L’hôpital et la charité

par olivier cabanel
lundi 27 janvier 2020

On connaissait l’expression « l’hôpital qui se fout de la charité », voici peut-être venu le temps de poser la question « la charité se fout-elle de l’hôpital ? ».

Pour ceux qui l’ignorerait encore, cette expression ancienne vient du fait que le mot « hôpital » désignait depuis le 18ème siècle un établissement médical, lequel était géré par un donneur d’ordres appelé « charité », et aujourd’hui, cette expression montre du doigt quelqu’un qui critique le défaut d’un individu, défaut qu’il a lui-même.

L’hôpital est donc en crise, ce n’est un secret pour personne, et cette crise est probablement due à tous ces énarques, qui, au sein de ce gouvernement, ont décidé qu’il devait être rentable... alors qu’il s’agit d’un service public lequel n’a pas vocation d’être d’abord rentable.

En 2003, il y a donc 17 ans, on comptait 1029 établissements publics de santé, dont 681 centres hospitaliers, et 348 hôpitaux locaux,  et la situation de ces établissements, et du personnel qui y travaille s’est assez gravement détériorée. lien

Ces dernières années, d’importantes « restructurations » ont eu lieu, avec la fermeture de services d’obstétrique ou de chirurgie, mais en haut lieu, on n’aime pas utiliser le mot « fermeture », mot tabou chez nos chers énarques... on préfère largement utiliser celui de « transformation », de « restructuration » donc.

Ainsi, alors que les autorités sanitaires ordonnent l’arrêt des accouchements dans certains sites, évoquant des risques sanitaires, ces mêmes autorités expliquent que la maternité est « transformée » en centre périnatal de proximité... on réorganise donc... on adapte les missions... mais pour autant le personnel soignant estime qu’un hôpital dont on ferme la maternité, ou la chirurgie, n’est plus vraiment un hôpital, et ils ont le sentiment qu’on a bel et bien fermé leur hôpital. lien 

Sans oublier que l’affluence des patients ne permet plus de les accueillir dans des conditions acceptables.

Qu’arrivera-t-il si le « coronavirus » décide de frapper à son tour la France, alors qu’il manque des lits, et surtout du personnel, lequel est déjà à bout de nerfs ? lien

La situation n’évolue donc pas dans le bon sens, puisqu’en haut lieu, pour obtenir la rentabilité, il a la volonté de faire baisser l’hospitalisation complète, au profit de ce qui est appelée chirurgie ambulatoire

La chirurgie ambulatoire consiste à permettre la sortie du patient le jour même de son admission, réduisant ainsi les coûts. lien

L’hôpital est donc bien malade, et ce n’est pas une nouveauté, mais il semble bien que la situation se soit détériorée au fil des ans.

Dès 2018, Henri Guaino faisait un constat clair : « d’abord on a fermé les hôpitaux de proximité, sous le prétexte fallacieux qu’ils n’étaient pas aux normes, mais c’était en réalité pour faire des économies, sans réaliser que cette pratique a fait exploser le poste « transports médicaux ».

Puis a été instaurée une méthode pour le moins discutable, la « tarification à l’activité », ce qui fait que « plus on fait d’actes à l’hôpital, plus on a de crédits », oubliant que la santé n’a pas de prix ».

D’autres raisons expliquent la crise actuelle : alors que les 35 heures décidées devaient permettre de créer des emplois, afin de mieux partager le travail, c’est le contraire qui s’est produit, puisqu’en même temps, ce sont les effectifs qui ont été réduits, et cette pénurie de personnel a provoqué l’épuisement de celui-ci.

Comme le dit l’ancien ministre, si, par exemple, on supprimait l’assurance maladie pour que les gens soient plus restrictifs sur leur demande de soin, le pays ne serait pas plus riche pour autant... il serait même plus pauvre parce qu’un pays dont la santé des citoyens se dégrade est beaucoup moins compétitif et beaucoup moins productif. lien

Alors, l’hôpital est-il devenu une industrie comme les autres ?

C’est la question qui était posée à Stéphane Velut, neurochirurgien... et aussi essayiste, sur l’antenne de France Culture, le 24 janvier dernier, ce scientifique étant aussi l’auteur de « l’hôpital, une nouvelle industrie ? » (Éditeur Gallimard, janvier 2020).

Il s’indigne : « il y a la volonté de faire de la maladie une matière première, et de la guérison un produit fini, comme si nous étions dans une industrie, une chaine de production...  ».

Il juge même scandaleux la nouvelle terminologie : les malades étant traités en termes de « stock », de « flux  »... les autorités préférant évoquer un « redimensionnement » plutôt qu’une « réduction », sans que ça change grand-chose à la réalité.

