L’usine à fous : l’industrie de la guérison
par Gaëtan Pelletier
vendredi 22 mai 2009
Avec le développement du capitalisme (vers le milieu du 17e siècle en Europe) on commence à enfermer les « fous » avec l’ensemble des « marginaux » de l’époque, prêtres défroqués, libertins, pauvres, handicapés, vieillards...
La « tare » commune de ces gens est précisément de ne pas être productifs, de ne pas travailler. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’à l’intérieur de ce qu’on appelle l’hôpital général, ceux qui sont enfermés sont soumis au travail forcé. C’est là le tribut à payer à la morale bourgeoise qui s’implante : « l’oisiveté devient la mère de tous les vices ». La psychiatrie au Québec : réalité d’hier, pratique d’aujourd’hui
« C’est le malheur du temps que les fous guident les aveugles. »
William Shakespeare
Le « fou » de jadis : un Dieudonné pour un roi
Le « fou » a longtemps été …dehors. Il circulait à l’état libre, intégré à la vie quotidienne et à la culture. Chaque roi avait son « monologuiste » pour les jours où il broyait du noir. Alors, on engageait une sorte de Dieudonné pour lui raconter des drôleries, grimacer, ou faire le pitre, etc. Le bouffon avait intérêt à faire rire le roi, car ce dernier avait le pouvoir de jouer au jeu du pendu, mais pas seulement sur papier…
Les premiers traitements : « rallumer » le patient
Pour écarter ces « anormaux », on les a longtemps enfermés dans des asiles. Un nom d’ailleurs difficile à trouver aujourd’hui, c’est un « hôpital psychiatrique » suite aux découvertes des traitements chimiques.
Au début du 20e siècle, voire avant, on a découvert la Sysmothérapie, Wiki ou électrochoc, se rendant compte que si on pouvait allumer un plafonnier, on pouvait peut-être rallumer le malade mental. La technique serait encore en vigueur, quoique controversée.
Calmer le porc avant de l’abattre :
Vint par la suite une « avancée » dans la technique en 1938, Ugo Cerletti et Lucio Bini, aidés des expériences de leurs prédécesseurs, observèrent l’attitude des porcs : ceux-ci avant d’être tués, sont électrisés afin d’être plus calmes durant la séance. Ugo Cerletti et Lucio Bini décident alors d’expérimenter cette nouvelle technique sur des chiens (entre 1930 et 1938), puis des hommes... Ils reprirent l’idée du choc au cardiozole en le remplaçant par le choc électrique. C’est en 1938 que l’équipe italienne appliqua le premier électrochoc à un malade schizophrène sans son avis (ça ne se faisait d’ailleurs guère pour aucun traitement) et dans un contexte de désaccords dans l’équipe psychiatrique.
Mais on n’arrête pas le progrès…
Le contrôle à distance par la manette chimique
Les « fous », ou malades mentaux finissent par coûter cher. Il fallait donc délivrer ces patients trop onéreux pour l’État et, surtout, de plus en plus nombreux. D’où la nécessité - préparez vos mâchoires – de les « désinstitutionnaliser ». Bref, les remettre en circulation, mais muselés de médication.
Aux U.S.A., la santé mentale communautaire s’est développée à l’ombre du mouvement général de santé publique qui avait réussi à endiguer des fléaux publics comme la fièvre jaune, la tuberculose, etc. D’où les « mental health clinics ». Plus tard, vers les années quarante, comme la psychiatrie américaine avait réussi à juguler la névrose de combat, problème très coûteux pour l’économie militaire, les psychiatres ont vite conclu que toutes les maladies psychiatriques ne sont que « réactions » et sont susceptibles d’être guéries. Mayer-Dorvil
Réactions : le plafonnier s’est allumé pour les chercheurs.
De la maladie mentale à l’invalidité …de vivre
Le concept de la maladie mentale a évolué et s’est étendu. La maladie mentale est une affection qui perturbe la pensée, les sentiments ou le comportement d’une personne de façon suffisamment forte pour rendre son intégration sociale problématique ou pour lui causer souffrance. Wiki
Ce qui ouvre bien des portes pour faire sortir le malade…
· Conduite asociale et perturbation des relations.
· Troubles de l’humeur.
· Altération de la personnalité.
· Troubles cognitifs et perceptuels, hallucinations.
· Altération de la perception du réel.
Les olympiques de la vie
Le gouvernement japonais a signalé 10.000 cas par an, des gestionnaires, cadres et ingénieurs qui sont morts de surmenage. Burnout on the Rise
Aux olympiques de la vie, dans cette course effrénée pour la survie ou la réussite, les sociétés dites « évoluées » sont en train de devenir les champions du dopage pour ses athlètes au cent maîtres de la réussite.
Un rapport récent de l’office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (juin 2006) trace l’état des lieux de la consommation de ces médicaments en France. Il confirme la situation particulière de la France : "la consommation de ces médicaments, notamment celle des anxiolytiques et hypnotiques, est en moyenne deux fois plus élevée en France que dans les autres pays européens, l’écart étant particulièrement flagrant avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas". Psychologie.
Dans tous les pays riches, on constate une augmentation de traitements contre ces maladies dites « modernes ». Elle concorde d’ailleurs avec le grand boom économique de l’après deuxième grande guerre.
