Les Français ignorent la mort cérébrale. Les médecins ne savent pas tous la diagnostiquer

par Alain Tesnière
jeudi 24 janvier 2008

La mort est définie dans le dictionnaire : « Qui a cessé de vivre ». Voilà une définition bien succincte. La mort est donc la « non-vie », mais où est la limite ? Quand est-on encore vivant ? Quand est-on mort ? Est-ce à un instant « t » ou bien est-ce progressif ?

Autrefois, c’est le clergé qui tenait les registres de l’état civil et le registre des sépultures. Le 20 septembre 1792, la Révolution française lui retire cette fonction. Les registres d’état civil sont transférés aux mairies et plus particulièrement à un officier d’état civil. Celui-ci doit constater la mort et délivrer le permis d’inhumer. Deux proches doivent faire une déclaration de décès à la mairie dans les 24 heures et l’officier d’état civil doit alors se transporter auprès du défunt et constater le décès.

L’officier d’état civil ne connaît pas en général la personne décédée. Il n’est pas considéré comme un spécialiste de la mort. On ne lui reconnaît guère de compétence dans ce domaine. Souvent, l’officier d’état civil ne se déplace pas et donne le permis d’inhumer sans « voir » le défunt, il se fonde simplement sur la déclaration de deux témoins. Il n’y avait donc aucune vérification médicale de la mort.

Le croque-mort "vérifiait" la mort par stimulation nociceptive sur l’hallux. Puis on pratiqua le test du miroir devant la bouche du cadavre pour "vérifier" l’arrêt respiratoire par absence de condensation. Enfin on constata l’arrêt cardio-circulatoire par l’abolition des pouls périphériques. On se doute que des erreurs de diagnostics avaient lieu.

La peur d’être enterré vivant est une angoisse jusqu’au XIXe siècle. En 1896, le comte Karnice-Karnicki, chambellan du tsar de Russie, avait fait breveter et commercialisait un dispositif permettant à une personne qui aurait été inhumée par erreur d’actionner un drapeau et de faire tinter une cloche. Le système était loué quelques jours, puis, quand plus aucun espoir de survie n’était permis, était retiré et placé dans une autre sépulture.

Ce n’est que le 28 mars 1960 que le médecin a l’obligation technique de constater la mort, l’officier d’état civil conservant la mission de la constatation juridique. Deux documents attestent de la mort : le procès-verbal de décès et le certificat de décès, ils doivent être signés simultanément. Le procès-verbal affirme la mort d’un point de vue scientifique, mais c’est le certificat qui entraîne les conséquences juridiques du décès pour le défunt.

Le diagnostic de mort a longtemps été géré par des circulaires. La circulaire du 3 février 1948 définissait la mort comme étant la cessation de toute activité cardiaque et circulatoire.

Celle du 24 avril 1968 est un tournant dans cette définition juridique de la mort. Elle définit la mort cérébrale. Cette mesure légale permet le prélèvement d’organes.

Rappelons que la première transplantation cardiaque a eu lieu le 27 avril 1968. Simple coïncidence de date ? Ou volonté politique de redéfinir la mort pour permettre la greffe ?

De nos jours, ce ne sont plus des circulaires qui définissent la mort, mais un décret : celui de décembre 1996. La définition de la mort est laissée aux médecins et est entérinée par un simple décret.

Les Français sont-ils aptes à comprendre une définition aussi délicate ?

Herpin et Paterson ont étudié sur des Français en 1997 leur conception de la vie et de la mort, ainsi que leur rapport au don d’organes.

Les résultats montrent que :

- 14 % des personnes interrogées déclarent ignorer ce qu’est la mort cérébrale ;

- 28 % pensent savoir ce qu’est la mort cérébrale, mais donnent une réponse erronée à la question : ils pensent que la mort cérébrale n’est pas la destruction définitive du cerveau ;

- 33 % savent que la mort cérébrale est l’arrêt définitif des fonctions du cerveau et considèrent qu’une personne en état de mort cérébrale est décédée : c’est en accord avec la loi en vigueur ;

- 25 % savent que la mort cérébrale est l’arrêt définitif des fonctions du cerveau, mais considèrent qu’une personne en état de mort cérébrale est entre la vie et la mort.

Passons du côté des professionnels

Qui mieux qu’un médecin connaît la mort ? Le docteur est un savant en qui on a confiance. Cet homme de science concentre tous les pouvoirs. C’est lui qui établit la définition de la mort et c’est lui qui signe le certificat de décès. C’est au médecin d’indiquer le jour, l’heure et le lieu du décès : personne ne peut mettre en doute sa compétence.

La thanatologie s’enseigne. Le Dr François Paysant, du service de médecine légale du CHU de Rennes, définit la thanatologie comme la science de la description clinique de la mort et de la recherche des mécanismes et des causes aboutissant à la mort. Il précise dans son cours que la définition de la mort est "approximative et variable suivant le contexte".

La lecture du master en éthique médicale présenté par Jean-Christophe Tortosa de la faculté de médecine Paris V sous la direction du Pr Christian Hervé, en 2005, intitulé « Acceptation, par les professionnels de santé, des prélèvements d’organes sur des sujets en mort encéphalique, sur des patients victimes d’atteintes cérébrales majeures et sur des patients en arrêt cardiaque. Résultats préliminaires d’une étude pilote menée dans deux centres hospitaliers, en France » est sidérante.

