Les casaques de la honte
par Caroline Courson
jeudi 15 novembre 2012
Il est des sujets beaucoup plus importants et des problèmes autrement plus sérieux.
Celui qui nous occupe aujourd’hui semble bien futile à l’aune des massacres Syriens quotidiens, des futures foultitudes empoisonnées par Monsanto, des SDF qui vont à nouveau souffrir en silence, froidure et ténèbres revenues, leur longue agonie de désespoir solitaire, etc, etc, etc, hélas, hélas, hélas…
C’est moins sismique que Fukushima irradiée pour des millénaires.
Moins problématique que le mariage gay.
Moins ésotérique que les magouilles financières de Goldmann-Sachs.
Moins dramatique que la crise Européenne avec ces pauvres PIGS que la Troïka prend un plaisir évident à étouffer, le groin dans le purin.
Moins psychédélique que la face B d’Abbey Road.
Moins acrobatique que le nouveau manège à terreurs de Disneyland Paris.
Et surtout beaucoup moins tragi-comique que les esclandres publics réitérés de Valou-la-jalouse.
Et pourtant, et pourtant… nous sommes ou seront toutes un jour concernées !
Ca n’est déjà pas très onirique de se retrouver sur le brancard brinquebalant d’un urgentiste – aussi charmant soit-t-il (et merci à Patrick Pelloux qui fait beaucoup pour la cause). Mais le pire du pire, c’est d’être dépouillée illico-presto de son Slim Zara et de son pull mohair Zadig et Voltaire pour être dans l’obligation d’enfiler, en lieu et place, une immonde chemise-tunique-liquette-blouse-camisole, j’en passe et des plus sordides !
Renseignements pris auprès de l’équipe médicale qui bourdonne autour de nous, il semblerait que ce torchon aux imprimés variés, mais d’un ridicule achevé rappelant le look improbable des Vamps défuntes, se nommât « casaque ».
C’est moche, ça n’a pas de forme, ça s’arrête juste au-dessus du genou (la pire des longueurs), les manches en sont juste assez larges pour bien tremper dans le bouillon (je n’ajoute pas d’onze heure, y’a des limites au mauvais goût !) et, horreur des horreurs, ça s’attache dans le dos comme une brassière premier âge. Enfin, ça devrait s’attacher lorsque les accessoires de mercerie qui sont censés « pressionner » cette création inédite de la haute couture hexagonale acceptent de bien vouloir « s’aboutonner » comme disait ma nourrice – ce qui n’est jamais le cas : ils ont plutôt tendance à se faire la gueule en permanence et à refuser obstinément tout rapprochement un tantinet érotique, exposant ainsi à tout vent et à toute vue ce que l’on voudrait à juste titre cacher (car les p’tites culottes n’ont pas droit de cité dans ces lieux de soins extrêmes où l’urgence prime toujours, cela va de soi, sur la décence).
Nous voilà donc, le premier choc passé, roulant ou déambulant dans les couloirs labyrinthiques des Hôpitaux de Paris/Hôpitaux de France si chers à Bernadette, gracieusement dévêtues de cette fameuse « casaque » grande ouverte, à notre corps défendant, sur la partie la plus intime de notre anatomie.
Bonjour la pudeur et les regards déviants ! Et même si, en de telles circonstances, on a plutôt tendance à se concentrer sur ses douleurs multiples, il y a toujours alentour un homo erectus voyeur qui sommeille (et quand je dis homo, j’entends bien anthropos et non andros, sacrée langue française où le genre humain n’a qu’un seul terme pour les deux sexes), nous donnant aussitôt l’envie de squatter les salles de radiologie où, au moins, les plaques opaques cachent l’extérieur en explorant l’intérieur.
Autre drame que nous font vivre ces horribles « chemises courtes fermées par pressions métalliques » comme indiqué pour les articles similaires dans le catalogue de La Redoute : toutes les chaises de ces Hospices que l’on eût préférés de Beaune mais, pour les travaux pratiques d’œnologie, on y pensera lors d’un prochain voyage, avant de se prendre en pleine tronche un platane sûrement très alcoolisé dont on ignore encore ce qu’il pouvait bien fabriquer en plein milieu de la D 112 ( il avait raison, Jean Yanne, de les haïr, ces fameuses routes départementales aussi crottées que mal fréquentées par des arbres en goguette ), ces chaises donc, point du tout hospitalières, sont pour notre plus grand malheur recouvertes d’un matériau à la mode des Trente Glorieuses que l’on appelle SKAÏ - AÏE AÏE AÏE !!!
