Mediator : Bravo Monsieur Charasse !

par Georges Yang
mercredi 12 janvier 2011

Michel Charasse, membre du Conseil constitutionnel, a confié mardi « avoir pris du Mediator pendant 12 ans, mais ne pas envisager de déposer plainte, ne se sentant pas pour le moment malade », lit-on depuis hier dans différents médias. Et de rajouter, plein de bon sens, « on ne va pas déposer une plainte si on n'est pas malade ! Moi, pour le moment, je ne sais pas si j'ai quelque chose, je ne vais pas porter plainte parce que j'ai pris du Mediator".

Le laboratoire Servier n’est pas un modèle de vertu. Les médicaments qu’il produit sont le plus souvent d’intérêt limité pour rester dans l’euphémisme. Le vieux Servier est un personnage suffisant et antipathique, mais tout cela ne doit pas servir à justifier une panique générale. Le Mediator est tout au plus inutile et peut-être présente des effets secondaires plus importants que des bénéfices pour les malades. Mais il se développe en France, depuis une bonne dizaine d’années, deux dérives. La première est une dérive rapace et procédurière, qui ne concerne pas que le médicament, à la recherche d’indemnités sonantes et trébuchantes. De plus en plus de gens veulent « faire cracher au bassinet » au moindre inconvénient. La seconde est une peur irrationnelle de tout ce qui est chimique, y compris le médicament, dans la ligne de l’esprit écologique où tout ce qui n’est pas naturel est mauvais. En oubliant que la cigüe et l’arsenic sont des produits de la nature et non des créations de chimistes à la solde de l’industrie et du grand capital.

Michel Charasse ne bêle pas avec le troupeau. Heureusement, il a passé l’âge de s’en mordre les doigts. Ses propos bien que raisonnables vont faire pousser des cris d’orfraie aux bien-pensants. Il a des couilles et du bon sens.

Faut-il absoudre Servier ? Surement pas ! Faut-il indemniser individuellement, surement non. Après des investigations, des contrôles cliniques et biologiques sur des patients ayant pris du Mediator, il faut en tirer les conclusions. Et si la responsabilité de Servier est engagée et prouvée, ce laboratoire devrait payer une pénalité globale à un fond commun qui servirait à rembourser la Sécurité Sociale du coût des frais d’enquête médicale et d’expertise. Ce fond, géré par le Ministère de la Santé ne devrait pas servir à boucher un déficit, mais être utilisé à des fins sociales, de recherche ou humanitaires (à choisir ou panacher). Mais indemniser individuellement des malades chroniques qui sont déjà pris en charge pour leur pathologie est un encouragement à une escalade procédurale.

Deux catégories de patients ont pris du Mediator. Des diabétiques qui sont des malades chroniques dont la maladie évolue inéluctablement vers des complications infectieuses, rénales, cardio-vasculaires, ophtalmologiques et cutanées. Après dix ans d’évolution, un diabétique a développé des complications, qu’ils aient pris du Mediator ou non. Il sera difficile pour les experts de définir la part des complications dues aux médicaments et celles dues à l’évolution de la maladie. Les non diabétiques sont des patients qui ont reçu passivement une prescription de leur médecin ou qui ont insisté pour obtenir un coupe-faim. Ce qui est condamnable au niveau médical, c’est d’avoir prescrit un médicament peu utile par facilité. Car un médecin devrait passer du temps avec un diabétique à lui expliquer et le persuader de suivre un régime hypocalorique allégé en sucre plutôt que de lui prescrire à la va-vite un coupe-faim qu’il soit officiellement ou non une amphétamine. Mais hélas, beaucoup de médecins suivent la facilité de l’ordonnance, soit par timidité devant un patient avide de prescription médicamenteuse, soit pour gagner du temps et faire du chiffre d’affaire.

Ce qui est gênant en cette histoire, ce n’est pas les effets iatrogènes (c’est un terme médical pour dire effets toxiques d’un médicament). Tous les médicaments efficaces ont des effets secondaires et quelquefois toxiques. Ce qui est gênant, c’est que cette sinistre pantalonnade va encore ébranler le crédit de nombreux malades vis-à-vis de la médecine. La stupidité du principe de précaution avec la vaccination pour la grippe H1N1 a détruit la confiance dans les vaccins qui sont utiles, voire indispensables à leur survie. La preuve est que cet hiver, le taux de vaccination pour la grippe saisonnière qui tue, est très bas car les personnes âgées ont été trompées par la propagande alarmiste du Ministère de la Santé et ont fait un amalgame entre une gripette et une grippe qui tue. Le « scandale » du Mediator va encore renforcer les fous furieux qui prônent les lavements aux herbes, les tisanes, l’homéopathie et l’acuponcture pour traiter le diabète, le cancer et l’insuffisance rénale.

Alors, si Servier se prend une « grosse prune », si le labo prend un coup dans l’aile, il ne faut pas le plaindre. Mais les politiques, les journalistes et les responsables sanitaires devraient comprendre qu’il ne faut pas encourager les revendications matérielles, qu’il ne faut pas créer de psychose anti-médicale, mais améliorer l’évaluation des médicaments mis sur le marché et décider d’une règlementation stricte qui évite les conflits d’intérêts. Enfin, les médecins généralistes ou non, du moins certains d’entre eux devraient passer plus de temps avec les patients au lieu de prescrire à tour de bras et être moins pusillanime devant des patients qui pensent savoir en ayant regardé su Internet. Quant aux recyclages, ils devraient être pris en charge et organisés par l’Université et non par les laboratoires, cela éviterait bien des dérives.


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