Médiator : dès 1994, les médecins étaient informés du fait que c’était une amphétamine
par docdory
lundi 20 décembre 2010
Dans un communiqué daté du 26/11/2009, l'Assapas (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) décidait de retirer son AMM (autorisation de mise sur le marché) au Médiator (benfluorex), des laboratoires Servier, ainsi qu'à tous les médicaments contenant du benfluorex (les génériques du Médiator) (1). Cette suspension était consécutive à la survenue de cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et de valvulopathies graves pouvant évoluer vers l'insuffisance cardiaque. Cette suspension d'AMM faisait suite à une première restriction d'AMM en 2005 époque à laquelle était imposée un renforcement de l'information sur les effets secondaires neuro-psychiatriques du Mediator, et en 2007, l'AMM du Médiator se voyait amputée de l'indication »hypertriglycéridémie »(NDLR : augmentation de la concentration d'un certain type de graisses dans le sang). Ne restait à l'époque que l'indication »patients diabétiques en surcharge pondérale, en complément d'un régime adapté."
Or, cette indication restante était plus que contestable et ce fait était parfaitement connu des médecins dès octobre 1994. Examinons les faits :
En octobre 1994 un document circulaire intitulé »prescription médicamenteuse et toxicomanie / Guide pratique en médecine ambulatoire »était adressé aux médecins français. (cf photocopies du document en fin d'article, si le système d'adjonction d'image d'agoravox veut bien fonctionner pour une fois !)
Cet opuscule était une réalisation collective, signée par :
1°) l'association nationale »généralistes et toxicomanies (Dr Fhima (69), Dr Jourdain(69), Dr Afchain (93) Dr Binder (17) Dr Polomeni (95) Dr Polomeni (95) et Dr Mucchielli (06)
2°) Le centre d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance de Grenoble (Dr Mallaret et Dr Daniel)
3°) Le service d'inspection régionale de la Pharmacie- direction régionale des affaires sanitaires et sociales Rhône-Alppes (Mme Valençon)
4°)Le Service Toxicomanie de la DirectionDépartementale des affaires sanitaires et sociales de Savoie (Dr Legrand)
5°) Le réseau VIH Savoie REVIH 73 (Dr Rogeaux)
6°) Le réseau Santé -Toxicomanies_Savoie (Dr Vignoulle)
Le deuxième chapitre de cette publication,de la page 5 à la page 9 était intitulé »présentation des spécialités dont l'usage peut être détourné ».
Un sous-chapitre, appelé »médicaments apparentés à l'amphétamine »contenait la phrase suivante :»stimulants, souvent déviés en association à l'alcool, l'héroine ou la morphine : Dinintel, Fenproporex, Ordinator, Préfamone, Ténuate-Dospan, mais aussi Anorex, Incital, MEDIATOR, Modératan, Orténal.
Le risque paraît plus faible pour Pondéral Retard et Isoméride, mais une vigilance doit être maintenue. »(fin de citation).
En résumé, cette liste contenait tous les »coupe faim », anorexigènes amphétaminiques répertoriés et défavorablement (2) connus comme tels, et le Médiator s'y trouvait en bonne place et était considéré comme plus à risque que l'Isoméride, autre produit phare du laboratoire Servier, (dont l'interdiction pour effets indésirables cardiologiques fut obtenue en 1997) (3)
Donc, nous pouvons constater que dès 1994, la classe pharmacologique réelle du Mediator était parfaitement connue : celle d'un anorexigène amphértaminique et nullement celle d'un antidiabétique. Certes, le laboratoire Servier aurait pu tenter de faire valoir que l'un n'empêche pas l'autre, et aurait pu prétendre que la molécule de benfluorex puisse à la fois être anti-diabétique et anorexigène. Encore aurait-il fallu préalablement qu'il admette publiquement les faits présentés par le guide pratique sus-mentionné.
Mais examinons cette hypothèse, selon laquelle une amphétamine pourrait être aussi un antidiabétique. Est-elle plausible d'un point de vue scientifique ?
Pour éclaircir ce point, il faut tout d'abord préciser qu'il y a deux types principaux de diabète (augmentation pathologique du taux de glucose dans le sang) :
- le diabète de type 1, du à une insuffisance profonde de fonctionnement du pancréas endocrine, qui ne sécrète plus suffisamment d'insuline, hormone qui permet au glucose (le principal sucre utilisé par l'organisme) d'entrer dans les cellules. Ce diabète de type 1 se traite par des injections d'insuline à vie, et n'a pas de rapport avec le sujet qui nous concerne.
