La nocivité des antennes relais par Robin des Toits : buzz et intox

par San Kukai
lundi 2 mars 2009

Jeudi 26 février 2009, un article publié sur AgoraVox pose la question : « Les NTIC sans fil : un danger pour la santé ? ». Cette interrogation légitime ouvre à la lecture sur un argumentaire à charge dénué de toute approche contradictoire qui conclut sur une prophétie : la propagation des efforts des Robins des Toits dans l’hexagone… On a sans doute vu mieux en matière d’information.

Alors, les Robin des Toits, héros ou fumistes ? À la recherche de la vérité ou trafiquants de buzz ? Je n’y connais pas grand chose en ondes et en téléphonie, mais j’aime comprendre et me faire une opinion à partir des sources que tout quidam peut trouver. L’article étant singulièrement dépourvu de liens, me voilà parti à la pêche aux documents.

Avant de me faire traiter de suppôt à la solde des entreprises de téléphonie et d’agent infiltré, je tiens juste à signaler que je suis technicien dans le domaine du droit et n’ai aucun préconçu ni aucune connaissance en matière scientifique, mais que je suis d’autre part un zététicien qui déteste prendre des vessies pour des lanternes et gober les lubies à la mode. Alors allons-y pour l’étude de texte et l’épluchage des arguments.

Rappelons le contexte de l’article : début février, Bouygues Télécom a été condamné au démontage d’une antenne relais par la cour d’appel de Versailles. L’association Robin des Toits a accompagné les plaignants dans leurs démarches, en se fondant, selon l’auteur de l’article sur des connaissances scientifiquement validées.

Le sujet de l’article concerne donc le danger des antennes relais. Dans le premier paragraphe, l’auteur mentionne l’étude Interphone qui confirme et atteste la présence de risques sanitaires dangereux et avérés. Or, en cherchant succinctementon découvre que l’objectif de l’étude Interphone est d’étudier s’il existe une relation entre l’usage du téléphone mobile et les tumeurs de la tête. Il ne s’agit donc pas dans cette étude de nocivité des antennes-relais. 

Par ailleurs, en cherchant un tout petit peu plus, on apprend que l’étude Interphone n’est pas achevée et que ses conclusions ne seront publiées qu’en 2009. Dire que cette étude a été publiée est donc infondé. Par ailleurs, selon l’Institut national du cancer, les résultats des études réalisées dans chaque pays ne peuvent être interprétés qu’à la lecture des résultats d’ensemble. Si l’on analyse dans le détail les travaux qui constituent l’étude Interphone : 
 Concernant l’étude israélienne : il n’y a pas, dans l’état actuel des connaissances, d’association prouvée entre le risque de développer une tumeur maligne et le téléphone portable. 
 Concernant l’étude française : la puissance de l’étude est limitée et l’intervalle de confiance ne permet de tirer aucune conclusion solide
 Concernant l’étude suédoise : ce travail n’apporte pas d’éléments nouveaux et souligne la nécessité d’avoir une durée de suivi supérieur pour obtenir des résultats solides
 Concernant l’étude britannique : les connaissances actuelles ne permettent donc pas de se faire une idée précise des éventuels effets nocifs que l’utilisation du téléphone portable pourrait provoquer

Et l’INC de conclure : aucune preuve scientifique ne permet aujourd’hui de démontrer que l’utilisation des téléphones mobiles présente un risque notable pour la santé, que ce soit pour les adultes ou pour les enfants. Le ministère souhaite toutefois que l’Organisation Mondiale de la Santé réalise rapidement une synthèse des résultats de l’ensemble du programme INTERPHONE afin d’en tirer des conclusions scientifiquement validées
Ce qui signifie logiquement qu’en l’absence de synthèse, les conclusions ne peuvent être scientifiquement validées. 

Voilà pour le premier paragraphe : les connaissances scientifiquement validées sur la nocivité des antennes relais concernent en fait exclusivement les téléphones portables et, selon le ministère français de la Santé, ne seraient pas scientifiquement validées… Autant pour le confirme et atteste, et les risques dangereux et avérésIntox.

