Le point sur le Risperdal

par Pharmafox
vendredi 27 janvier 2012

Parmi les grands scandales sanitaires d’actualité dont on parle à peine en France, figure celui du Risperdal. Les témoignages à charge sont accablants, et je pense qu’il serait dommage de ne pas en faire un petit résumé ici. Manipulation, passage en force, fraude, mensonges, corruption, menaces, tout était bon pour vendre du Risperdal.

Les faits

Le Risperdal (Rispéridone) est un antipsychotique, prescrit aux patients schizophrènes ou bipolaires, ainsi que pour calmer des patients souffrant d’agressivité excessive.

A partir de 2004, des rumeurs commencent à inquiéter le gouvernement américain : le laboratoire qui fabrique le Risperdal, Johnson & Johnson (ou J&J) ne respecterait pas la loi. Il essaierait de convaincre médecins et pharmaciens que le produit est efficace pour d’autres maladies, et pour des populations de patients (les enfants) qui n’étaient pas concernées jusqu’alors. Pour note, en France, le produit est vendu par Janssen Cilag, une filiale. (1)

En 1994, 1999 et 2004, la FDA avait déjà tapé sur les doigts de J&J, ordonnant à l’entreprise de mettre fin à ces pratiques. Las.


Des enquêtes sont lancées, mais le laboratoire ne veut pas de mauvaise publicité. Début janvier, Johnson & Johnson fait un gros chèque, d’un milliard de dollars, pour que l’affaire soit abandonnée. (2)


Ce milliard de dollars sera partagé entre les différents Etats américains qui se sont constitués victimes et qui acceptent le règlement. Ce n’est justement pas le cas du Texas, où la procédure judiciaire a suivit son cours.


Le procès


Le procès opposant l’Etat du Texas à J&J a débuté le 9 Janvier. Le procureur réclamait un milliard de dollars. A titre d’exemple, le laboratoire avait été condamné pour la même affaire à payer 258 millions de dollars à l’Etat de Louisiane, et 327 millions à celui de Caroline du Sud.

Le laboratoire clame son innocence, ou plutôt qu’il n’a rien fait de mal. Pour subtile qu’elle soit, la différence a son importance. On peut respecter la loi à la lettre tout en en violant l’esprit, en profitant d’un vide juridique par exemple.

Polluer la littérature scientifique

Le procès de Louisiane a déjà mis en lumière que J&J avait envoyé ses représentants dans les cabinets médicaux, les maisons de retraite, dans les centres médicaux pour anciens combattants, dans les prisons, etc., où ils ont donné aux médecins des études scientifiques douteuses portant sur des utilisations non-autorisées du Risperdal (c’est à dire pour soigner des maladies sur lesquelles il est inefficace). (2)

Je m’explique. Le représentant arrive chez le docteur Foxberg. Il lui parle du Risperdal, comme c’est merveilleux pour les patients schizophrènes, tellement mieux que les produits concurrents, et beaucoup moins dangereux. Puis, il glisse discrètement que le produit marcherait peut-être même pour soigner le fait de courir après sa queue. Ca tombe bien, se trouve dans la mallette un article imprimé en papier glacé qui montre que ça marche sur les bergères allemandes. Puis, notre représentant s’en va. Docteur Foxberg, qui a déjà du se retenir de ne pas filer une paire de taloches à son patient diabétique qui s’est plaint d’avoir mal au ventre après une soirée Nutello, n’a pas envie de lire. Il parcours l’introduction, la conclusion, voit que ca marche très bien, et oublie de se demander si l’on parlait de chiens gardant les ovins, de fauteuils à accoudoirs ou de teutonnes vous envoyant siffler sur la colline. Demain, promis, il prescrira ce médicament miracle à Mme Sinclair, qui souffre peu ou prou de la même chose.

Ce nouveau procès apporte lui aussi son lot de révélations. J&J est notamment accusée d’avoir, sans preuve, incité à prescrire le Risperdal aux patients pédiatriques. Un expert s’est penché sur la littérature scientifique : sur 600 publications vantant l’administration de Risperdal aux enfants, seules 161 sont complètes, avec des données. Seules 3 comparent le produit à un placebo (et ne sont pas favorables). C’est extrêmement disproportionné. Ce que cela révèle, c’est que J&J s’est débrouillée pour inonder les journaux d’articles ni très indépendants ni fiables, pour créer l’impression que, oui, le Risperdal est bon pour les enfants, on peut même en mettre dans le biberon. (3)

Mensonges

J&J a prétendu que le Risperdal étaient moins dangereux que ses concurrents, en particulier que le produit est moins susceptible de provoquer du diabète. (4) Pourtant, dès 1999, J&J savait que le Risperdal provoque en effet du diabète, mais le laboratoire a préféré cacher les preuves. (5) Les torts de J&J dépassent la seule concurrence déloyale et la publicité mensongère : si le produit avait en fait été plus dangereux que ses concurrents, J&J aurait véritablement empoisonné les patients. A ce niveau-là, l’entreprise a eu relativement de la chance. Pour la petite histoire, le Zyprexa et le Clozaril, sont effectivement plus dangereux vis-à-vis du risque de diabète, mais ce n’est pas le cas du Seroquel ou du Geodon. Cela dit, on l’ignorait encore à l’époque des faits.

