Industrie du médicament : les lanceurs d’alerte bâillonnés

par Cambier jean-Pierre
lundi 14 février 2011

Le scandale du Médiator va entraîner une réforme profonde du système de sécurité du médicament…tout au moins on nous l’annonce. Mais comment ne pas s’étonner du silence des veilleurs que le Code de la Santé Publique a mis en place au sein même des entreprises, pour y imposer le respect des règles officielles ? La révélation de l’échec tragique du contrôle administratif centralisé devrait conduire à l’institution d’un véritable statut des « donneurs d’alerte » officiels : ils joueront alors un rôle effectif, en évitant les pratiques dangereuses dès leur apparition.

Un dispositif de contrôle et d'alerte inefficace

« En vue de l'application des règles édictées dans l'intérêt de la santé publique », le Code de la Santé Publique (Articles R 5124-16 à 5124-41) a mis en place à tous les stades industriels du médicament un collège de diplômés d'Etat, dans le rôle d'adjoints d’un pharmacien dit « responsable » , dont les activités de contrôle doivent s'exercer à tous les stades du médicament : fabrication, publicité, information, pharmacovigilance, suivi et retrait des lots, conditions de transport garantissent la bonne conservation, intégrité et sécurité de ces médicaments, leur distribution, importation et exportation, demandes d'autorisation de mise sur le marché, enfin élaboration du programme de recherches et d'étude.

En cas de conflit, ces veilleurs diplômés ont un devoir d'alerte !

« Dans le cas où un désaccord portant sur l'application des règles édictées dans l'intérêt de la santé publique oppose un organe de gestion, d'administration, de direction ou de surveillance au pharmacien responsable, celui-ci en informe le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Article R5124-36, 7°) »Et il a été jugé en Cassation que les adjoints du pharmacien responsable partagent intégralement la responsabilité de celui-ci. Ils sont donc bien également tenus au même devoir d’alerte vis à vis des autorités ministérielles : « si l’établissement est reconnu responsable des actes de son salarié, rien ne s’oppose à reconnaître responsable aussi ce salarié en raison de l’indépendance professionnelle intangible dont bénéficie ce salarié dans l’exercice de son art. Cette solution est de matière à aggraver la responsabilité civile des pharmaciens salariés. » (jurisprudence Cour de Cas. Novembre 2002, citée par Conseil Central de l'Ordre des Pharmaciens section D 2005)

Le code de la santé a donc bien mis en place un système de contrôle par des diplômes d'Etat, chargés de multiples missions de « lanceur d’alerte » en direction des autorités sanitaires, mais ces responsables ont été placés dans une situation de "conflit d'intérêt" qui les baillone, puisqu’ils dépendent intégralement du pouvoir économique de l’entreprise où ils exercent leur mission. J'ai d'ailleurs personnellement payé pour le savoir...

Les médecins exerçant certaines activités dans l'industrie comme l'information médicale, la pharmacovigilance, ou la recherche, peuvent, au nom de leur éthique, jouer un rôle comparable. Qu'on lise le témoignage troublant confié à Médiapart par cette femme médecin licenciée pour opposition à des pratiques délictueuses !

Il faut donc de toute urgance organiser la protection du lanceur d'alerte dans l'industrie pharmaceutique.

Le Code du Travail avait déjà, par la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 , reconnu un droit d’alerte et de retrait au bénéfice du salarié qui a un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouve présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Le veilleur agit donc ici pour se protéger lui-même, et non pas dans l'intention éthique de défendre la société.

Peu à peu cependant, le champ d'effectivité de ces dispositions s'est étendu , par exemple lors du signalement de fait de corruption ; puis sous l'influence des catastrophes écologiques, l'approfondissement de la réflexion juridique s'est portée sur le rôle social des cadres comme agents protecteurs de l'environnement, placés au lieu même où « s'initie » la pollution .Enfin, selon une étude des Cadres CFDT la notion de devoir d’alerte devient par extension logique, « relative à l’ensemble des situations où un salarié, cadre ou non, reçoit un ordre contraire à la loi et à l’intérêt public, susceptible de mettre en jeu sa responsabilité personnelle, ou observe des comportements de sa hiérarchie, employeur ou non, également contraire à la loi et à l’intérêt public. Au risque de voir sa responsabilité engagée, à titre de complicité par exemple, il doit bénéficier d’un droit d’alerte(…)

Le projet le plus abouti pourrait bien être ce « Projet de loi pour la déontologie de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte », élaboré par la Fondation Science Citoyennes, avec l'aides juristes Marie-Angèle Hermitte et Christine Noiville, texte visant à a fois les atteintes à l'environnement et à la Santé Publique.

Nous proposons donc l'adaptation de cette étude à la situation des pharmaciens responsables de l'Industrie Pharmaceutique et à leurs adjoints, déjà placés par la législation dans la mission de « lanceurs d'alerte », mais dont l'absence de protection stérilise toute efficacité.

Le réforme du système du médicament ne peut se cantonner au niveau centralisé des administrations, elle doit s'implanter au coeur le la production, conformément d'ailleurs aux prescriptions d'un Code de la Santé Publique, qui a seulement « oublié » d'en assurer l'effectivité.


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