La gueule et les poumons, des effets du libéralisme politique sur la santé publique
par JC. Moreau
mercredi 14 février 2007
Ce premier jour de février 2007, l’interdiction de fumer dans les lieux publics est entrée en vigueur, sortant ainsi la loi Evin de l’état de virtualité dans lequel elle sera si longtemps restée. Entre le danger sanitaire et l’enjeu financier, l’Etat semble donc avoir fait son choix, en optant pour l’application du principe de précaution étendue à l’ensemble des lieux publics.
Outre le fait que l’on ait aujourd’hui besoin d’une loi pour faire respecter l’une des formes les plus élémentaires de politesse, c’est l’impensé politique de cette mesure qui devrait interpeller. Pourtant, cette opinion qu’on voudrait publique, et donc multiple, se limite essentiellement à deux postures, l’une célébrant les vertus de la répression promise, tandis que l’autre s’offusque d’une atteinte à la liberté individuelle. Ces derniers ne précisent pas la nature de la liberté invoquée, sans doute conscients que l’existence d’un droit inaliénable d’exposer autrui à un risque mortel est difficilement défendable. De même les premiers restent-ils très évasifs quant aux bienfaits supposés de l’interdiction, vraisemblablement soucieux de ne pas gâcher par maladresse l’aubaine de voir leur détestation de la clope bénéficier d’une si tonitruante consécration législative.
Entre goujats de la cibiche et fervents partisans de la pureté, l’Etat a donc opté pour le schisme sanitaire. Si le bon sens le plus élémentaire voudrait que l’on souscrive sans réserves à cette interdiction, l’idéologie dont elle résulte a de quoi susciter les réticences les plus légitimes.
En premier lieu, on est en droit de s’inquiéter du caractère éminemment lucratif d’une telle interdiction, qui ajoute à la taxation exorbitante d’un produit un jeu d’amendes sanctionnant sa consommation. Une telle « fantaisie » fiscale, à elle seule, atteste la duplicité de la politique mise en oeuvre.
Ensuite et surtout, cette campagne de prohibition passive - en ce sens que la mesure vise à une pénalisation partielle de la consommation d’un produit restant en vente libre - révèle un certain visage de la France contemporaine. En effet, et c’est là tout le travers de ces politiques qui ne sont jamais si unanimes que lorsqu’il s’agit de se désister, cette interdiction de la cigarette dans les lieux publics induit l’idée selon laquelle le problème sanitaire créé par l’industrie du tabac relèverait exclusivement de la sphère privée. En effet, n’étant qu’une mesure de confinement, cette mesure se satisfait en toute indécence de placer un problème de santé publique sous quarantaine, faisant peser sur l’individu une responsabilité dont les pouvoirs publics, par incompétence ou intérêt mercantile, se refusent à assumer pleinement la charge.
Mais rien ne pourra advenir de mieux tant que les premiers concernés, ayant définitivement omis qu’il existait en eux un citoyen au surplus de l’individu, aspireront seulement à braver des interdits. Victimes de la force de l’habitude, il leur est impossible d’exiger de l’Etat la plus légitime des mesures : la condamnation de cette industrie du tabac qui persiste à décupler la nocivité de ses produits à seule fin de s’assurer l’addiction de la clientèle.
Si une telle volonté politique se saisissait ainsi du fléau sanitaire, l’interdiction de fumer dans les lieux publics aurait alors un sens estimable, se comprenant comme le nécessaire complément d’un authentique souci de préserver la santé publique.
Dans l’attente de ce jour, l’adoption de l’interdit restera le symptôme d’une impuissance, si ce n’est d’une négligence politique.
Illustration : Skull with Cigarette, Vincent Van Gogh (1886)