Toujours est-il qu’en 2003, la FDA (encore eux, ces empêcheurs d’enterrer en rond), envoie un avertissement à J&J : « envoyez tout de suite aux médecins une lettre dans laquelle vous leur dites que vous les avez pris pour des billes ». J&J s’exécute… à sa manière. Le laboratoire envoie à 700 000 médecins une lettre où ils disent que tous les antipsychotiques atypiques comportent un risque de diabète, bien que des études suggèrent que ce n’est pas le cas du Risperdal. (6) J&J s’enfonce dans son mensonge, probablement davantage pour ne pas perdre les faveurs des médecins que par intérêt commercial direct.

La défense est intervenue pour dire, mémo du directeur de l’époque à l’appui, que la politique éthique de J&J interdisait le recours aux publications bidons et le marketing hors-indication, au motif que de telles pratiques sont illégales et entacheraient l’image et la réputation de l’entreprise. Mais un autre document interne dit exactement le contraire dans le cas du Risperdal :

« Ensemencer la littérature, et, si approprié, modifier l’étiquetage pour y faire figurer la vente du produit aux enfant ». (6)

Passage en force

Comme toute entreprise criminelle, J&J a naturellement essayé de rendre légal ce qui ne l’était pas. En effet, le laboratoire a bel et bien demandé en 1996 l’autorisation pour promouvoir le Risperdal à destination des enfants. La réponse de la FDA fut cinglante : aucune étude n’appuyait cette requête, qui n’était basé que sur le fait que les médecins prescrivaient déjà (à tort) le médicament aux enfants.

De nouveau, la défense a appelé à la barre deux anciens représentants médicaux de Johnson & Johnson, où ceux-ci affirmaient, documents à l’appui, n’avoir jamais promu le Risperdal pour les enfants, n’avoir jamais organisé d’événement auxquels étaient invités les médecins, n’avoir pas prétendu que le produit réduisait les risques de diabète. Ces témoignages ont été battus en brèche par des notes prouvant le contraire. (3)

Corruption (7)

Steven Shon, médecin salarié de l’Etat, a accepté de l’argent de J&J pour mettre en avant le produit auprès de ses confrères en Arizona, en Floride et au New Jersey. En effet, le docteur Shon se déplaçait pour vanter les recommandations médicales adoptées par le Texas, notamment celle de considérer le Risperdal en première intention pour le traitement de la schizophrénie.

Interrogé, Steven Shon dit avoir reçu 3.000 dollars pour ce travail. Pourtant, un enquêteur public révèle que les sommes reçues se chiffreraient à près de 50.000 dollars sur plusieurs années. Shon a alors dit que toutes les sommes reçues avaient été reversées à l’Etat, et qu’un procureur lui avait dit que c’était « propre ».

Derrière l’individu, c’est tout un système qui est mis en lumière par l’accusation. En effet, J&J aurait volontairement ciblé son lobbying sur le Texas, pour bénéficier par la suite d’un effet domino. S’inspirant du Texas, les autres Etats auraient adopté les mêmes mesures, les mêmes recommandations.

Menaces et pression (8)

Le lanceur d’alerte à l’origine de toute l’affaire s’appelle Allen Jones. En 2002, il était enquêteur à l’inspection générale de Pennsylvanie. Il découvre alors un compte bancaire caché au nom d’un officiel de la santé, Steven Fiorello. Ce dernier recevait sur ce compte de l’argent des différents laboratoires pour mettre leurs produits en avant. C’est en enquêtant sur un chèque de J&J qu’Allen Jones a découvert ce qui se passait au Texas.

Il a alors fait l’objet de pressions de son supérieur qui lui demandait de ne pas mettre le nez dans les magouilles de l’industrie pharmaceutiques. Jones s’est accroché. Il a finalement été licencié sous le prétexte fallacieux d’avoir parlé à des journalistes, suite à quoi il a porté plainte au nom de la loi qui protège les lanceurs d’alerte (un lanceur d’alerte sur lequel on exerce des menaces pour le faire taire peut porter plainte, surtout si ces menaces sont mises à exécutions).

Sauver l’honneur (9)

Le procès texan est un véritable festival en terme pratiques scandaleuses. Préférant arrêter les frais avant que les choses n’empirent, Johnson & Johnson a une nouvelle fois choisi l’échappatoire du gros chèque. Un accord entre le laboratoire et l’Etat a été trouvé, pour un montant de 158 millions de dollars, que se partageront Allen Jones, l’Etat du Texas et le gouvernement américain.

 

1. Risperdal, Doctissimo

2. J&J Said to Agree to Pay $1 Billion in Risperdal Marketing Probe, Margareth Cronin Fisk, Jef Feeley et David Voreacos, Bloomberg, 6 Janvier 2012

3. All too real…, 1 Boring Old Man, 18 Janvier 2012

 

4. J&J Marketed Rispersal for Children After FDA Warnings, Texas Jury Told, Margareth Cronin Fisk, Jef Feeley et David Voreacos, Bloomberg, 14 Janvier 2012

5. J&J Hid 3 Risperdal Diabetes Studies From FDA, Texas Jury Told, Margareth Cronin Fisk, Jef Feeley et David Voreacos, Bloomberg, 19 Janvier 2012

6. Are you kidding ?..., 1 Boring Old Man, 15 Janvier 2012

7. State attorney general sues drug company, Tim Eaton, The Statesman, 8 Janvier 2012

 

8. J&J Whistle-Blower Jones Says He Was Fired After Payment Probe, Margareth Cronin Fisk, Jef Feeley et David Voreacos, Bloomberg, 13 Janvier 2012

9. J&J to Settle Texas Risperdal Suit For $158 Million, Katherine Hobson, Wall Street Journal Health Blog, 20 Janvier 2012


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