La balance bénéfices-risques du vaccin d’AstraZeneca

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 16 avril 2021

Faut-il accepter de se faire vacciner avec AstraZeneca ou pas ?

Après le Président de la République fédérale d’Allemagne Frank-Walter Steinmeier (âgé de 65 ans) le 1er avril 2021, la Chancelière allemande Angela Merkel (âgée de 66 ans) a prévu de se faire vacciner avec le vaccin AstraZeneca ce vendredi 16 avril 2021. Autant dire que cette information a de quoi rassurer la France qui pouvait craindre un effet domino après l’annonce par le Danemark de renoncer définitivement à ce vaccin.

On a trop souvent surinterpréter la décision du gouvernement danois annoncée le 14 avril 2021 par Soren Brostrom, le directeur de l’Agence nationale de santé danoise. Le Danemark est un petit pays et s’il peut faire vacciner toute sa population sans le vaccin AstraZeneca, c’est tant mieux pour lui. Au-delà de la réalité de ce vaccin, le déficit de confiance dont ce vaccin pâtit est tel que c’est même la politique de vaccination qui peut être mise en défiance.

Mais la France ni l’Allemagne ne peuvent pas se permettre de se passer de ce vaccin. En France, par exemple, le total de l’approvisionnement, depuis le début, en vaccins, est prévu à la fin du mois d’avril 2021 selon la répartition suivante. Pfizer : 17,2 millions de doses ; Moderna : 2,5 millions de doses ; AstraZeneca : 7,4 millions de doses ; Johnson&Johnson : 0,6 million de doses. On voit bien, avec ces chiffres, que pour un pays de 67 millions d’habitants (soit, à part pour Johnson&Johnson, un besoin de 134 millions de doses, voire plus car on dit maintenant que les personnes en immunodéficience devront prendre une troisième dose), on ne peut pas se passer du vaccin AstraZeneca. Au 15 avril 2021, il y a eu en France 11 956 087 personnes vaccinées avec au moins une dose et 4 265 276 personnes qui ont reçu une seconde dose. C’est 2 millions de plus que l’objectif des 10 millions le 15 avril 2021, mais on est encore loin du compte pour immuniser toute la population.

Pour redorer une image ternie dès le début, le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran (àgé de 40 ans et 9 mois), en tant que personnel soignant (il est neurologue), s’est fait vacciner publiquement le 8 février 2021 avec un vaccin AstraZeneca. De même, le Premier Ministre Jean Castex (âgé de 55 ans et 9 mois) s’est lui aussi fait vacciner publiquement le 19 mars 2021 à Melun avec le même vaccin. Dès lors que la recommandation, à partir du 19 mars 2021, est de ne vacciner que les personnes de plus de 55 ans (en Allemagne, Espagne, Portugal Italie, Pays-Bas, réservé aux plus de 60 ans ; au Royaume-Uni, aux plus de 30 ans), on comprendra que le Président de la République Emmanuel Macron (43 ans) ne pourra pas se faire vacciner avec le vaccin AstraZeneca. Et Olivier Véran aura une seconde dose d’un autre vaccin.



Revenons au vaccin AstraZeneca. Et d’abord, son appellation. Son nom commercial était AZD1222, et il s’est transformé le 29 mars 2021 en VaxZevria. En fait, on l’appellera toujours AstraZeneca, parce que pour les vaccins contre le covid-19, ce qui est sans précédent, on les nomme par le nom des entreprises qui les ont conçus ou plutôt produits (on oublie souvent les partenaires scientifiques indispensables : l’Université d’Oxford pour AstraZeneca, BioNtech pour Pfizer, etc.). Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient pas encore finis d’être développés quand le grand public a eu connaissance de leur existence, et leur nom commercial n’avait pas encore été donné.

Le vaccin AstraZeneca est effectivement le résultat d’une collaboration entre le groupe pharmaceutique suédo-britannique AstraZeneca (issu de la fusion en 1999 du Britannique Zeneca avec le Suédois Astra, donc issu de l’Union Européenne), dirigé par le Français Pascal Soriot depuis 2012 (Moderna aussi est dirigé par un Français), et de deux laboratoires de l’Université d’Oxford. Ils ont reçu des financements publics massifs, tant américains, britanniques qu’européens (dans une moindre mesure). La compensation de ces aides publiques, c’est d’être vendu à prix coûtant, c’est-à-dire sans bénéfices, ce qui peut se concevoir ici (j’en reparlerai prochainement) car ce groupement de partenaires n’a pas financé lui-même sa recherche. C’est donc l’un des vaccins les moins chers sur le marché actuel.

