L’effet nocebo préfère les plus fragiles

par I.A.
vendredi 30 avril 2021

Les remèdes agissent de deux façons :

Si l’effet placebo s’ajoute aux effets non spécifiques, il est couramment admis que lorsque les effets non spécifiques sont favorables à l’amélioration du patient, on parle d’effet placebo, et lorsqu’ils lui sont défavorables, on parle d’effet nocebo.

 

La panacée

Il est bien question ici de remède universel, qu’il s’agisse d’un médicament, d’une tisane, d’une berceuse, d’une suggestion hypnotique ou d’une séance de kinésithérapie. Les maux étant légions, les remèdes le sont nécessairement. À tel point que nous ne pouvons nous tromper lorsque nous affirmons que le sport est un remède, au même titre que l’animal de compagnie, la culture, la musique, la danse... tout l’art, en fait, comme toute l’expression culturelle, du culinaire à l’audio-visuel, en passant par le… mensonge.

 

Effet placebo

« L’effet placebo serait de l’ordre de 30 % et pourrait atteindre 60-70 % dans les migraines ou les dépressions. L'état de certains patients souffrant d'affections réputées « incurables » se trouve parfois objectivement amélioré. Le placebo agit non seulement sur des signes subjectifs (douleur, anxiété, dépression, etc.), mais également sur des signes mesurables cliniques (fréquence cardiaque, pression artérielle) et biologiques (ionogramme sanguin, cortisolémie, numération leucocytaire) » (Wikipédia). Ainsi, « la placebothérapie a ses lois, y déroger entraîne des accidents, preuves de sa réalité incontournable » (Dr Yves Adenis-Lamarre / Legeneraliste.fr). « Des suggestions verbales d’un résultat positif (diminution de la douleur) activent la neurotransmission endogène des μ opioïdes, tandis que des suggestions d’une issue négative (augmentation de la douleur) activent les récepteurs CCK-A [cholécystokinine A] et/ou CCK-B8 »(Kalpit Agnihotri / Canadian Family Physician). Ce qu’on nomme effet placebo d’un remède englobe encore souvent, sans distinction, son impact positif et/ou son impact négatif. C’est ce dernier qu’il convient aujourd’hui d’appeler effet nocebo  : « des indications sur le « jumeau maléfique » se nichent toutefois dans les études sur l’effet placebo. Dans une étude troublante, publiée dans l’International Journal of Clinical Practice en 1998, l’Anglais A. F. Cooper découvrait par exemple, avec un groupe de patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde, que ceux à qui l’on administrait une brève leçon de choses sur la maladie se portaient moins bien que ceux qu’on se bornait à soigner, sans rien leur dire » (Nic Ulmi / Le Temps). Ces deux effets rivaux se voient volontiers intriqués : « des chercheurs du MIT ont enrôlé des étudiants pour tester un médicament présenté comme un antidouleur efficace. Les étudiants ont été séparés en deux groupes. Au premier, on annonçait que le médicament coûtait deux dollars, à l’autre qu’il n’avait coûté que dix centimes grâce à un rabais important. Mais dans les deux cas, le comprimé était un placebo inactif !

Les étudiants ont mieux supporté la douleur dans les deux groupes, c’est l’effet placebo ; mais dans le groupe du médicament à dix centimes, le soulagement a été beaucoup moins net, à cause de l’effet nocebo induit par le caractère dévalorisant d’un médicament "soldé". C'est typiquement ce qui explique que des patients ressentent moins d'efficacité avec les médicaments génériques ». (Dominique Dupagne, France Inter)

 

Effet nocebo

« Le nocebo [...] fait du mal. Dites-moi que j’ai ingurgité une denrée avariée, mes boyaux se tordront » (Nic Ulmi / Le Temps).

« L’effet nocebo est, de par sa nature, difficile à étudier dans un environnement scientifique rigoureux : sur le plan éthique, il est préoccupant de suggérer délibérément des issues négatives dans l’esprit des patients. Une étude publiée dans le JAMA énonçait les facteurs de risque cliniques d’une susceptibilité à l’effet nocebo suivants :

Quelques exemples frappants d’effets nocebo :

Résultat :

« Les scientifiques qui étudient l'effet nocebo, ont constaté que, ce qui est bon, est de pouvoir garder le contrôle ou d'avoir l'impression de garder le contrôle » (Sylvie Charbonnnier / doctissimo.fr).