Car, comme de bien entendu, la casaque en question s’ouvre largement dès que l’on veut poser notre saint siège sur son homonyme à quatre pattes, en conséquence de quoi notre noble postérieur se trouve en contact étroit et collant avec ce revêtement délétère au nom de chien hurleur, nous faisant comprendre aussitôt, par la douleur et par l’absurde, comment fut inventée l’expression aussi vulgaire que répandue signifiant que le produit que l’on souhaite acquérir coûte très, très, très cher…
Nos rondeurs dorées (comme l’Aube grecque du même adjectif mais de sinistre politique), jadis immortalisées par Rubens - fleuves d’oubli jardins de la paresse - virent aussitôt à l’écarlate du plus honteux effet, et nos hurlements horrifiés à ceux d’un goret qu’on égorge !
Remarque subsidiaire et sexiste (pardon Messieurs mais c’est ainsi) : pour les dames, s’il n’y a que des hauts, c’est qu’il faut débat, tandis que côté masculin, s’il y a des « Oh ! », c’est qu’il y a des bas (au passage, petite proposition de dictée style Mérimée pour les parents pervers).
En effet, les hommes ont l’immense privilège ( certainement parce que l’un d’eux, un tantinet prétentieux, a pensé un jour qu’il avait beaucoup plus à cacher que le sexe opposé, ce qui reste encore à prouver) de bénéficier, en sus de la casaque idoine, d’un pantalon de pyjama, très moche, trop grand ou trop petit, mais un pantalon quand même, qui leur permet d’arborer un air supérieur légèrement narquois face aux pauvres nymphes déshabillées, surexposées et démunies…
Pour remédier à cette honte vestimentaire qui met à mal l’ego autant que la pudeur, il y eut l’an passé quelques propositions officielles aussitôt relayées par les medias le temps de deux ou trois J.T. avec l’indignation qui s’impose, puis tout aussi rapidement rejetées aux oubliettes au profit des infos sérieuses et prioritaires.
Le ministre concerné de l’avant-dernier gouvernement Fillon avait courageusement décidé de prendre, si j’ose dire, le problème à bras le corps, et avait contacté un créateur inspiré : s’ensuivit l’idée inédite de deux casaques jumelles, l’ une s’enfilant par devant et l’autre par derrière, coupées dans du presque Batik, du dérivé de Liberty, des cotonnades mi-saison colorées ou du vrai/faux Chintz Bangladais (restrictions budgétaires obligent) et fermées par des liens à nouer sur les côtés, sûres ainsi de s’agripper assez fort l’une à l’autre pour se retrouver toujours en phase dans la défense conjointe de notre légitime pudeur et de notre goût bien Français d’élégance en toutes circonstances .
Géniale trouvaille ! Mais depuis, silence obstiné dans les rangs du Ministère de la Santé, sauf une vague réponse au milieu des vacances dernières à une pétition en ligne, affirmant que la demande était entendue er prise en compte. Tu parles.
Rien se semblant avancer, il semblerait que ce soit sur ce sujet et à notre plus grand désarroi, motus, bouche cousue et « casaque » toujours aussi amplement décousue.
Alors non, pitié, ça dure depuis des lustres, il est grand temps, comme dit la chanson, de sortir de ce scandale ou d’en avoir raison !
Prière pour jours d’Urgences Hospitalières
Je vous salue Marisol pleine de pouvoirs
Ministre nouvelle au double prénom
De Seigneur des Astres et de Reine des Saintes
Le fruit de vos entrailles est béni
Mais faites que la pudeur de nos postérieurs le soit aussi
Genoux pliés, tête baissée, nous vous en supplions
Sainte Marisol, mère de notre Santé
Agissez pour nous, pauvres pudeurs
Maintenant et à l’heure de nos douleurs
Amen.
Ou plus simplement, implacable démonstration : toute femme qui se promènerait les fesses à l’air dans un lieu public serait aussitôt verbalisée et expédiée au poste. L’hôpital est un lieu public. Donc, CQFD, et syllogisme incontournable : il ne reste plus qu’à agrandir les commissariats… ou à trouver enfin une solution humaine définitive.
Chacune d’entre nous pouvant avoir à souffrir de cette humiliation silencieuse et destructrice, nous sommes toutes concernées. Mais puisqu’une pétition n’y a pas encore réussi, ne reste-t-il que la manif’ en légère tenue de combat ???
La question reste ouverte, comme les casaques..
P.S. Ce billet étant évidemment très autobiographique, un gentil coucou à la petite infirmière de l’Hôpital de La Source qui m’a affirmé qu’on écrivait « kazak » : elle avait poétiquement raison dans ses velléités d’évasion/guérison vers les steppes infinies d’air pur et de respiration sans limite de la mythique Mongolie galopante. Ce fut déjà une minuscule lueur d’espoir linguistique…