Sa technologie est différente de celle de Pfizer et Moderna : il s’agit de la technologie à vecteur viral. On utilise ici un adénovirus de chimpanzé. C’est la même technologie que celle utilisée par le vaccin russe Sputnik V et le vaccin Johnson&Johnson. A priori, les effets secondaires devraient être les mêmes car dépendent de la technologie.

Le Royaume-Uni et l’Union Européenne ont misé massivement sur ce vaccin AstraZeneca, qui a deux avantages sur les vaccins à ARN messagers : ils sont peu coûteux (d’une part), ils se conservent à moins basse température (d’autre part), ce qui permet d’être injecté dans tous les cabinets médicaux ou assimilés (médecins, pharmaciens, etc.). C’est grâce à lui que le Royaume-Uni (qui a commencé à vacciner avec AstraZeneca le 4 janvier 2021) a obtenu des résultats très positifs au point de rouvrir ses pubs le 12 avril 2021.

Rappelons une chose importante : lorsqu’un vaccin est utilisé, cela signifie qu’il a obtenu son autorisation de mise sur le marché par l’agence du pays dans lequel il est utilisé. On a pu reprocher une certaine lenteur administrative de passer par ces agences mais en fait, c’est une question de sécurité. Aucun vaccin n’a été autorisé sans les conclusions de la phase III des essais cliniques, c’est-à-dire sur plusieurs dizaines de milliers de personnes. C’est le processus classique pour un vaccin ou un médicament. L’agence américaine n’a pas encore autorisé le vaccin AstraZeneca, souhaitant avoir un dossier scientifique plus complet.

Quel que soit le vaccin, aucun de ceux autorisés en Europe n’a été autorisé sans expérimentation préalable. Ceux qui se font vacciner ne sont donc pas des "cobayes" mais des patients classiques, et comme pour tout nouveau médicament, une pharmacovigilance est en cours pour recenser tous les effets secondaires, même minimes qui pourraient survenir après les injections. La phase III permet de voir les effets négatifs sur plusieurs dizaines de milliers de personnes. La pharmacovigilance, sur plusieurs dizaines de millions de personnes. Lorsqu’il y a un effet sur un million, il n’est pas visible en phase III mais il est visible en phase de vaccination massive.

Les Britanniques ont en quelque sorte défriché le terrain vaccinal et montré les deux caractéristiques qu’on attend d’un vaccin : son innocuité et son efficacité. Les derniers chiffres donnent une efficacité d’environ 97%, qui est supérieure aux vaccins à ARN messagers. Son innocuité est prouvée, néanmoins, il y a des effets secondaires, ce qui est le cas de tous les vaccins (la vaccination n’est pas une opération anodine, on demande au corps de réagir et de produire des anticorps, c’est une opération qui peut être épuisante pendant un temps court, une journée).

Pour le vaccin AstraZeneca, on a parlé de deux types d’effets secondaires. Un effet secondaire très fréquent qui est un corps en état fortement grippal, grosse fatigue et fièvre, pendant un jour. C’est sans conséquence mais cela montre qu’un vaccin n’est pas anodin. Lorsque la vaccination avec AstraZeneca a été ouverte le 6 février 2021 à l’hôpital (le 25 février 2021 chez les médecins généralistes et le 15 mars 2021 chez les pharmaciens), d’abord pour le personnel soignant, il y a eu des désorganisations parce que tout un service qui s’était fait vacciner a été en congé maladie pendant un jour en même temps.

L’autre effet secondaire est beaucoup plus grave puisqu’il peut aboutir à la mort. En revanche, il est extrêmement rare. Il peut provoquer une thrombose, la formation de caillots sanguins pouvant entraîner la mort. La fréquence est très faible, de l’ordre de 2,4 cas par million de personnes vaccinées. Le Royaume-Uni en a recensé une trentaine. Lorsque la personne vaccinée victime de thrombose est suivie, on peut éviter le pire avec des anticoagulants, mais à condition d’être suivie.