Dans son second paragraphe, l’auteur affirme que les antennes relais provoquent un développement de handicaps particulièrement invalidants et exclusifs comme l’hyper électrosensibilité. J’ai voulu en savoir plus sur l’électrosensibilité. Selon l’auteur, les symptômes se manifestent sous la forme de migraines, nausées, acouphènes ou encore douleurs dans la nuque. Ayant déjà souffert de tels maux, je me demande à juste titre si je ne suis pas électrosensible. Que faire ? 

Je clique sur le premier lien proposé par Gougueule et je tombe sur ça. Pour près d’une soixantaine d’euros, je peux m’acheter une casquette anti-rayonnement ou un caleçon pour dix euros de moins (si je tiens plus à mes spermatozoïdes qu’à mes neurones). Cherchant à en savoir plus sur l’efficacité de tels produits, je tombe sur le blog d’une personne électrosensible qui affirme : dès que je mets la casquette, je ressens comme un relâchement, une détente aux niveau de mon cerveau, une sensation de légèreté. Une casquette contre les migraines qui a des effets probants… comment se fait-il qu’elle ne soit pas vendue en pharmacie ? Ne serait-ce pas là une nouvelle arnaque du style de celle de la Bague de Rê, qui avait valu quelques déboires à Danièle Gilbert ? (En écrivant tout cela, ça commence à me lancer un peu dans le crâne, au niveau du front, un peu au-dessus de mon œil gauche). 


A priori, je pressens une des ces arnaques à la crédulité qui depuis des temps immémoriaux font les choux gras des vendeurs de talismans énergétiques, colliers d’ambrebracelets de cuivre et autres bagues magnétiques. Mais cela reste un a priori

Comment donc vérifier la relation entre les migraines, nausées, acouphènes, etc. avec les ondes électriques ? Sont-elles réellement la cause de mes troubles (troubles dont je deviens de plus en plus conscient au fur et à mesure que je m’en préoccupe) ? Comme j’aime bien la démarche scientifique bien faite, j’ai recherché les méta-analyses sur les études concernant l’électrosensibilité réalisées en double aveugle. Je suis tombé sur un travail de l’unité Mobile Phones Research, Division of Psychological Medicine, Institute of Psychiatry and Guy’s, King’s and St. Thomas’ School of Medicine du King’s College de Londres intitulé : « Electromagnetic Hypersensitivity : A Systematic Review of Provocation Studies ». Le protocole repose sur une question relativement simple : les personnes se disant électrosensibles peuvent-elles mieux détecter les champs électromagnétiques que les personnes lambda, en aveugle et en double aveugle ? Rappelons que, selon l’auteur, ces personnes développent un handicap particulièrement invalidant exclusivement causé par les ondes électromagnétiques.

Les résultats de cette méta-analyse, réalisée à partir d’une trentaine d’études, concluent à une incidence négative. Ils ne nient pas l’existence de symptômes (migraines, nausées, acouphènes ou encore douleurs dans la nuque), mais en aveugle, ne peuvent les relier à l’émission d’ondes. En clair, les personnes qui se disent électrosensibles peuvent manifester des symptômes physiques, même indépendamment d’une émission électromagnétique. Pour faire encore plus simple : La machine qui produit des ondes marche, ils ont des migraines ; et quand elle ne marche pas aussi. Mais parfois, quand la machine marche, ils n’ont pas de migraines ; idem quand elle ne marche pas… La corrélation n’est donc pas prouvée et la cause serait par conséquent à chercher ailleurs. Tiens, depuis quelques minutes, je n’ai plus mal à la tête.

Autant pour l’électrosensibilité de l’article, qui me fait fichtrement penser au mauvais œil que l’on invoquait autrefois pour brûler les sorcières. Le mal était réel, mais la cause était identifiée de façon absurde. Intox.

Toujours dans le second paragraphe, l’auteur dit qu’une étude dirigée par le CIRC (Centre International de Recherche contre le Cancer) semble confirmer que l’utilisation massive des GSM pour une durée supérieure à dix ans pourrait bien être à l’origine de la multiplication de différentes formes de cancers, principalement quatre grands types (Gliomes, méningiomes, neurinomes de l’acoustique ou tumeurs de la glande parotide)

À la recherche de ces éléments sur le site du Centre international de recherche sur le cancer, je tombe sur l’étude israélienne mentionnée dans un commentaire précédent, ou sur une présentation de l’étude Interphone. 

