Lunettes trop chères : l’optique en ligne est-elle la solution ?

par Patrice Lemitre
lundi 6 mai 2013

Le magazine Que Choisir, dans son numéro de mai, a publié les résultats d'une étude qui fait grand bruit – bien qu'elle ne fasse que confirmer ce que nous savons déjà : en France, les consommateurs payent leurs lunettes beaucoup trop cher. En moyenne, une paire à verres unifocaux coûte 290 € ; il faut doubler ce chiffre pour avoir des lunettes à verres progressifs. Soit 50% de plus que dans la plupart des grands pays européens !

Les causes de ce mal bien français sont multiples et complexes. Le magazine1 pointe d'abord la responsabilité des assurances complémentaires, qui ont faussé le marché en mettent en avant de forts remboursements d'optique, à seule fin d'attirer de nouveaux adhérents ; mais il tire surtout sur les opticiens, accusés de pratiquer des marges beaucoup trop élevées.

Professionnels parmi les mieux rémunérés des professions commerciales2, les opticiens se sont multipliés ces dernières années : 1175 diplômés en 2004, 2480 en 2011... Une hausse de 110 %, sans rapport avec l'augmentation des besoins liés au vieillissement de la population. Le phénomène s'est accompagné d'une explosion du nombre d'ouvertures d'officines, au point que la France compte aujourd'hui trois fois plus de boutiques par habitant que les Etats-Unis. Trop nombreuses, elles ne vendent plus que 2,8 paires de lunettes en moyenne par jour, ce qui entraîne une explosion de la part des frais fixes par paire de lunettes commercialisée. A ces frais s'ajoutent les dépenses de promotion (beaucoup de publicité à la télévision) et de marketing : les secondes paires de lunettes « gratuites » augmentent le prix moyen de chaque paire vendue de 60 euros, selon le magazine...

Que choisir ne parle pas des pratiques anticoncurrentielles dont feraient preuve les grandes enseignes et le verrier Essilor. C'est Marc Simoncini, créateur de Meetic et promoteur du site d'optique en ligne Sensee,com, qui s'en charge3. S'appuyant sur une étude des économistes David Martimort et Jérome Pouyet4, il dénonce la mainmise de quelques grandes enseignes et attaque sévèrement Essilor. Le leader du marché des verres optiques, abuserait de sa position dominante sur certains segments en maintenant des prix artificiellement élevés et en refusant de vendre aux opticiens sur Internet.

Face à cette situation, que peut faire le consommateur ?

Que Choisir plaide, sur son site, pour une généralisation des réseaux de soins5 des complémentaires santé ; une idée sans doute intéressante mais qui exige un aménagement de la loi. Ce n'est donc pas une solution pour tout de suite.

Et pourquoi pas l'optique en ligne ? Pas un mot de Que Choisir à ce sujet, comme si l'alternative n'était pas sérieuse. C'est pourtant le seul moyen aujourd'hui pour trouver ailleurs une paire de lunettes à verres unifocaux pour 39 € ou une paire à verre progressif pour moins de 100 €...

Ce mode de diffusion a certes des inconvénients. Choisir une paire de lunettes en ligne n'est pas chose facile. Avant l'achat, personne n'est là pour vous conseiller ; après l'achat, il n'y a personne non plus pour effectuer les petits réglages assurés par votre opticien en boutique... Le temps passé entre le moment du choix en ligne et le moment où vous prenez possession de vos lunettes est généralement plus long. Le processus d'achat est plus compliqué...

Incontestablement, la qualité de service est moindre. Mais les opticiens en ligne déploient des trésors d’imagination pour améliorer leurs prestations. La plupart des sites offrent ainsi la possibilité de télécharger un portrait de vous et de l'utiliser pour tester des montures. Certains vont encore plus loin. Chez Mister Spex par exemple, où j'ai commandé mes dernières lunettes, vous pouvez utiliser votre webcam comme un miroir où votre visage sera agrémenté de la monture choisie. C'est un peu déroutant à utiliser au début mais c'est finalement efficace et fiable. Et je dois dire que c'est aussi assez rigolo à faire en famille !

Ceci dit, tous les petits désagréments de l'achat en ligne sont secondaires. Ils sont largement compensés par le prix extrêmement bas. La seule véritable question à se poser est celle-ci : les opticiens en ligne sont-ils fiables ?

Sur mon site « Comme Robinson dans la crise »6, je recommandais tout d'abord de bien choisir son opticien sur Internet. Au minium c'est celui dont les prestations sont remboursées par la sécurité sociale et votre complémentaire santé. C'est celui également qui prend au sérieux la question de l'écart pupillaire, indispensable au bon positionnement des verres dans la monture. Mister Spex, Sensee, Happy View, ou ExpertOptic sont, par exemple, des professionnels qui présentent ce minimum de garantie.

Je n'avais guère de doute sur la capacité des meilleurs professionnels à livrer des lunettes simples, à verre unifocaux. Pour des lunettes plus complexes, comme celles, par exemple, dont j'ai besoin moi-même, je restais plus circonspect. Je suis très fortement myope et très fortement astigmate et, ayant plus de 50 ans, j'ai aussi besoin de verres progressifs, pour la vision de près. Un cauchemar, pensais-je, pour un opticien en ligne, car il doit évaluer avec une très grande précision le positionnement du verre dans la monture.

J'ai commandé mes lunettes chez Mister Spex. J'ai opté pour une monture Lacoste à seulement 84 euros. J'ai reçu ces montures équipées de verres neutres quelques jours plus tard, à charge pour moi de les mettre sur mon nez, de me faire tirer le portrait, d'imprimer l'image et de renvoyer le tout à l'opticien, dans le même emballage, avec le bon de retour fourni. Trois semaines plus tard, j'ai reçu les lunettes dans lesquelles les verres avaient été montés. Et je dois dire qu'elles sont parfaites. Elles ne m'ont demandé qu'un très bref temps d'adaptation. Comment l'opticien obtient-il ce résultat ? Avec un pupillomètre, logiciel très puissant qui, à partir de la photo fournie et des dimensions connues de la monture, détermine la position des verres.

En résumé, j'ai une paire de lunettes de grande marque avec des verres complexes, progressifs, traités anti-reflets, anti-salissures et anti-rayures et qui me conviennent parfaitement. Le tout pour 232 €, soit moins que la part qui me restait à payer de ma poche chez mon opticien mutualiste. Avec le remboursement de la sécurité sociale et de ma mutuelle, je n'ai pas eu à sortir un centime.

Il n'existe pas de statistiques fiables sur la pénétration du marché par les opticiens en ligne. Les professionnels de l'optique savent cependant que, contrairement à beaucoup d'autres secteurs du commerce, l'explosion espérée n'a pas eu lieu. On estime entre 0,5 % et 3% au maximum la part de marché de l'optique en ligne, ce qui est très faible, même si on considère la fourchette haute. Le métier a pourtant, semble t-il, la capacité technique de fabriquer de bons produits. Avec 10 ou 15 % du marché, l'optique en ligne pourrait jouer le rôle de Free dans la téléphonie mobile : secouer le cocotier des confortables positions acquises et rendre l'initiative au consommateur.

Je vote pour.

 

1Que Choisir no 514 Mai 2013, en kiosque depuis quelques jours

2Étude sectorielle « TPE : optique 2011 » réalisée par l'union de la profession comptable et des organismes agréés.

3Parmi de nombreux articles citons celui du Figaro : Essilor verrouille le marché de l'optique selon Simoncini...

4L'optique en France, Etude économique.

5Article en ligne sur le site de la revue...

6 Rubrique « Diminuer nos dépenses de lunettes »

 


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