Après la bombe atomique : la médication « implosion »
L’émergence de la dépression comme une véritable « épidémie » commence dans les années 1960 et est contemporaine du lancement des premiers médicaments antidépresseurs. Ainsi, lorsque, en 1956, le psychiatre suisse Roland Kuhn découvre les effets antidépressifs de l’imipramine, le laboratoire pharmaceutique Geigy refuse d’abord d’en financer le développement, jugeant le marché de la dépression trop étroit.
Mais on finit toujours par trouver le moyen de vendre son produit…
Au début des années 1960, désireuse de promouvoir les propriétés antidépressives de l’amitriptyline, la société pharmaceutique Merck achète 50 000 exemplaires du livre du psychiatre Frank Ayd, Reconnaître le patient déprimé, et les distribue gratuitement aux psychiatres et aux médecins dans le monde entier]. Ceci fait dire à David Healy : « Merck n’a pas seulement vendu de l’amitriptyline, mais aussi un concept.
Le stress aussi un fléau social et économique qui coûte des fortunes à la collectivité : on estime le coût global annuel du stress à 1800 milliards de dollars aux États-Unis et à 160 milliards de dollars au Royaume-Uni. Élans des citoyens
Les médicaments et le coût sont absorbés par les patients. Évidemment… Sans compter que lors d’une enquête, un chercheur s’est étonné que les insomniaques préfèrent traiter leur insomnie par l’alcool… Jugé plus efficace. (sic)
L’invisible hôpital psychiatrique : La machine à brouillard
C’est le titre français du film Vol au dessus d’un nid de coucous paru en 1962 aux États-Unis. Le film est une critique virulente du système visant à « embrumer » les patients jusqu’à le « zombiliser »… Et la résistance des patients.
Les « maladies » modernes créées par les sociétés foisonnent ainsi que les médicaments : psychotropes, tranquillisants, antidépresseurs, neuroleptiques, anxiolytiques, hypnotiques. La palette de couleurs à de quoi séduire un peintre également.
On a clairsemé la maladie mentale dans une mixture de médicaments et on l’a rendue invisible en camouflant les malades sous un vocable étriqué : dépression. Ce qui enveloppe toutes les souches soi-disant anodines, mais dans une caverne de souffrances amorties. De sorte qu’elle n’est devenue aujourd’hui qu’un malaise, un mal de vivre, un brouillard qui cache, hélas, les causes des désespérés
Les « fous » sont revenus en liberté dans des camisoles psychédéliques.
En ce qui concerne la consommation de médicaments agissant sur le système nerveux, les chiffres sont éloquents. "En 2003, la population canadienne a consacré 15 milliards de dollars aux médicaments d’ordonnance, ce qui représente une hausse de 14,5% par rapport à l’année précédente." (Currie, 2005, p.1) Cette hausse est essentiellement attribuable aux psychotropes. Parmi les nouvelles générations de psychotropes, on retrouve les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (ISRS) qui sont utilisés pour traiter la dépression, l’anxiété, la panique, les troubles émotifs, le "trouble dysphorique prémenstruel", "l’anxiété sociale", etc. Entre 1999 et 2003, le nombre d’ordonnances d’ISRS délivrées au Canada a augmenté de 80%. Ils sont devenus l’un des produits pharmaceutiques les plus prescrits au Canada et ailleurs dans le monde. Ils sont également deux fois plus prescrits aux femmes qu’aux hommes. (Currie, 2005, p.2) (Voir Dossier Santé mentale) RQASF
Nous sommes en 2009.
La folie décodée : l’industrie de la guérison
De la folie d’hier, les citoyens sont passés à une panoplie de maladies de « l’âme » dont la plupart ont pour cause le contexte socio-économique. Névrose, anxiété, état de dépression. Il existerait au moins 400 formes de psychothérapies : bio-énergie, Gestal-thérapie, sophrologie, programmation neuro-linguistique, etc, et de nombreux travailleurs, il va se soi.
Encore faut-il avoir le temps… Et c’est là que pour couper court au « traitement », les individus se tournent vers les remèdes miracles : la petite pilule.
Le bûcher du boulot : la « pendémie »
Les sociétés riches cultivent une vision dans laquelle le bonheur est atteint par la somme de ses avoirs. Les nids sont douillets, les traitements savants et à la portée de tous.
Ne sommes-nous pas de faux petits rois qui avons à notre portée tous les bouffons qui nous dirigent ?
Le citoyen, dans sa petite camisole ira dormir ( s’il réussit à le faire) , mais inquiet, nerveux, fragile, et insécurisé…
Insécurisé dans un monde d’abondance.
La cellule est belle !
Le citoyen est bien nourri par les sorciers d’un capitalisme affolé qui les brûlent au bûcher du boulot. Il est devenu une sorte de charbon qui alimente la machine étatique et l’élite prête à tous les moyens pour garder son troupeau de travailleurs.
En fin de compte, nous aboutissons à une alternative à deux termes exclusifs qui suppose une division sectorielle de tout le champ de la santé mentale : le courant psychiatrique, i.e. être avec la société contre le fou, et le courant antipsychiatrique, c.-à-d. être avec le fou contre la société. Le fou contre la société
Et combien de suicidés nous cache-t-on dans ces sociétés « idéales » ?
Ces gens qui ont fini par tresser peu à peu les petites lignes qui finissent par délinéamenter le pendu.
Combien de temps accepterons-nous ce jeu … sur papier ?