L’assurance maladie en France ou le déclin d’un modèle

par yann
vendredi 17 août 2007

« Trou de la Sécu », croissance incontrôlable des dépenses de santé, inadéquation du système de soins aux besoins de la population, retard d’investissement dans le domaine hospitalier... Ces thèmes nombreux et variés défraient régulièrement la chronique, repris sur un ton plus ou moins alarmiste par les médias. Ne faisant qu’alimenter une inquiétude déjà croissante dans une partie de la population française, l’attitude des politiques traduit, ou du moins semble traduire un grand désarroi. L’illustre bien la quasi absence de débat sur l’avenir de l’assurance maladie au cours de la campagne présidentielle de 2007, qui au regard des enjeux considérables (déficit prévu à 6,4 milliards d’euros pour le régime général en 2007, avec une part pour l’assurance maladie de l’ordre de 10 % du PIB), souligne bien le malaise général vis-à-vis de ce dossier. L’absence de débat compromet fortement la réussite de réformes d’envergure pourtant nécessaires, mais qui méritent une préparation progressive de l’opinion publique, habituellement peu encline, et à raison, de supporter le poids de réformes dont elle cerne mal les tenants et les aboutissants.

Comme toujours, et c’est bien sûr le cas pour l’assurance maladie, l’équilibre financier résulte d’une balance entre recettes et dépenses. Et c’est bien là le nœud du problème : avec des dépenses de santé qui progressent de 1 à 2 % plus vite que le PIB et donc que les richesses nationales, on se trouve dans une impasse. Quelles sont les ressources dont dispose l’assurance maladie à l’heure actuelle ? Comme tout le monde sait, il s’agit essentiellement des cotisations sociales des employeurs et des salariés, donc reposant sur le travail, et de plus en plus d’impôts dont le principal est la CSG, reposant sur une base beaucoup plus large puisqu’il concerne tous les revenus. Le graphique ci-contre illustre bien cette répartition (chiffres et repères 2005 de l’assurance maladie) :

cotisations salariales et patronales : 49,6 %


CSG, impôts, taxes : 36,4 %
transferts et contributions de l’Etat : 6,4 %

autres : 7,6 %

La structure des dépenses sur la même période est la suivante (chiffres et repères, assurance maladie 2005) :

Hôpital public : 38,3 %
Etablissements privés : 7,4 %
Etablissements médicosociaux : 8,2 %
Honoraires : 13 %
Médicaments : 15,1 %
Autres prescriptions : 11,4 %
Indemnisations d’arrêt de travail : 6,6 %


Quelles sont donc les différentes options disponibles ? On peut tout d’abord augmenter les ressources, en augmentant impôts et cotisations sociales, ce que les gouvernements successifs se sont efforcés de faire essentiellement à travers les augmentations successives de la CSG. Cependant nous avons vu que les dépenses croissent plus vite que les richesses nationales, et le taux de prélèvements obligatoires en France rapportés au PIB est actuellement de l’ordre 44 %, soit dans la moyenne haute européenne. Cette stratégie est donc vouée à l’échec à moyen terme d’autant que la marge de manœuvre est devenue très limitée au risque d’étouffer une économie déjà morose. Donc augmenter les cotisations ou les impôts est nécessaire, mais bien loin d’être suffisant.

La seule façon de faire converger recettes et dépenses est donc de limiter les dépenses, ou plutôt la croissance de ces dépenses supportées par l’assurance maladie, pour la ramener progressivement vers un taux compatible avec l’accroissement des richesses du pays. Les pouvoirs publics ont compris cette nécessité comme l’illustre en particulier la loi de financement de la Sécurité sociale qui débouche chaque année après un vote du parlement sur l’ONDAM (objectif national de dépenses de l’assurance maladie). S’il s’agit incontestablement d’un pas dans la bonne direction, cela reste encore très insuffisant. En effet, d’une part l’objectif est souvent non respecté sans que les sanctions pour les acteurs du système ne soient significatives, mais surtout respect de ces objectifs ne rime malheureusement pas avec équilibre des comptes. Les chiffres de 2005 où pour la première fois depuis 1997 les objectifs ont été respectés l’illustrent bien puisque la branche maladie seule était encore en déficit de 8 milliards d’euros. Certains évoqueront un déficit de recettes lié à la conjoncture, cependant c’est un raccourci un peu facile. Entre 2004 et 2005, par exemple, une augmentation des recettes de 4,9 % n’a pas empêché le solde de déraper dans le rouge.