- le diabète de type 2, survenant le plus souvent chez l'adulte en surcharge pondérale, chez lequel l'insuline est sécrétée normalement, mais ne parvient plus à faire rentrer de glucose dans des cellules déjà surchargées, par des mécanismes qu'il serait trop long d'expliquer ici. Cette deuxième variété de diabète, qui est celle qui nous intéresse, se traite par un régime, l'exercice physique, si possible, et éventuellement par des médicaments en cas d'échec des deux premières mesures.
Le traitement du diabète de type 2 sert essentiellement à prévenir les graves complications vasculaires qui en résultent : atteinte athéromateuse des gros vaisseaux, entrainant insuffisance coronarienne, accidents vasculaires cértébraux et artérite des membres inférieurs, et microangiopathie diabétique pouvant entraîner cécité, insuffisance rénale et autres complications.
Le traitement du diabète de type 2 doit obligatoirement être associé à celui des autres facteurs de risque vasculaire, dont il est l'un des principaux.
Pour mieux faire comprendre au lecteur ce qu'est un facteur de risque vasculaire, il est tentant d"établir une comparaison avec la sécurité routière, dans un but de clarté :
Quelqu'un en bonne santé qui roule à 130 km/h sur l'autoroute, avec une vue correcte, sans avoir bu ni pris de drogue, en ayant bien dormi la nuit précédente, et dans un véhicule dont les réparations exigées par le contrôle technique sont bien faites, a fort peu de chances d'avoir un accident. Par contre, quelqu'un qui prend un traitement tranquillisant, qui a oublié ses lunettes, qui a fait la fête toute la nuit, roule avec 2 g d'alcoolémie, roule à 180 km/h, a fumé 4 pétards avant de prendre le volant d'une voiture dont le contrôle technique n'a pas été fait depuis longtemps, et dont les pneus n'ont pas été gonflés depuis trois ans, eh bien ce conducteur à une probabilité extrêmement élevée d'avoir un accident. On voit donc qu'il existe des facteurs de risque d'accidentologie routière : le mauvais état général et visuel du conducteur, l'alcool, les drogues, la vitesse, la fatigue, le mauvais état du véhicule. Ces facteurs ne s'additionnent pas entre eux, ils se multiplient !
De la même façon, en matière de maladies cardio-vasculaires, nous avons quatre facteurs de risque majeurs : le diabète, le tabagisme, l'hypercholestérolémie, l'hypertension artérielle, et d'autre facteurs non négligeables : l'obésité, en particulier abdominale, la sédentarité, les antécédents familiaux, entre autres.
Quelqu'un qui ne présente aucun des facteurs de risque sus-mentionnés n'a que très peu de probabilité d'avoir un jour un accident cardio-vasculaire. Quelqu'un qui cumule tous ces facteurs a, au contraire, une probabilité très élevée de faire un infarctus, un accident vasculaire cérébral ou autres complications vasculaires dans les années qui viennent !
Le principe de base de la prévention des maladies cardio-vasculaires, qui sont l'une des principales causes de mortalité prématurée en France, est donc d'agir simultanément sur tous ces facteurs de risque. Mais un être humain est quelque chose de bien plus compliqué que la sécurité routière. Il existe des cas dans lesquels l'action favorable sur un facteur de risque peut entraîner une action défavorable sur un autre. Cela implique évidemment que, pour faire de la bonne médecine préventive, le traitement de l'un de ses facteurs de risques ne doit pas aggraver les autres : imaginons par exemple qu'un traitement pour l'hypertension ait pour effet secondaire chez certains patients d'augmenter le taux de cholesterol dans le sang, cela imposerait l'interruption de ce traitement anti-hypertenseur chez les patients en question..
Ceci n'est pas une idée seulement théorique : un antidiabétique, l'Avandia (rosiglitazone), faisait bel et bien baisser le taux de sucre dans le sang, mais faisait prendre pas mal de poids aux malades qui le prenaient, donc améliorait un facteur de risque tout en aggravant un autre. (4).Personnellement, je n'en avais jamais prescrit à cause de cet effet secondaire, et bien m'en a pris, car, comme c'était hautement prévisible à la lecture de sa notice dès la commercialisation, la surveillance de ce produit par la pharmacovigilance a fini par démontrer qu'il augmentait fortement le risque d'affections cardiaques, il a donc été retiré du marché ! (5)
« Primum non nocere »est un des principes de bases de la médecine. Comme disait Hippocrate :»« Avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire »(« ἀσκέειν, περὶ τὰ νουσήματα, δύο, ὠφελέειν, ἢ μὴ βλάπτειν »).
