Les Entreprises du Médicament et le Mediator : on a dû se planter quelque part...

par Grégoire Sedlak
lundi 12 novembre 2012

Christian Lajoux, le Président du LEEM (Les Entreprises du Médicament) mais également de Sanofi France vient de publier un livre pour contrer le brûlot des Professeurs Even et Debré sur "les 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux". C'est l'occasion pour le représentant de l'industrie pharmaceutique de présenter le catastrophique bilan du plus tiède des syndicats professionnels.

Encore sonné par la claque médiatique du Mediator, Christian Lajoux peine pendant près de 200 pages à comprendre pourquoi il a fourvoyé toute l'industrie pharmaceutique qu'il représente dans une impasse qui l'affaiblira pendant les 10 prochaines années et conduira à une délocalisation progressive de ses activités et de ses emplois hors des frontières de l'hexagone.

Christian Lajoux a creusé la tombe de l'industrie pharmaceutique qu'il était supposé défendre.

Tout commence au moment où l'IGAS rend public son rapport sur le Mediator. L'émotion est au plus haut. Xavier Bertrand est aux commandes. L'ouvrage nous confie quelques extraits du conseil d'administration du LEEM qui conduira à l'exclusion de Servier, le fabricant du Mediator.

"Le Mediator suscite une émotion considérable dans la population. Le rapport de l'IGAS est lourd. Il est important que nous soyons admis à la table des négociations que veulent ouvrir les pouvoirs publics. Si nous n'y étions pas, nous paierions un tribut qui hypothèquerait les efforts de modernisation développés au cours des dernières années."

Une telle phrase aurait pu en son temps être prononcée par Sir Neville Chamberlain au lendemain des Accords de Munich qui en échange du sacrifice de la Tchécoslovaquie aux allemand devait normalement offrir la paix aux autres pays d'Europe.

"Mes bons amis, voici la seconde fois que nous rentrons d’Allemagne à Downing Street avec une paix honorable. Je crois qu’il s’agit de la paix pour notre temps. Nous vous remercions du fond du coeur. À présent, je vous conseille de rentrer chez vous, et dormez en paix".

Winston Churchill répliqua : "Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre".

Cette collaboration avec Xavier Bertrand et ses sbires au pouvoir à l'époque sera fatale à tout le secteur de l'industrie pharmaceutique.



Le rapport de l'IGAS a lancé un pavé dans la mare. Servier devait (et doit !) rendre des comptes devant un tribunal. Mais en désavouant l'un de ses membres avant tout procès, le LEEM s'est couché devant le gouvernement de l'époque, lui offrant prise pour faire passer tout et n'importe quoi.

Le piège tendu par Xavier Bertrand

En mandatant l'IGAS, un service qui lui était directement rattaché, pour enquêter sur le Mediator, Xavier Bertrand allait créer une déflagration dans le monde de la pharmacie. La mise à l'écart de Servier par Lajoux était prévisible sinon négociable. En voulant calmer le ministre, Lajoux fragilisait alors les positions de toute l'industrie. Il suffisait pour Bertrand de faire monter la pression médiatique, sachant que le LEEM, affaibli, serait incapable d'adopter une position ferme. Bertrand ouvrait alors la porte à des mesures de baisses de prix et de déremboursement.

D'ailleurs, au niveau européen les représentants internationaux de l'industrie pharmaceutique ont préféré garder la tête froide et ne pas foncer tête baissée dans le piège de Bertrand.

Dans son livre, Christian Lajoux ne comprend toujours pas qu'il fut l'unique responsable du fiasco qui suivit :

"C'était sans compter avec les réticences de l'organisation européenne, l'EFPIA (la Fédération européenne des industriels et associations pharmaceutiques). L'instance brucelloise redoutait que cette affaire franco-française ne déborde les frontières hexagonales et contamine les opinions publiques et les autorités de pays voisins. J'avoue avoir été surpris par le manque de clairvoyance et de combativité de l'EFPIA, même si, à plusieurs reprises, ses dirigeants ont salué l'action menée par le LEEM. Je note d'ailleurs, sans autre forme de commentaire, que Servier est toujours adhérent à l'EFPIA. C'était sans compter avec les directions internationales, dont plusieurs à mon sens n'ont pas su prendre la dimension réelle de la situation et n'ont pas compris les attentes nouvelles de la société..." Christian Lajoux charge ensuite à nouveau ses collègues de l'EFPIA en affirmant "qu'ils n'étaient pas à l'aise ni très solides dans leur argumentation". (pages 35-36)

Aujourd'hui, Christian Lajoux s'interroge. Il ne comprend pas pourquoi le gouvernement de l'époque l'a trahi alors qu'il leur a offert Servier. Dans son livre, il se plaint à plusieurs reprises que le LEEM a été inaudible.

La faute aux journalistes, aux politiques... Sans jamais oser nommer les personnes qu'il cible et attaque, tout est prétexte à pleurnicher.

Et Xavier Bertrand qui "en refusant la concertation ne fit rien pour nous aider" !

Et que dire d'Irène Frachon ?

"Charge concentrée, nourrie par moins d'une dizaine d'émetteurs, dont Irène Frachon qui s'est mobilisée pour que le Mediator soit retiré du marché et qui, dans la foulée, a embrassé une véritable croisade contre l'industrie pharmaceutique. Sans rien nier de sa bataille vraisemblablement difficile, indéniablement justifée, force est de constater que rapidement tout propos d'Irène Frachon est devenu parole d'évangile et que quiconque entreprend de le contester ou de le corriger est immédiatement suspect." (pages 88-89)

Au moins Irène Frachon a eu le courage de se battre pour défendre ses intérêts et surtout les intérêts collectifs. Heureusement qu'elle n'a pas adopté la même démarche avec les autorités de santé que Christian Lajoux avec le ministre. Heureusement qu'elle n'a pas "écarté le Mediator" pour éviter de "payer un tribut qui hypothèquerait les efforts de modernisation développés au cours des dernières années."

En suivant mollement et docilement le gouvernement, Christian Lajoux a créé une faille dans la carapace, une véritable faiblesse, qui a fragilisé tout le secteur industriel pharmaceutique. Le piège de Bertrand se referme. Les mesures prises alors par le gouvernement ont littéralement anéanti ce tissu industriel, qui ne disposait pas d'un syndicat solide pour le défendre.

Le plus cocasse, c'est qu'à la lecture de son livre, Christian Lajoux ne semble toujours pas avoir compris "où il a merdé"...

Sanofi a écoppé comme les autres des baisses de prix avec, cerise sur le gâteau, le déremboursement de son nouvel antiarythmique, le Multaq. Pour compenser la bourde de Lajoux, le Président de Sanofi, Chris Viehbacher, a saisi l'occasion pour faire passer son plan social et recontenter les actionnaires. 900 emplois seront détruits, et Sanofi passe numéro 1 du CAC 40. Bien récupéré et tant pis pour l'emploi !

Décidément, de Chamberlain à Lajoux, l'Histoire n'a jamais pardonné à celui qui baisse la tête (voire plus !) devant son bourreau.

Référence : "Médicament : l'état d'urgence" Christian Lajoux, Ed. Cherche Midi, Novembre 2012.


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