L’abus de Michaël Moore est dangereux pour notre système de santé

par Aurelien
mardi 4 septembre 2007

La moindre suggestion de discussion sur le grand tabou français de l’assurance maladie entraîne quasi systématiquement un tir de barrage de témoignages compassionnels. L’arrivée sur nos écrans du manifeste démagogique de Michaël More, « Sicko », ne va certainement pas contribuer à la sérénité du débat. Il ressort l’argument populiste classique pour botter en touche : évocation de quelques cas de graves maladies soignées grâce à notre fameuse sécu idéalisée, suivie d’une touche sur l’horreur du modèle américain.

Or, cette peur ainsi exprimée repose sur une mauvaise compréhension du rôle central de l’acheteur de soins et de son articulation avec les deux autres rouages du système de soins, assurés et producteurs de soins. L’assurance n’a pas tant pour rôle de rembourser les assurés sociaux que de les accompagner activement tout au long de leur vie et de charpenter l’ensemble de la production de soins, qu’il s’agisse de la médecine hospitalière, ambulatoire, de leur coordination ou des produits pharmaceutiques. Voilà le cœur de toutes les grandes réformes des systèmes de santé.

Au lieu de cela, la TVA sociale (heureusement mise en veille) et la franchise médicale privilégient une approche purement comptable à celle, plus ambitieuse, de la charpente de notre système de santé. Toujours chroniquement déficitaire après 21 réformes, notre sécu reste terriblement coûteuse pour les cotisants alors qu’elle rembourse de moins en moins bien les assurés. Plus grave, l’irresponsabilité générale qu’elle entretient a des répercussions inquiétantes sur le fonctionnement et les performances de notre système de soins.

Admettons que nous défendions deux objectifs majeurs auxquels la plupart des Français semblent attachés : la couverture universelle et une médecine de qualité, c’est-à-dire des soins dont l’efficacité est démontrée, dispensés quand ils sont nécessaires, délivrés de façon compétente et diligente, au moment opportun, au moindre coût et au moindre risque.

Le premier aspect du débat consiste à trancher deux questions préliminaires. Quel périmètre voulons-nous pour cette couverture universelle ? La complexité d’un mécanisme universel n’a de sens que pour les soins lourds et aigus ainsi que les soins de longue durée, hautement sensibles pour chacun de nous par l’ampleur potentielle de leurs coûts. Les mécanismes de couverture des soins courants, eux, devraient être bien plus flexibles et reposer sur la responsabilité de chacun pour s’adapter à la diversité des préférences individuelles.

Ensuite, comment devrions-nous financer cette couverture universelle ? Aujourd’hui, l’assurance maladie repose essentiellement sur les cotisations sociales des actifs, c’est-à-dire essentiellement sur le travail plutôt que sur des primes individuelles ou sur la dépense publique financée par l’impôt. Avec le rallongement de l’espérance de vie et l’augmentation directement liée des dépenses de santé, les retraités vont devoir contribuer à leur couverture santé eux aussi. Le transfert intergénérationnel massif actuel n’est plus tenable. Les mécanismes de solidarité publique, financés par l’impôt dans cette logique, doivent se limiter à ceux qui en ont réellement besoin.

Le deuxième aspect, bien plus fonctionnel, concerne l’action de l’acheteur de soins pour en améliorer l’efficacité au moindre coût. L’observation des modèles étrangers est fort instructive à cet égard. Alors que la France a fait de son assurance maladie un organisme d’administration des prix et de remboursement des assurés, les modèles les plus avancés ont fait des acheteurs de soins de véritables architectes de la production de soins et du suivi de la santé de leurs assurés. La France ne peut continuer à éluder cette évolution générale de l’architecture des secteurs de la santé alors qu’ils pèsent plus de 10 % du PIB chez nous. En ajoutant la nécessité de maîtriser les coûts par une bonne gestion à la complexité et l’évolution rapide des pratiques médicales, une assurance santé digne de ce nom doit s’impliquer activement dans l’encadrement des pratiques des acteurs de la santé, dans leur coordination et dans une politique de prévention dynamique et performante.

Un tel processus exige une liberté d’expérimentation, une émulation entre organismes similaires et le consentement des acteurs concernés, tant assurés que producteurs de soins. La solution passe par une décentralisation couplée à l’ouverture progressive du monopole actuel de l’assurance maladie. Le modèle hollandais de santé est un très bon exemple d’évolution réussie. L’ouverture de l’assurance santé, concernant la couverture universelle, est financée par l’impôt plutôt que par les cotisations sociales. Aux Etats-Unis, pays où le pire côtoie le meilleur dans le domaine de l’assurance santé, une floraison de modèles remarquables a germé au cours des dernières décennies. Les Managed Care Organizations, et notamment les Health Care Organizations, offrent un modèle extrêmement intéressant de ce à quoi pourrait ressembler, chez nous, une assurance santé moderne et dynamique.

Une étude récente de l’Institut Montaigne décortique le succès singulier d’une mutuelle apparue il y a une douzaine d’années, la VHA. Chargée de suivre les vétérans de l’armée américaine, elle couvre des personnes plus âgées et frappées de pathologies plus lourdes que la moyenne. Très décentralisée afin de favoriser l’émulation interne, elle a choisi de recourir à des méthodes qui ont fait leurs preuves : prise en main de la formation des personnels soignants, encadrement des pratiques médicales, coordination de l’offre de soins, notamment entre médecine de ville et réseau hospitalier, recours aux nouvelles technologies de l’information et, pièce maîtresse de l’ensemble, un Dossier Médical Electronique qui assure un suivi extrêmement complet et performant de la santé de chaque assuré. La prévention constitue un élément clef du suivi médical de chacun. Elle a rapidement engendré de belles économies du montant de la prime annuelle moyenne, estimées à 25 % sur 10 ans ! Les résultats sont plus que probants, au point que ce Dossier Electronique a obtenu le prix de l’innovation Harvard en 2006.

Evidemment, de telles innovations impliquent que les acteurs de santé acceptent un cadre plus contraignant, des objectifs constamment ajustés et des audits réguliers, bref sur une solide ambition de performance. Même en contrepartie de rémunérations supérieures, le pari est audacieux. Seule solution : substituer une dynamique permanente de négociation entre acteurs de santé responsabilisés aux mesures rigides dictées arbitrairement par le ministère. Cette flexibilité nécessaire passe par des caisses régionales vraiment autonomes et l’arrivée de concurrents privés à l’assurance maladie, enfin capables d’instaurer des rapports non plus imposés mais négociés avec les producteurs de soins et les assurés. A l’aube du XXIe siècle, la France doit rapidement accepter d’aborder ce débat fondateur autrement plus prometteur qu’une TVA sociale ou une franchise médicale, et qui ignore l’approche bassement populiste de Michaël Moore. Il en va de notre santé.

Références :

Système de santé aux Etats-Unis, rapport de l’IGAS (avril 2002)

Système de santé aux Pays-Bas, rapport de l’IGAS (mai 2002)

La VHA, mutuelle des vétérans US, rapport de Denise Silbert pour l’Institut Montaigne (juillet 2007)


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