Certains médecins considéraient que les cas de thrombose n’étaient pas forcément liés à la vaccination par AstraZeneca (corrélation n’est pas causalité). En France, il y a environ 300 cas de thrombose par jour, hors de toute vaccination covid. Néanmoins, ce type de thrombose est très particulière et très rare, et semble plus fréquente chez les personnes vaccinées avec AstraZeneca. Les cas sont souvent chez les femmes et plus chez les jeunes. Le fait d’arrêter la vaccination d’AstraZeneca aux personnes de moins de 55 ans a eu de quoi étonner car au début, on recommandait de vacciner avec AstraZeneca seulement les personnes de moins de 65 ans car l’étude clinique donnait peu d’information sur les plus de 65 ans. Le 10 février 2021, l’OMS a annoncé l’innocuité pour les plus de 75 ans et son efficacité sur le variant anglais (le 2 mars 2021, la France a donc levé cette limite et a permis la vaccination aux plus de 65 ans). En revanche, l’Afrique du Sud a renoncé au vaccin AstraZeneca, considérant une trop faible efficacité sur le variant sud-africain.



Dès l’autorisation européenne (le 29 janvier 2021) et française (le 2 février 2021), il y a eu des problèmes de "communication" (pas seulement, les cas de thrombose ne sont pas des problèmes de communication). Au début, c’était le défaut d’engagement d’AstraZeneca qui a livré à l’Union Européenne beaucoup moins de doses que prévu. Ces retards de livraison ont aussi alimenté la suspicion.

Le sommet de la défiance a eu lieu le 15 mars 2021 : après la suspension du vaccin AstraZeneca de plusieurs pays (Danemark, Norvège, Islande le 11 mars 2021, Bulgarie et Thaïlande le 12 mars 2021), et celle de l’Allemagne (le 15 mars 2021), la France, par la voix du Président Emmanuel Macron, l’a également suspendu, à la surprise générale (Emmanuel Macron l’a dit au détour du 26e sommet franco-espagnol à Montauban, mettant en difficulté les médecins qui étaient en train de vacciner le même jour dans leur cabinet).

Même s’il s’agissait de prendre le temps d’étudier les cas de thrombose et d’attendre la conclusion de l’Agence européenne du médicament le 18 mars 2021, qui a encouragé la reprise de la vaccination AstraZeneca, cette suspension a renforcé le manque de confiance en ce sens qu’une suspension montrait qu’il y avait quelque chose de grave. La reprise en France a eu lieu au même moment que la vaccination de Jean Castex, mais l’exemplarité du Premier Ministre n’a pas compensé la suspicion par la suspension du Président de la République (qui avait tablé sur le fait qu’on renforcerait la confiance en montrant une plus grande vigilance). Le 19 mars 2021 également, le Premier Ministre britannique Boris Johnson (âgé de 56 ans) s’est fait vacciner avec AstraZeneca.



Mais revenons au principal, les cas de thrombose : le 26 mars 2021, il est avéré qu’il y a un lien entre le vaccin AstraZeneca et ces cas de thrombose qui sont très rares avec la vaccination, mais encore plus rares sans vaccination. Le 7 avril 2021, l’Agence européenne a confirmé que la causalité a été établie entre ces cas et le vaccin sans savoir expliquer pourquoi (certains évoquent l’hypothèse que la dose, qui doit être donnée par une injection intramusculaire, a pu être donnée en injection intraveineuse par erreur, ce qui ferait réagir le corps plus rapidement).

On a beau donner quelques statistiques, comme 2,4 cas de thrombose veineuse cérébrale par million de personnes vaccinées, ce qui signifie que cela reste rare, ou 222 sur 34 millions de personnes vaccinées (je n’ai trouvé aucun décompte réellement établi et cohérent, mais c’est l’ordre de grandeur qu’il faut avoir à l’esprit), le principe de la vaccination est d’être protégé, d’avoir sa santé protégée, son corps renforcé et pas de provoquer des défaillances.

