Miction impossible
par Georges Yang
mardi 15 décembre 2009
Imaginez Tom Cruise, enfermé dans les toilettes d’un avion, en train de forcer pour faire sortir quelques gouttes d’urine en poussant comme un forcené. Scientologiste ou pas, le héros des films inspirés de la série culte en prendrait un coup au niveau de l’image. Et pourtant, les troubles prostatiques guettent de nombreux hommes passées la cinquantaine. Certes, à moins d’avoir des métastases cérébrales, ce qui est exceptionnel, ce genre de pathologie ne pénalise pas l’intellect, comme le fit judicieusement remarquer François Mitterrand, quand il fut obligé d’avouer sa maladie à la télévision, disant finement que le centre de l’intelligence était plus haut placé et que cela ne l’empêchait pas de gouverner . Et avant lui le VSOP, le Vieux Soldat Opéré de la Prostate, n’en continua pas moins à diriger la France avec cet inconvénient. Il est vrai qu’en ces temps si éloignés de notre réalité politique actuelle, les présidents pensaient à autre chose que de se muscler le périnée, même si certains n’hésitaient pas à s’en servir outre mesure. Malgré tout, l’homme est rarement fier de sa prostate et en discute rarement à table d’un ton badin. La prostate est la petite glande mystérieuse qui fait surtout parler les femmes et les journalistes politiques, mais qui est en fin de compte assez méconnue.
Petit rappel anatomique et pathologique :
Bien que cet article ne soit pas un cours destiné à des étudiants en médecine, il parait utile de faire quelques rappels simples pour permettre au lecteur et surtout aux lectrices de mieux cerner le problème.
La prostate est une glande de petite taille et de consistance molle, située à la base de la vessie à la sortie de l’urètre. Elle produit des sécrétions composant une partie du sperme et améliore son évacuation. Elle a de fait son utilité dans la vie sexuelle de l’homme. La prostate ne fait généralement pas parler d’elle tant qu’elle est saine, sauf infection vénérienne, avant cinquante ans et plus. Quand elle s’exprime, cela commence par des difficultés à uriner, des besoins de plus en plus pressants et difficiles à satisfaire, des séjours prolongés aux toilettes et des levers fréquents la nuit, qui font tirer souvent la chasse d’eau au grand déplaisir des voisins dans les immeubles mal insonorisés. Le seul avantage de la pathologie prostatique est l’éjaculation rétrograde en intra vésical, excellent moyen contraceptif naturel, mais ne pouvant se réaliser sur commande. Cela fait ressembler le petit pépère qui péniblement tire son coup aux sâdhus indiens, capables de se maitriser après une longue pratique du tantrisme.
Le risque de cancer de la prostate augmente avec l’âge. Pratiquement exceptionnel avant 40 ans, sa fréquence croit de façon quasi exponentielle à partir de 50 ans pour devenir assez fréquente une fois atteints les 70 ans. En dehors de troubles de la miction, c’est le côté invasif de ce cancer qui pose problème, du fait de ses métastases locorégionales, puis disséminées. D’autant que le traitement chirurgical entraine souvent une impuissance sexuelle dans 60 à 90% des cas.
L’Adénome (tumeur bénigne, c’est-à-dire non cancéreuse) est surtout gênant par les troubles de la miction qu’il provoque et ne présente pas les dangers évolutifs du cancer. Cette maladie se caractérise par un syndrome de « pisse trois gouttes », la pollakiurie, pouvant évoluer jusqu’à la rétention aigue d’urine, quand la vessie est pleine et que l’on ne peut plus pisser. Les faux besoins, les gouttes retardataires qui coulent sur le pantalon et tachent le slip sont les autres inconvénients de cette pathologie. Et puis, la répercussion ascendante de la maladie peut atteindre aussi les reins.
Les prostatites sont des infections ascendantes souvent dues à des maladies sexuellement transmissibles, comme la gonorrhée (plus connue sous le nom de chaude-pisse) ou d’autres germes récupérés lors de copulations hasardeuses et fortuites. Elles peuvent être aussi non vénériennes à la suite, entre autres de l’urétrite saisonnière ou Fiessinger-Leroy-Reiter qui commença à sévir dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale On ne s’attardera pas sur la pratique du sondage urinaire qui peut entrainer à l’hôpital une infection nosocomiale de la glande et encore moins sur les quelques excentriques qui se font eux-mêmes des sondages de l’urètre avec des stylos Bic ou autres fins tuyaux, à la recherche de sensations érotiques nouvelles.
Le diagnostic de la pathologie prostatique repose avant tout sur l’interrogatoire du malade et le toucher rectal, les radios, échographies du petit bassin, plus connu sous le terme de région pelvienne et examens complémentaires tels les dosages sanguins ne devant servir que de confirmation et préciser s’il s’agit d’un adénome ou d’un cancer.
Le massage prostatique n’est pas une spécialité cochonne des salons thaïlandais, mais un moyen d’exprimer les sécrétions de la glande. Et en ce cas l’ongle outrageusement long et manucuré n’est guère recommandé.
