin apporté par les autorités face à une grippe que l’opinion pensait être une banale affection, comme le rhume des foins. En vérité, la grippe reste une banale affection mais pas pour les autorités qui ont déployé depuis des années une véritable armada d’experts et de professionnels pour faire barrage au virus. Et ce en toute transparence puisqu’on peut accéder aux déclarations publiques d’intérêt des 17 membres du comité anti-grippal.
Au final se dessine un débat de société sur la prise en charge de la grippe et sur la prise en grippe d’un virus somme toute assez anodin. Quoi, bénin, et ces milliers de morts que la grippe occasionnent ! Rétorquent les experts. Oui, certes, mais encore faut-il identifier les morts directes des décès indirects. On ne meurt pas de la grippe, sauf en cas de terrain morbide. Et pour finir, une remarque qui pourrait faire mal aux obsédés de la grippe. Comment sont authentifiés les décès dus à la grippe ? Eh bien par un simple formulaire. Il suffit que dans le constat de décès, le mot grippe ou les adjectifs grippal ou grippé soient formellement notifiés. Il suffit qu’un vieux arrivant à l’article de la mort se signale par un peu de fièvre et voilà que le médecin écrit le mot grippe sur la notification de décès. Le document remonte à la comptabilité sanitaire et voilà un décès grippal de plus. C’est certain, c’est vachement scientifique comme procédure. Après, les experts peuvent annoncer des milliers de décès dus à la grippe saisonnière. Tout simplement parce que des médecins ont marqué le mot « grippe » sur les constats de décès.
Bref, cet épisode pandémique aura eu au moins le mérite d’attirer l’attention du public sur quelques pathologies dont souffriraient les bureaucrates de la machine sanitaire. Une sorte d’hypocondrie institutionnelle aboutissant à une surestimation d’un problème de santé publique, avec quelques troubles de mémoire et de perception. Certains experts ont cru que le virus de 2009 nous ramenait en 1957 ou 1968. Rien de grave. L’homme moderne est un animal malade pensait Hegel. Un animal qui s’énerve pour rien, s’affole en construisant des peurs imaginaires. L’affaire de la grippe de 2009 restera un sujet d’analyse philosophique autant qu’un prétexte pour un débat politique sur l’hypertrophie de l’Etat.
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*** Des traits que j’ignorais et que le suivi de cet événement m’a permis de connaître et analyser. Du coup, j’ai appris beaucoup de choses et notamment comment la grippe est prise en charge par les autorités sanitaires. Un esprit critique dira que les spécialistes du système de santé ont tendance à exagérer la gravité de cette affection. Mais pourquoi ne pas leur accorder le bénéfice de l’expérience et leur accorder quelque défense. La seule mesure connue pour se prémunir contre la grippe est la vaccination. La grippe a trois incidences. L’une sur le système économique puisque les gens grippés sont arrêtés par leur médecine. L’autre sur le système de santé puisque parmi les gens grippés, les rares atteints lourdement finissent dans les centres de réanimation avec les coûts que l’on sait. Enfin, l’incidence sur la mortalité est modeste mais constaté. Le plus souvent, ce sont des vieux qui décèdent mais quand on est vieux, on doit s’attendre à mourir. Ces quelques réflexions ont pour objectif de nous mettre dans la peau d’un expert du système de santé qui doit décider s’il faut promouvoir la vaccination et si oui, de comprendre sur quels critères se fonder, sur quels calculs. Est-ce que les bénéfices de la vaccination sont supérieurs au coût de sa mise en œuvre. Il n’est pas exclu qu’un jour, on vaccine chaque année toute la population, au nom de l’hygiène sanitaire et du fonctionnement économique. Un énarque dans son bureau a bien dû se poser la question. Encore faut-il calculer le bilan d’une campagne de vaccination et surtout, convaincre les populations qu’il est nécessaire de le faire au nom du bien public. Et surtout, être certain que la vaccination protège de la grippe. Bref, de quoi faire cogiter tous ces bureaucrates de l’administration sanitaire. Qui a la réponse ? Il y a trop de paramètres et d’impondérables. Pourtant, après avoir mis en cause la machine sanitaire, je me ferais bien l’avocat du diable et le défenseur des partisans d’une vaccination généralisée contre la grippe. Il y a de la santé publique et surtout de la gestion des comptes publics. Je me prépare pour un acte de contrition. Je n’aurais pas dû charger le système et dénoncer tous ces experts qui, même s’ils sont payés par les labos et le méritent, oeuvrent pour notre bien collectif. J’avoue avoir pris la position du chevalier blanc qui croyait combattre l’affairisme et l’affolement des experts et autres gouvernants du système mais même si la pandémie n’a pas eu lieu, n’ont-ils pas eu raison de tester ce plan. Après tout, les partisans de la liberté de cloper ont fini par abdiquer et le bon sens de l’air purifié dans les restaurants a fini par l’emporter. J’avoue que ce n’est pas déplaisant de déguster quelque met sans avoir les narines encombrées de fumée, même si par conviction politique je suis libéral mais la libéralité s’arrête quand on est sacrément emmerdé. Bon, je dérive du sujet. On va me trouver fumeux. Une question. Faut-il renforcer la vaccination des gens contre la grippe au nom de l’intérêt collectif ? Pour répondre il faudrait connaître le coût exact de la grippe et l’efficacité réelle du vaccin. Mais ce renforcement ne peut se faire contre la liberté du sujet. On peut comprendre la position d’un individu qui souhaite affronter le virus, tester sa réponse et en cas d’échec, interpréter comme il le veut cette affection et se dire que cette grippe marque un temps de son existence biologique avec son corps décidant de prendre quelques vacances avec la tension de la vie quotidienne. Une grippe, c’est l’occasion de faire relâche. L’organisme est fatigué et son système immunitaire le lui fait savoir. Bon, j’ai tout fait pour simplifier mais la réalité est bien embrouillée, surtout pour un expert du système de santé qui en plus des calculs, doit maintenant se coltiner des considérations philosophiques pas évidentes, surtout qu’il n’a pas été formé pour délibérer sur ces questions hautement éthiques. Au final pourtant, le verdict se confirme. La machine sanitaire est bien grippée (remonter au texte)