C’est pourquoi je considère que le discours visant à démontrer que la "balance bénéfices/risques" reste largement positive est très contreproductif. Pourquoi ? Parce qu’évidemment, en période de pandémie de covid-19, la vaccination est une nécessité suprême et urgente, chaque jour de retard se compte en dizaines ou en centaines de décès supplémentaires pour notre pays. Il faut donc vacciner, avec toutes les doses à disposition. Mais on ne convaincra pas ceux qui ont de la défiance pour le vaccin AstraZeneca avec le concept de balance bénéfices/risques.

Car de quels bénéfices et de quels risques s’agit-il ? C’est là l’important.

D’un point de vue santé publique, sur le plan purement collectif, il n’y a pas photo : la balance bénéfices/risques du vaccin AstraZeneca est largement avantageuse. Plus on vaccine, moins le virus circule, plus vite on pourra rouvrir nos lieux de convivialité. Le nombre des éventuels décès provoqués par les cas de thrombose est très largement inférieur au nombre de décès supplémentaires sans cette vaccination AstraZeneca. C’est une évidence et les médecins, autorités sanitaires et gouvernement pensent principalement à cette balance bénéfices/risques.

Mais d’un point de vue individuel, il en est tout autrement. C’est l’histoire des accidents d’avion, des attentats dans le métro, etc. La probabilité d’en être victime est ultrafaible. Ce qui nous permet de continuer à prendre l’avion, le métro… enfin, hors crise sanitaire évidemment. Il y a pourtant des victimes, et pour elles, ce n’est pas une question de probabilité, c’est le passage de vie à mort, c’est une famille endeuillée, c’est un univers qui s‘écroule.

Or cette balance bénéfices/risques individuelle doit aussi être étudiée. Globalement, les médecins ont raison lorsqu’ils disent qu’il y a beaucoup plus de risques d’être contaminé par le virus que d’avoir une thrombose veineuse cérébrale en étant vacciné. Cela ne fait aucun doute. Mais ce n’est pas parce qu’on est contaminé qu’on va forcément développer une forme sévère voire en mourir, surtout si on n’a aucune comorbidité et n’est pas trop âgé. Il serait intolérable, mais on ne le saura jamais, de mourir d’une thrombose à cause de la vaccination alors qu’on ne serait pas mort du covid-19 si on n’avait pas été vacciné.

Or, cette dernière phrase peut faire pencher la balance dans l’autre sens. On ne peut pas passer par pertes et profits, au nom du bien commun, tout décès provoqué par la vaccination par AstraZeneca. On doit essayer de comprendre pour quelles raisons il y a des cas de thrombose, s’il y a des personnes "à risques" et alors, on pourra utiliser le vaccin AstraZeneca autrement que comme une roulette russe.

C’est pour cela qu’il faut prendre en compte l’aspect psychologique dans la vaccination. L’objectif est de vacciner le plus de monde possible le plus rapidement possible. C’est une course de vitesse pour éviter la multiplication des variants qui ne se créent que par une forte circulation du virus.

Alors, faut-il accepter de se faire vacciner avec AstraZeneca ?

À mon sens, à ceux que cela concerne, c’est-à-dire les plus de 55 ans, il ne faut pas leur imposer l’AstraZeneca (ni le Johnson&Johnson qui devrait avoir les mêmes effets avec la même technologie). Certains n’auront pas peur du vaccin AstraZeneca, ou du moins, en auront moins peur que d’être malades du covid-19, et dans ce cas, ils se feront vacciner avec AstraZeneca.

Ceux qui n’auront pas ou plus confiance à AstraZeneca, il faut quand même leur permettre d’être vaccinés avec un autre vaccin, car le risque, sinon, serait qu’ils refusent de se faire vacciner, et pour la santé publique, ce serait une catastrophe beaucoup plus grande que de risquer la pénurie de vaccins à ARN messagers. Et l’une des solutions, ce serait d’espacer les deux doses de ces vaccins à ARN messagers, certains médecins préconisent maintenant douze semaines, au lieu des quatre semaines au début de la campagne de vaccination, porté récemment à six semaines.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La balance bénéfices-risques du vaccin d’AstraZeneca.
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Témoignage : au cœur d’un centre de vaccination contre le covid-19.
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