Les traitements chirurgicaux, de plus en plus rares quand le diagnostic est précoce sont remplacés désormais par des traitements hormonaux ayant recours entre autres aux anti-androgènes ; autres possibilités, les radiations, et les implants.
Malgré tout, avant d’en arriver à ces extrémités peu réjouissantes, rien ne vaut le geste préventif et intrusif d’un doigt placé au bon endroit par un homme de l’art et pas uniquement concernant la prostate. Le geste qui sauve, peut surprendre au premier abord, mais il est souvent le révélateur d’une pathologie curable, si elle est prise à temps.
Il y a quelques vingt ans, un hebdomadaire français publia un article sur une « épidémie » de cancer du rectum localisée à trois cantons de l’Ardèche et qui aurait été due à la consommation excessive d’une salaison de fabrication locale, la jambonnette. Les autres cantons du département qui ne produisaient pas cette charcuterie restaient statistiquement dans la moyenne nationale. Et le journaliste d’expliquer l’embarras des généralistes ardéchois dans leur campagne de prévention reposant entre autre sur un examen clinique demandant du doigter, si ce n’est du tact. La phrase clé de l’article était en substance : « Un paysan de 70 ans venu consulter pour une angine ne voit pas immédiatement l’intérêt d’un toucher rectal ! ». De prime abord, on le comprend le plouc, mais on peut aussi se demander comment le salpêtre ou un autre adjuvant présent, éventuellement cancérigène, sur le boyau utilisé pour fabriquer de la jambonnette, salaison locale en forme de saucisson, peut entrainer des cancers si étrangement situés. Que font donc les habitants de l’Ardèche avec leurs produits régionaux ? Telle était la question sous-jacente du reportage. Car cette anecdote remonte à une époque où l’on ne parlait pas encore de sex toys. Belle illustration des produits du terroir, s’il en est.
Par contre, quand elle ne souffre d’aucune pathologie, la prostate, bien stimulée peut participer activement à la vie sexuelle. Dans un article précédent, il avait été déjà noté que : « Quant à celui qui a du mal à passer à l’acte mais présente une érection réflexe en déféquant une selle longue et dure, il ne présente pas une homosexualité refoulée, mais tout simplement une excitation de la prostate par voie transrectale quand il va aux toilettes. Et lui, il aurait peut-être besoin de passer chez l’urologue. » (Voir : Quand je pense à Fernande, je bande.)
Dans la même lignée on peut aussi évoquer cette antique pratique persane et babylonienne qui consistait littéralement à enfiler des perles. C’est-à-dire à introduire dans le rectum de l’homme par voie anale, un collier de perles de turquoise de tailles différentes et sur commande de demander au ou à la partenaire sexuelle, cela marche dans le sens homo ou hétéro, de tirer plus ou moins doucement le collier au moment de l’orgasme. Le frottement sur la zone prostatique faisant parait-il grimper au lustre, arrivé l’instant critique. Pour ceux qui pensent que la turquoise est trop onéreuse, cela marche aussi parait-il avec des perles en plastique ou en bois, mais c’est nettement moins raffiné, la turquoise donnant en plus un petit côté oriental fleurant les Mille et une nuits. L’ivoire, qui eut ses amateurs au temps des olisbos à usage saphique est désormais fortement déconseillé par les défenseurs des animaux.
Alors, ne vous étonnez pas un jour Messieurs, passée la soixantaine, de vous retrouver un soir avec d’anciens compagnons de beuveries et d’orgie et de chanter avec eux avant de les quitter, cette vieille rengaine des années 60 qui rendit célèbre en son temps, le néozélandais francophone Graeme Allwright : « Buvons encore, une dernière fois à la prostate, l’amour, la joie. On a fêté nos métastases, ça me fait de la peine, mais il faut que je m’en aille. » Mais, pour vous rassurer, pensez aussi, que pris à temps, ce cancer n’est pas mortel et que les traitements actuels vous amélioreront la miction. « Give Piss a chance » aurait pu chanter John Lennon dans ses messages d’espoir.
PS :
Les amateurs de sensations fortes à la recherche d’un toucher rectal impromptu, peuvent tenter leur chance dans les villes minières de la République Démocratique du Congo. A une époque, avant de monter dans l’avion à Tshikapa ou Mbuji-Mayi, le préposé des douanes, vous exhibait un vieux gant de caoutchouc qui avait depuis longtemps oublié l’usage unique. Le but était de vérifier si vous ne transportiez pas de diamants. Menace verbale, jamais mise à exécution, uniquement faite pour intimider les réticents et leur faire cracher un matabiche, c’est-à-dire un pourboire, histoire d’avoir la paix. Les vrais suspects passaient au bureau, et si aucun accord à l’amiable n’était trouvé, on leur appliquait la vieille méthode mussolinienne de l’huile de ricin en les laissant seuls dans un cachot avec un seau, le temps que l’oléagineux fasse son œuvre. On avait l’interrogatoire festif, au temps de Mobutu.