[ source ]

« Par ailleurs, plusieurs travaux de DEA réalisés au sein du laboratoire d’éthique médicale, Paris-5, montrent que pour une partie significative des professionnels de santé en France (paramédicaux et médicaux), la question du diagnostic de mort encéphalique n’est pas claire. En effet, dans une étude, Philippe Romano (DEA 1994) constate que pour 6 % des médecins interrogés (n=28, travaillant dans des équipes de réanimation) les critères de mort encéphalique ne sont pas précis. De même, Nora Berri (DEA 2000) constate un taux similaire, de 6,3 % (n=253). J.-C. Tortosa (maîtrise 2003) constate que ce taux s’élève à 28 % lorsque l’on demande aux médecins de qualifier les sujets en mort encéphalique. Dans cette dernière étude, seulement 18,18 % des médecins considèrent que le prélèvement sur un sujet coeur arrêté est moins problématique que le prélèvement sur le sujet en mort encéphalique. Dans une perspective plus théorique, David Rodríguez-Arias a soutenu que la mort mérite d’être pensée plus comme un processus, que comme un phénomène ponctuel. Par ailleurs, il conçoit que la mort est une construction sociale : la mort ne serait pas un phénomène qui s’imposerait aux individus, mais plutôt le résultat d’un consensus intersubjectif. A l’hôpital, on ne découvre pas le moment de la mort : mais on choisit plutôt, de façon consensuelle, le moment à partir duquel on arrête de considérer la personne comme vivante. Comme tout consensus, celui qui nous a permis de nous mettre d’accord sur les conditions permettant d’identifier une personne comme morte, est historique et évolutif. En effet, en 1968, deux considérations pragmatiques ont fait élargir l’ancien critère de mort cardio-respiratoire jusqu’au critère consensuel de mort encéphalique :

1) le besoin social et collectif d’avoir de plus en plus d’organes de qualité pour la transplantation ;

2) l’importance que la société, les proches des donneurs en particulier, maintiennent leur confiance sur les systèmes de don d’organes.

Pour déterminer la mort, il a été procédé à un recadrage légal des critères en 1968 qui a été un succès durant des années, même si cette notion n’a pas toujours été parfaitement comprise. Aujourd’hui, le seul critère de mort encéphalique peut s’avérer insuffisant : certains patients qui ne sont pas en état de mort encéphalique, mais qui se trouvent dans une situation gravissime et irréversible peuvent théoriquement être « candidats » au don d’organes. En France, les protocoles de prélèvement sur des donneurs à coeur arrêté impliquent un retour vers l’ancien critère de mort cardio-respiratoire tout en conservant celui de la mort encéphalique. Cela permettra sans doute d’augmenter les dons et de diminuer le nombre de personnes qui décèdent actuellement en l’attente d’un organe. »

Est-ce que cela redonnera la confiance des Français dans la transplantation ?

L’étude de M. Tortosa consiste à présenter à des professionnels quatre scénarios cliniques :

un patient A en état de mort encéphalique,

un patient B en état végétatif permanent,

un patient C en arrêt cardio-respiratoire (catégorie II de Maastricht),

un patient D en arrêt thérapeutique (catégorie III de Maastricht).

Les résultats sont ahurissants :

« Sur les 22 soignants qui pensent que le sujet A est vivant, 17 sont prêts à accepter un prélèvement d’organe. »

« Sur les 59 personnels qui considèrent que les patient B est légalement vivant, 5 considèrent qu’il peut être prélevé. »

« 55 personnels répondent que le patient D n’est pas légalement mort et 16 acceptent le prélèvement. »

La conclusion de cette étude est pudique :

« Cette enquête, qui sera étendue à d’autres centres en France, laisse apparaître un besoin continu de formation dans le domaine du prélèvement d’organe, tant sur le plan juridique qu’éthique. En effet, la part du discours tenu par les professionnels de santé dans les médias ou auprès des familles lors de l’annonce du décès joue probablement un rôle dans les refus de prélèvement de ces dernières. Or, les résultats de notre enquête pilote, avec les limites que nous lui connaissons, montre que ce discours peut être amélioré. D’autre part, le législateur ayant récemment encadré la possibilité des limitations ou arrêts thérapeutiques, sous condition, il est à attendre, en France, un débat sur les prélèvements sur sujet à coeur arrêté ou sur la transgression de la règle du donneur décédé, débat foisonnant dans le monde anglo-saxon et confidentiel dans l’Hexagone. »

Si les comportements révélés dans cette étude sont le reflet de pratiques réelles lors de prélèvements d’organes, il faudrait attirer l’attention des pouvoirs publics sur le fait qu’elles constituent des délits réprimés par la loi.

Il est assez inquiétant de constater que depuis la circulaire Jeanneney de 1968 les spécialistes ne sachent toujours pas établir convenablement le diagnostic de la mort.

Il est encore plus effrayant de découvrir qu’il en est de même dans d’autres pays, comme la Suisse.

« Nous rapportons une enquête d’opinion auprès du personnel médical et infirmier des soins intensifs, des urgences et du bloc opératoire, effectuée dans le cadre du projet Donor Action. Cette enquête effectuée par questionnaire anonyme portait sur les attitudes envers le don et la transplantation d’organes. Elle a été effectuée dans un hôpital universitaire, centre de transplantation et dans un grand hôpital régional sans programme de transplantation. Les principaux résultats montrent une attitude plus positive dans l’hôpital régional, face à ces questions. Le don d’organes et la transplantation soulèvent de nombreuses interrogations auprès du personnel médico-infirmier, tout particulièrement sur la mort cérébrale, pour laquelle il est à noter que seuls 80 % des soignants des deux hôpitaux considèrent que cette dernière est une confirmation de la mort. Ce résultat démontre qu’il n’est pas possible d’aborder la question de la mort à l’aide de la seule science médicale. » (Revue Médicale Suisse n° 628) http://titan.medhyg.ch/mh/formation/article.php3?sid=21788 )

En qui avoir confiance de nos jours pour ne pas être déclaré mort précipitamment et dépouillé de ses organes ?

Alain Tesnière


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