 

Étiologies médico-médiatiques

Dans « Effet nocebo : le patient qui en savait trop » (Le Temps), Nic Ulmi s’appuie sur Stewart Justman pour dire que « le rapport de cause à effet semble s’afficher parfois de manière évidente ». Ainsi « il apparaît que, aussi longtemps que les habitants de Hong Kong n’étaient pas au courant de l’existence de l’anorexie en Occident, ce trouble ne se manifestait pas parmi eux, mais une fois que la notion a atteint la presse et la conscience du public dans les années 1990, le phénomène a explosé », comme si « les personnes atteintes façonnaient inconsciemment leurs symptômes selon le modèle fourni par les média » (S. Justman). Parfois, le mal est un effet direct de l’imagination, aiguillée par la propagande pharmaceutique ou par les campagnes de prévention : « Une fois mises sur le marché, des idées sur telle ou telle maladie sont en mesure de susciter la maladie elle-même », constate Justman : un diagnostic peut déployer son potentiel nocif en « semant des suggestions dans l’esprit du patient ».

Dans d’autres cas, c’est le dépistage à grande échelle qui fait des dégâts, débouchant sur des traitements qui se révèlent plus nuisibles – voire plus meurtriers – que le mal qu’ils sont censés soigner. Les mises en garde viennent du champ médical lui-même […]. Qu’il agisse directement sur l’individu via la suggestion ou qu’il déploie ses conséquences à travers une prise en charge médico-sociale, l’effet nocebo résulte d’un phénomène de « surdiagnostic » : « Overdiagnosis and Its Costs » est le sous-titre du livre de Stewart Justman (The Nocebo Effect / Palgrave Macmillan, 272 p.).

Certains maux paraissent ainsi atteindre les corps par une contagion socio-culturelle. Placebo et nocebo montrent que l’acte médical, loin d’être une simple interaction physique, est en réalité une « procédure sociale » à part entière ».

 

Les personnes fragiles

Lorsqu’on cherche à savoir sur le web ce qu’est une "personne fragile", on obtient désormais soit la description des signes de dépendance ou de glissement liés au vieillissement, soit tout le répertoire des « vulnérabilités » face au coronavirus. Puisque ce dernier inclut les personnes âgées, je prends celui du site officiel de l’administration française (en mettant de côté ce qui ne relève pas de comorbidités physiologiques), qui nous les liste ainsi :

Dans la grande majorité des cas, les personnes atteintes d’une ou plusieurs maladies chroniques, en plus de devoir faire un bilan régulier auprès de leur(s) spécialiste(s), sont sensées pratiquer l’autosurveillance, l’auto-diagnostic et l’auto-suivi thérapeutiques. Cancer en rémission, néphropathie et cardiopathie diabétique, pneumopathie, insuffisance cardiaque, hypertension, diabète… En d’autres termes, elles s’examinent et s’écoutent, restant constamment aux aguets d’une rechute, d’un déséquilibre, d’une métastase, d’une fatigue, d’une perte de poids ou d’appétit. Celles qui sont isolées bénéficient même d’un bracelet-alarme sur lequel une simple pression suffit à faire venir les secours. Quant aux personnes âgées, un vilain néologisme les surnomme « les Tamalou » (Les Goristes, album Sale temps pour les gros, 2004), et bien qu’il soit pendable de faire de généralités, on dit aussi qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Par suite, en cas de stress prononcé autant que prolongé, n’est-il pas plus rassurant, pour toutes ces personnes fragiles, de faire le 15 ou le 18 ? Sans compter que si l’appellation "maladies chroniques" rassure tout le monde, il est bon de garder à l’esprit qu’elles se transforment toutes, un jour, en phase terminale, en phase aiguë ou paroxystique, voire en défaillance multiviscérale.