La phrase de l’auteur est mise au conditionnel (semble… pourrait bien…) à juste titre. Le CIRC ne semble pas en effet proposer d’autre étude que celle d’Interphone… dont les conclusions ne sont pas encore publiées… Ici encore, il s’agit d’un buzz, les formes de cancer proposées énumérant les champs d’étude sur lesquels portent les travaux des organismes associés à l’étude Interphone et non les conclusions auxquelles elle serait arrivée. 

On assiste dans ce dernier cas à une confusion volontaire alarmiste qui n’a rien à voir avec une information. Intox.

Les mesures préconisées par le troisième paragraphe (seuils maximum, recommandations d’utilisation, contrôles impartiaux, etc.) semblent sensées, dès lors qu’on identifie une nocivité des ondes sur la santé. Or, nous avons vu plus haut que la méta-étude anglaise concluait à l’absence de corrélation entre les champs magnétiques des antennes relais et les symptômes invoqués. 

Il demeure qu’il y aurait des incertitudes quant à l’innocuité des portables utilisés de façon intensive. À ce sujet, il est de plus en plus souvent recommandé d’utiliser des kits main libre afin d’éloigner le mobile de la tête. L’Institut national du cancer propose cette solution à titre de précaution, tout en précisant que : en l’état actuel des connaissances, la communauté scientifique n’a pas établi un lien entre l’utilisation de téléphones portables et un risque accru de cancer.

Mais tout ceci n’a aucun rapport avec les antennes relais, puisque les risques possibles concernent ici les téléphones mobiles. Sur quelle étude scientifique se base donc l’auteur pour demander la diminution de la puissance d’émission des antennes relais ? Interphone… qui ne concerne pas les antennes-relais. On a donc tout un train de mesures proposées par le troisième paragraphe, sans que rien ne vienne les justifier scientifiquement… Il serait tout à fait recevable d’argumenter en faveur du principe de précaution, si l’on donnait ne serait-ce qu’une piste sérieuse justifiant sa mise en œuvre. Intox.

Dans le quatrième paragraphe, l’auteur écrit que les collectivités font appel à des cabinets privés qui ne jurent que par les ondes hertziennes tandis que les installations filaires sont inoffensives sur le plan médical et largement moins coûteuses. Or, de façon purement dialectique, dès lors que l’on oppose les ondes au fil en disant que ce dernier est inoffensif sur le plan médical — il faut comprendre ici inoffensif pour la santé, le domaine médical concernant les soignants, mais bref… — on en déduit que les ondes sont nocives pour la santé… Quand les artifices de discours viennent au secours de l’absence d’approche scientifique, ça donne une affirmation fondée sur du vide, qui bernera cependant de nombreux lecteurs inattentifs. Intox.

La mise en garde du public sur les dangers industriels est une mission publique et c’est aussi une mission citoyenne. Dans ce cadre, les associations appelant à se méfier de l’atome, des OGM, des solvants, des émanations des plastiques, des ondes, etc., ont un rôle important à jouer dans l’information citoyenne. Mais elles ne peuvent le faire qu’à condition d’appuyer leurs dires sur une démarche scientifique et des études rigoureuses, en se retenant en outre d’émettre des interprétations hâtives ou détournées cherchant à alimenter des thèses préconçues.

Or, dans l’article, rien ne permet d’étayer la thèse de la nocivité des antennes relais ; rien ne permet par conséquent de justifier le combat de l’association Robin des Toits, ni les cris de victoire poussés à l’occasion de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles. Dès lors que la nocivité des antennes relais sera prouvée, je me joindrai volontiers aux collectifs qui demanderont une réglementation plus stricte. Tant qu’elle ne l’est pas, ce mythe urbain sera à ranger parmi les hoax de l’époque, aux côtés de la mémoire de l’eau, de l’homéopathie, et de l’urine salvatrice.


Quelques pistes

 Daniel Boy, Pourquoi avons-nous peur de la technologie ?, Presses de Sciences Po.
 Charlatans.info — Scepticisme et esprit critique
 Sens commun — Sciences, médecine et scepticisme
 HoaxBuster — Canulars du web
 Le Cercle zététique

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