Appliquons ce raisonnement médical de simple bon sens au Médiator.
Tout le corps médical, comme nous l'avons vu plus haut, était averti dès 1994 du fait qu'il s'agissait d'une amphétamine. Or, quels sont les effets secondaires cardio-vasculaires bien connus et bien établis, constants et communs de toutes les amphétamines ? Ces effets secondaires sont décrits ici (6) :»L’administration d’amphétamines expose à des risques somatiques comme psychiques. Au plan somatique, les amphétamines accélèrent le rythme cardiaque, d’où hypertension artérielle avec risque d’hémorragies (cerveau, poumon), et troubles du rythme. De plus, elles ont une action vasoconstrictrice (NDLR : réduction du calibre des vaisseaux sanguins) qui aggrave encore l’hypertension.". Un cas célèbre d'intoxication amphétaminique fut celui du décès subit du cycliste Tom Simpson, au tour de France 1967.
On comprend donc que les effets délétères cardio-vasculaires des amphétamines, ensemble de molécules à auquel appartient le Médiator, excèdent très largement, et de loin, le bénéfice qui pourrait être induit par une hypothétique diminution de la glycémie.
Quel aurait d'ailleurs pu être le mécanisme de la discutable diminution de la glycémie alléguée par le laboratoire Servier, et qui prétendument aurait justifié la commercialisation et le remboursement par la sécurité sociale du Médiator ? C'est très simple : les amphétamines ont pour caractéristique commune de couper l'appétit. Les diabétiques de type 2 étant généralement trop gros, la diminution des apports alimentaires causée par la prise de Médiator devait avoir une petite action statistique sur le taux de glycémie, avec diminution légère de celui-ci dans les premiers mois du »traitement »(l'effet anorexigène diminue ensuite).
Par conséquent, la connaissance, largement diffusée, du caractère amphétaminique du Médiator aurait du suffire à le discréditer dès 1994 en tant qu'antidiabétique. Les autorités de santé auraient du non seulement le dérembourser dès cette époque, mais également le retirer du marché. Il est impossible d'imaginer que le laboratoire Servier n'ait pas été averti de l'existence du document diffusé en 1994. Il a continué malgré cela à le faire présenter comme anti-diabétique par ses visiteuses médicales (Celles-ci avaient d'ailleurs bien »appris la leçon »puisqu'elles niaient, en utilisant des pseudo-arguments chimiques qu'elles semblaient connaître par coeur, la nature amphétaminique du produit lorsqu'on leur objectait ce document).
Il est inconcevable que les »experts »chargés de l'AMM et du remboursement des médicaments, n'aient pas été capables de tenir le raisonnement médical simple exposé plus haut, raisonnement à la portée de tout médecin généraliste de base.
Un dernier point, non documenté malheureusement, au sujet du Médiator. En 1983-1984, lorsque je finissais mes études médicales, j'ai fait fonction d'interne pendant un an dans le service de médecine interne et d'endocrinologie de ma ville. Il était fréquent que des diabétiques de type 2 y soient hospitalisés pour diverses raisons. Dès cette époque, les malades qui arrivaient avec un »traitement »par le Médiator se voyaient supprimer, dès l'entrée dans le service, ce médicament (qui provoquait des sourires narquois chez le chef de service et les chefs de clinique, tous endocrinologues) Ces malades ressortaient bien sûr du service sans Médiator sur l'ordonnance de sortie...
Dès cette époque, l'inutilité du produit était donc parfaitement connue dans les services spécialisés, et, si mes souvenirs sont justes, était également enseignée dans les cours de pharmacologie dispensés aux étudiants en médecine.
Une conclusion s'impose : il faut revoir entièrement le système d'attribution de l'AMM et du remboursement des nouveaux médicaments, en particulier, les experts qui y travaillent doivent être totalement dépourvus de lien avec l'industrie pharmaceutique, afin d'éviter tout conflit d'intérêt, qui ne manquent pas de survenir autrement... Pourquoi d'ailleurs ne pas mettre aussi quelques généralistes expérimentés dans ces structures, afin qu'ils y apportent un minimum de bon sens et d'expérience de terrain !
Docdory
- Document envoyé en 1994 aux médecins
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Anorexigè ;ne
(3) http://fr.wikipedia.org/wiki/Fenfluramine
(5) http://afriqueactu.net/8627/sante/l&rsquo ;antidiabetique-avandia-retire-du-marche-europeen
(6) http://senon.pagesperso-orange.fr/Documentation/telechargement/2cycle/moduleD/psychostimulants.pdf
https://www.afld.fr/docs/ressource281_Listedesinterdictions2010.pdf