Sur l’une de ses pages électroniques, l’OMS nous rappelle ceci : « La mauvaise santé mentale va souvent de pair avec la maladie chronique. La compréhension des rapports entre maladies non transmissibles et santé mentale a considérablement progressé au cours des deux dernières décennies. On sait désormais que, chez les personnes atteintes de maladies non transmissibles, les taux de dépression et d’anxiété sont très supérieurs à ceux de la population générale. Chez ces personnes, la dépression grave alourdit la charge de leurs pathologies et de leurs symptômes physiques, aggrave leur déficience fonctionnelle et majore les frais médicaux ».

Or ce petit rappel nous interroge, puisque l’OMS ne peut parler de troubles mentaux causant des troubles mentaux :

Pour se maintenir en bonne santé, pour guérir ou simplement pour grandir, toutes ces personnes fragiles ont simplement besoin d’une société responsable.

 

Le contexte, ou quand le politique ne s’appartient plus

Si beaucoup se permettent de critiquer « la terminologie placebo-nocebo, jugée binaire […], l’utilisation d’une expression comme « effets contextuels » éviterait un certain nombre de lieux communs sur le sujet, et appeler « médecine agrémentée » la médecine qui maximalise les effets contextuels permettrait de contourner les idées reçues sur le placebo » (Le Monde Diplomatique). Une médecine agrémentée maximalisant les effets contextuels, oui, mais dans quel sens, cette "maximalisation" ? Ne faudrait-il pas essentiellement une médecine consciente de son potentiel destructeur ?

Car l’anxiété est évidemment propice à l’effet nocebo : « faire tester un produit neutre à des patients sans leur préciser de quoi il s’agit, ni quels effets il peut produire, déclencherait des symptômes ex nihilo dans plus de 80 % des cas. De même, selon une recherche italienne, entendre un discours désobligeant ou menaçant augmente ainsi le taux de cholécystokinine, hormone impliquée dans la perception de la douleur » (La Santé / Patrick Lemoine, Jean-François Marmion).

Dans le contexte de la Covid, si l’effet nocebo fonctionne déjà bien chez des individus physiquement et intellectuellement solides, alors on imagine aisément les dégâts sur des personnes fragiles ! Lire les journaux ou regarder un documentaire peut-il provoquer une aggravation chez eux ? « À en croire les résultats de l'étude d'une équipe de chercheurs de l'Université Gütenberg, à Mayence en Allemagne, la réponse est oui. Selon eux, certaines personnes influençables pourraient développer de réels symptômes pathologiques sans raison objective, si ce n'est les informations santé véhiculées par les médias. Pour Michael Witthöft, cette étude montre que les annonces effectuées par les médias sur de potentiels risques sanitaires peuvent avoir de sérieuses répercussions sur la santé d'une bonne partie de la population. Selon lui, certaines personnes pourraient développer de graves symptômes par le simple fait de penser qu'ils y sont déjà sujets. Afin d'évaluer dans quelle mesure les messages véhiculés dans les médias peuvent influencer la santé, les chercheurs ont conditionné 147 participants. Pour ce faire, ils ont dû regarder un documentaire et un reportage traitant des effets négatifs des téléphones portables et des signaux WiFi sur la santé, avant d'être exposés à de faux signaux WiFi. Mais cela, les chercheurs se sont bien gardés de le signaler aux participants. Résultat ? Bingo, effet nocebo. Bien qu'ils n'aient donc été exposés à aucune onde, la majorité des participants a développé les symptômes décrits par les médias. 54% d'entre eux ont développé des symptômes caractéristiques » (Le HuffPost).

Touchant plus particulièrement les personnes fragiles ou malades, Arthur J. Barsky précise qu’« une information médicale peut initier un cycle autoperpétuant et autovalidant d’amplification de symptômes. Apprendre qu'un symptôme peut être plus remarquable ou médicalement significatif, l'amplifie. Réattribuer le symptôme à une cause plus sérieuse et plus inquiétante amène le patient à le surveiller et à l’envisager de plus près, et cette attention accentuée amplifie la symptôme, le rendant plus intense et intrusif, plus inquiétant et affligeant » (The Iatrogenic Potential of the Physician’s Words. JAMA 2017 ; Traduction Arnaud Gouchet).