Ajoutons pêle-mêle une réforme en profondeur du financement du secteur hospitalier avec l’instauration de la tarification à l’activité, la création du parcours coordonné de soins et une multitude de mesures sectorielles telles que le déremboursement de médicaments ou l’instauration de franchises, et l’on arrive au monstre opaque et bureaucratique que nous connaissons sans pour autant être parvenu à juguler le phénomène. Si nos dirigeants connaissent bien le problème, les mesures prises ne sont en revanche pas à la hauteur du défi. Il faut bien reconnaître que la tâche est ardue, car en plus de la contrainte financière, il faut également tenir compte de l’égal accès aux soins pour tous ainsi qu’une bonne qualité des soins ce qui ne simplifie pas les choses.

Quelles sont les évolutions possibles ?

Comme le souligne Mme Majnoni d’Intignano, professeur d’économie à Paris XII, le régime général est actuellement en position largement dominante que ce soit pour le financement ou pour les négociations entre les différents acteurs du système. D’autre part, le financement de l’assurance maladie repose de plus en plus sur l’impôt alors que la part relative des cotisations sociales diminue. Enfin, la double représentation des cotisants par le parlement et par les représentants syndicaux nuit à l’efficacité du système en complexifiant la prise de décision. Une solution radicale serait donc de proposer une caisse maladie universelle sous le contrôle de l’Etat afin de faciliter la prise de décision et l’efficience du système. Cependant, cette solution exposerait le décideur à une opposition violente des syndicats, ainsi qu’à une bureaucratisation importante du système risquant d’entraîner une évolution inverse à celle espérée. C’est pourquoi une telle orientation est très peu probable.

On peut également s’orienter vers une dissociation entre financement et gestion du risque. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, par exemple, les cotisations patronales sont versées à une caisse commune qui répartit ensuite les ressources aux différents assureurs maladie suivant la part respective de risque qu’ils supportent (calculé à partir d’un système complexe de péréquation de risque). Ainsi on pourrait imaginer en France une caisse publique unique qui aurait pour mission de collecter l’ensemble des ressources de l’assurance maladie, voire des complémentaires, pour les redistribuer ensuite grâce à un système de péréquation des risques aux différents assureurs maladie (différents régimes, assureurs privés, mutuelles, organismes de prévoyance mis en concurrence). Cette organisation aurait l’avantage de faire reposer la gestion du risque sur l’ensemble des acteurs du système et non pas sur un organisme public en situation de quasi monopole. Cependant, là encore, il s’agit d’une rupture complète avec le système actuel, qui nécessiterait d’une part de préparer l’opinion publique, mais aussi de vaincre une inertie bureaucratique considérable accumulée par l’acquisition progressive d’avantages divers procurant une légitimité propre au système sous sa forme actuelle.

Une autre possibilité, probablement la plus aisée, ou plus justement la moins difficile à mettre en place, serait d’augmenter là encore la part du privé dans le financement de l’assurance maladie, permettant de mettre les différents acteurs en concurrence et d’espérer ainsi un gain d’efficacité du système. On pourrait s’inspirer du système des Pays-Bas, par exemple, où les risques graves sont couverts par l’assurance maladie publique alors que les soins courants sont financés par des assurances complémentaires à la charge des assurés. Cela permet à l’assurance publique de concentrer ses efforts sur les risques graves, mais présente le défaut d’augmenter les inégalités d’accès aux soins.

Le compromis pourtant nécessaire entre équilibre budgétaire, égalité d’accès aux soins, efficacité et qualité des soins est donc un objectif périlleux à atteindre. Quoi qu’il en soit, notre assurance maladie ne traverse pas un simple trou d’air conjoncturel, mais c’est la nature même de son fonctionnement qui est remis en cause. Des pistes d’évolution existent, comme le montrent des réformes plus ou moins efficaces chez nos voisins, cependant elles conduisent inévitablement à une profonde refonte de l’assurance maladie. On peut donc véritablement parler de choix de société, qui mériterait d’être débattu devant le peuple, qui pour accepter de tels bouleversements en profondeur doit pouvoir en cerner les tenants et les aboutissants. On ne peut donc que regretter la pauvreté du débat public sur le sujet, se cantonnant à déplorer le déficit permanent sans pour autant débattre des solutions de fond à y apporter. Quant à la fameuse franchise à 40 euros ou la TVA sociale, s’ils permettaient éventuellement d’accroître les recettes, ne dispensent pas d’une telle réforme en profondeur. En effet, puisque la croissance des dépenses de santé est supérieure à celle du PIB, cette stratégie serait à plus ou moins long terme vouée à l’échec et ne serait donc qu’un rafistolage de plus.

Attendons donc avec impatiente les projets de réforme en profondeur annoncés par Mme Bachelot pour la rentrée prochaine...


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