Pour nos dirigeants, « la seule façon de faire des économies, c’est de réduire le nombre de lits. C’est indicible, on parle de redimensionnement capacitaire, et c’est ce manque de sincérité qui fait que le malaise est grand  », et le scientifique de s’indigner d’être aux mains de gestionnaires soucieux de transformer l’hôpital en une industrie où la vitesse et la rentabilité prennent le pas sur le souci de la personne humaine. lien

Sans oublier, ce nouveau phénomène qui a singulièrement augmenté le nombre de patients qui se rendent aux urgences : selon la DREEES (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) entre 1996 et 2015 la fréquentation des urgences a augmenté de 93%, et cela est en partie dû à la faiblesse du nombre de personnel dans les hôpitaux. lien

Pas étonnant dès lors que les suicides se multiplient dans ces institutions, à l’image de ceux que connaissent autant la Poste, que France Télécom, Orange, le Monde Agricole, et compagnie.

Dès 2018, les enquêtes ont démontré que sur la moitié des 700 professionnels de santé, plus de 40% d’entre eux disent connaître un confrère qui a fait une tentative de suicide.

Les raisons invoquées sont les maux qui touchent l’ensemble du corps médical, dégradation des conditions de travail, valeurs soignantes déconsidérées, pénibilité non reconnue, grille de salaires peu conformes au niveau de responsabilité, burnouts...

Mais la ministre, Agnès Buzyn en l’occurrence, fait la sourde oreille, ce qui a provoqué « l’appel des mille  » qui constate que la logique commerciale et le management par le chiffre, sont les conséquences du « Tout-T2A » (tarification à l’activité), ainsi que l’expliquait le professeur André Grimaldi, l’un des mille signataires de l’appel. lien

On pourrait résumer l’appel des mille par le constat suivant : « une nouvelle cure de rigueur budgétaire de 1,6 milliard est imposée aux hôpitaux. Leur budget n’augmentera en 2018 que de 2% alors que les charges programmées augmenteront de plus de 4% (...) les hôpitaux sont donc condamnés à augmenter sans cesse leur activité tout en réduisant le nombre de leurs personnels ». lien

Devant l’indignation générale, la ministre de la santé affirmait avoir lâché un peu de lest en novembre 2019, et disait avoir obtenu « les moyens nécessaires » pour un « Plan Marshall » destiné aux urgences, souhaitant que la « prime de sécurité » soit relevée., « partout où cela est justifié ».... sauf que, comme l’écrit Jean-Yves Naud, journaliste et docteur en médecine : « Agnès Buzyn n’a pas obtenu du gouvernement et du président les moyens nécessaires pour un Plan Marshall destiné aux urgences et aux hôpitaux de France ». lien

D’autres sont encore plus pessimistes, voyant poindre un système de santé à deux vitesses : certains médicaments ne sont plus remboursés.

Ajoutons pour la bonne bouche que ces déremboursements ont été décidés sous la pression insistante des laboratoires. lien

Et puis, d’autres médicaments ne sont plus à la portée de toutes les bourses.

Ainsi certains traitements contre le cancer atteignent des sommets : entre 3000 et 7000 euros par mois et par malade, et la ligue contre le cancer a beau exiger un prix fondé sur des éléments objectifs, transparents, et objectifs, négociés avec les patients et le personnel médical, la partie est loin d’être gagnée. lien

Pas étonnant dès lors qu’un nombre croissant de patients ne se font plus soigner.

Le monde des soignants est donc passé de l’état « désabusé », à celui du « désarroi », en passant par la case « désenchanté », et comme dit mon vieil ami africain : « qui cherche ce qu’il ne doit pas chercher, finira par trouver ce qu’il ne cherche pas ».

Le dessin illustrant l’article est de Jerc

Merci aux internautes de leur aide précieuse

Olivier Cabanel

Articles anciens

Au bouleau

H1N1 une affaire juteuse

Quand l’abeille guérit

Soigner ou vacciner

Un bon docteur n’a pas de clients

Ce Gui qui met l’amour en cage

Atchoum

L’huile de l’arbre

A table avec les sauvages

A table avec les insectes

Des racines et des arbres

Main verte pour tomate rouge

Ces plantes qui font trembler Big-Pharma

A l’oreille des feuilles

La terre folle

Les dessous du chou

Des piquants qui protègent

Ces plantes qui tuent les virus

L’amarante, plante espiègle

Des pommes, des poires, mais pas n’importe quoi

Les avancées de l’immobile

A l’aide d’iode

Jamais déçu par le chou

Sauvé par l’écorce


Lire l'article complet, et les commentaires