Parfois « ce n'est pas tant l'info elle-même qui pose problème, mais plus la manière dont elle est avancée » (Sylvie Charbonnnier / doctissimo.fr). Ritualisation, médiatisation, théâtralisation : « en sorcellerie, l’acte c’est le verbe. Il n’y a pas de parole neutre » (Philippe Garbit, Télérama/France Culture). À tel point que « prédiction rime avec malédiction […]. Le sujet attend un événement négatif bien défini via des messages sociaux, médiatiques, professionnels, populaires, etc., et cet évènement va survenir. Bien sûr, tout le monde n’est pas sensible à cet effet nocebo. Il va dépendre de l’état mental, du monde intérieur de la personne, de sa manière d‘être au monde, de ses croyances, de sa capacité d’auto-analyse, de l’époque et du contexte social dans lequel vit cette personne. Ainsi en est-il de la mort vaudou décrite par les premiers anthropologues, ou plus proche de nos sociétés, des hystéries collectives ou des catégorisations de pathologies (vous êtes pré-ménopausée, bipolaire, pré-hypertendue, votre enfant est dyslexique, il a un trouble de l’attention avec hyperactivité …). L’effet nocebo repose sur 3 principaux mécanismes de l’esprit :

Je crois, tu crois, nous croyons… » (Annette Lexa / Cancer Rose).

Nous vérifions toute l’étendue des dégâts de l’effet nocebo au travers le reality show qui nous est imposé depuis mars 2020 : surinformation et hystérisation, menaces et culpabilisation, totalitarisme et injonctions, tests, affichages insistants, reportages, ou photos oppressantes, sirènes deux-tons des pompiers, du SMUR, des ambulances… : depuis plus d’un an, les victimes de la Covid restent les plus faibles d’entre nous – qui sont déjà de plus en plus nombreux (papyboom + amélioration des prises en charge), mais surtout de plus en plus fragilisés par le contexte actuel. Lequel produit, qui plus est, des êtres fragiles nouveaux à chaque heure qui passe, de chaque journée plombée par tant de mesures hystériques.

 

La croisée des chemins

Les faits et gestes des grands acteurs publics sont donc invariablement suivis d’effets spécifiques, comme d’effets non spécifiques. À l’heure de la mémoire digitale, tout acteur public se rend donc comptable, à perpétuité, de ces effets-là – particulièrement sur les personnes fragiles. Cris et menaces, lois d’exception et état d’urgence, chantages et hystérisations, masques, gels et enfermements, ont indubitablement des retentissements négatifs sur la population.

Aux échelles d’intrigues dont on parle, il est bien entendu facile d’initier une vaste entente internationale ayant pour triste ambition de se couvrir mutuellement, afin de légitimer telles ou telles mesures coercitives – chaque nation se prenant à témoin l’une l’autre, servant de garante autant que de caution à sa voisine. Mais à présent, qu’importe les raisons ou les buts. Et qu’importe ce que pensent, ce que disent et ce que font les nations voisines. Les grands acteurs publics ne peuvent se permettre de mimer leurs voisins : à de tels niveaux d’actions et de telles amplitudes d’effets, les seules erreurs auxquelles on peut prétendre, sont celles qu’on a le courage d’avouer.

Nous en avons tous conscience, la sacralisation des soignants et la facilité d’accès aux infrastructures sanitaires ont fait exploser les demandes de soins inutiles, les appels au secours sans objet, les fausses urgences. Et pas forcément en provenance de malades imaginaires : mais plutôt de personnes mal en point, consommant du soin comme nombre d’entre elles ont consumé leur vie, et qui s’écoutent expirer, se rendant de plus en plus fragiles, de plus en plus dépendantes. Il s’agit de patients maintenus à bout de bras par des médications agressives, et à l’occasion déjà ressuscitées plusieurs fois dans les CHU. En définitive, il est surtout question de cette mort-au-domicile dont on ne veut plus dans nos grandes villes, c’est-à-dire de ces souffrances – plus morales que physiques – que nous ne savons plus supporter. Cette vie qui refuse de finir autrement que par cette mort ingérable, humiliante et sans objet.

Il n’y a pourtant jamais eu sorcellerie en la matière : ce n’est pas parce que tout le monde peut faire le 15 ou le 18, que tout le monde est réanimable.

Nous nous trouvons donc, ici et maintenant, devant deux projets de société :


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