L’incompréhensible grogne des chirurgiens
par Patrice Lemitre
jeudi 15 novembre 2012
Il parait assez hallucinant que les chirurgiens soient dans la rue pour dénoncer l’avenant no 8 portant sur la « réglementation » des dépassements d’honoraire. En effet, la ministre, Marisol Touraine, avait, sur ce dossier, déjà avalé son chapeau en renonçant en pratique à plafonner les dépassements d’honoraires tout en accordant aux médecins quelques avantages inespérés. Mais qu’est-ce qui ne vas pas chez les médecins ?
Rappelons quelques notions à ceux qui, comme moi, ne sont pas des spécialistes de la santé. Les actes médicaux font l’objet d’une nomenclature très précise et pour chacun d’eux la sécurité sociale a fixé un tarif forfaitaire. Les médecins libéraux[1] qui acceptent ces tarifs oeuvrent dans le secteur 1. Ils ne sont pas très bien payés, il faut le reconnaître. Certains actes, comme la reconstitution d’un sein après une ablation par exemple, n’ont pas été revalorisés depuis des décennies et sont ridiculement bas. En revanche, leurs actes sont un peu mieux remboursés que ceux des médecins qui pratiquent des dépassements. Et surtout leurs charges sont payées par la sécurité sociale. C’est un avantage qui est loin d’être négligeable.
- François Hollande et Marisol Touraine
- En mars 2012 François Hollande est en campagne à l’hôpital de Romans, avec sa future ministre de la santé.
Il y a un second secteur dit « secteur conventionné à honoraires libres » et c’est précisément celui qui pose problème actuellement. La philosophie acceptée implicitement par tous les acteurs à l’origine (en 1981) était la suivante : les tarifs du secteur 1 sont trop bas ; on permet aux médecins de pratiquer des dépassements, mais avec « tact et mesure », notion difficile à défendre devant un tribunal. En échange, ces médecins continuent à bénéficier de l’essentiel des avantages du conventionnement.
Les premières années, cela a plutôt bien fonctionné. Les médecins étaient mieux payés et les assurances complémentaires absorbaient la différence. Bien sûr, ce sont bien les assurés qui supportaient le coût supplémentaire in finé ; mais la ponction s’effectuait de façon presque indolore. Sauf bien sûr pour ceux qui n’avaient déjà pas de mutuelle…
Malheureusement, la situation s’est fortement dégradée, le nombre et les montants des dépassements ayant littéralement explosés ces dernières années. A l’image de la société tout entière, le rapport des médecins à l’argent s’est décomplexé et ils sont devenus de plus en plus gourmands. Avec la crise économique, toutes les conditions étaient réunies pour que la partie la plus fragile de la population ne puisse plus accéder à la médecine libérale. Actuellement 11 % des généralistes, 40 % des spécialistes et 85 % des chirurgiens pratiquent des dépassements d’honoraires. Surtout, les écarts sont de plus en plus importants. 200, 300 et même 400 % de dépassement sont de plus en plus courants…
L’accord signé le 25 octobre dernier était censé mettre un frein à cette dérive. Or, c’est loin d’être le résultat obtenu, bien au contraire. Le préambule de ce texte[2] fixe une limite de dépassement de 150 %, mais en précisant qu’il s’agit d’un repère qui pourra d’ailleurs, « dans certaines zone géographique (…) faire l’objet d’adaptation ». L’avenir de ce vœux pieu sera le même que le « tact et mesure » avancé lors de la création du secteur 2. Les médecins vont s’asseoir dessus.
Non seulement aucun plafond n’a été mis en pratique pour modérer les dépassements, mais cet accord fait tout pour achever le secteur 1 et inciter tous les médecins libéraux à pratiquer des dépassements. Le texte prévoit en effet la mise en place d’un fumeux « contrat d’accès aux soins » dans lequel les praticiens sont invités à modérer leur tarifs et leur dépassements, à pratiquer les tarifs « sécu » pour les situations d’urgence et pour les patients modestes, notamment ceux qui bénéficient de la CMU. En échange, les signataires obtiennent :
1/ Un remboursement des actes avec dépassement sur la même base que les praticiens du secteur 1.
2/ Un remboursement de 5 € supplémentaires par consultation pour les patient âgés de plus de 80 ans.
3/ Un meilleur remboursement également pour le suivi des patients qui viennent d’être hospitalisés pour certaines pathologies.
4/ Et surtout la prise en charge des cotisations sociales par l’Etat, comme pour les médecins du secteur un.
D’emblée, un examen rapide de l’impact de ces mesures sur la sécurité sociale a été estimé à 400 millions d’euros. Mais surtout la mise en œuvre de ce texte ne pourra qu’aboutir à une ponction accrue des patients. On se demande en effet ce qui va bien pouvoir retenir les médecins libéraux d’abandonner le secteur 1, au profit du 2 nouvelle manière, où ils auront les mêmes avantages, plus la bénédiction de l’Etat pour pratiquer les dépassements.
On se demande aussi comment les chirurgiens, grands spécialistes des dépassements +++, osent défiler dans la rue en prétendant que Marisol Touraine va achever la médecine libérale ! Sans doute ont-ils perçu la fragilité de cette ministre de la santé bien peu inspirée et qui ne semble pas avoir une vision très claire de ce qu’il faudrait faire dans ce secteur. Pourquoi lui fallait-il à tout prix un accord ? Les syndicats de médecins ne voulaient rien lâcher ? Et alors ? Une loi aurait tranché dans le vif, en imposant un plafond de 150 % de dépassement autorisé. Et aurait pu consacrer les 400 M€ qui vont être jetés par la fenêtre à revaloriser les actes des médecins qui s’accrochent au secteur un. Je veux parler de ceux qui se soucient encore de leurs patients…