Mutation

par Sylvain Rakotoarison
samedi 7 mars 2020

« Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
(…) Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
À chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie,
Ni loups ni renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie ;
Les tourterelles se fuyaient :
Plus d’amour, partant plus de joie. ».
(Jean de La Fontaine, 1678)



Comme une journaliste de France Inter, on peut avoir en tête ce début de fable de La Fontaine, "Les Animaux malades de la peste", lorsqu’on pense au coronavirus SARS-CoV-2 qui sévit aujourd’hui sur quasiment toute la planète (97 pays, dont le Vatican).

Comme tout nouveau sujet d’actualité, le thème du coronavirus a provoqué la créativité de nombreux internautes, parfois leur humour noir aussi. Mais, comme avec La Fontaine, on peut revisiter certaines littératures en regardant a priori l’existence de l’actuelle épidémie de coronavirus. J’avais déjà cité le livre "Erectus" de Xavier Müller qui a abordé avec beaucoup de justesse le thème de la pandémie et du contrôle (ou non contrôle) de l’OMS (Office Mondial de la Santé) basé à Genève et de l’importance des virologues.

Comme le responsable de la COVID-19 est un virus d’origine chinoise, pourquoi ne pas aller rechercher dans la littérature chinoise, ou plutôt, sino-américaine, quelques traits intéressants et presque prémonitoires ? Je propose d’aller lire Qiu Xiaolong, universitaire chinois basé aux États-Unis. Le père de ce romancier et professeur de littérature américaine a été victime de la Révolution culturelle, et lui-même se trouvait aux États-Unis pour ses études quand a eu lieu le massacre de Tiananmen. Il a alors préféré rester vivre sur le territoire américain où il poursuit une brillante carrière d’écrivain.

Dans l’un de ses derniers romans policiers, publié le 18 octobre 2018, Qiu Xiaolong a évoqué la grave pollution de l’atmosphère de la mégapole Shanghai. Son titre est très éloquent : "Chine, retiens ton souffle" aux éditions Liana Levi (traduction d’Adélaïde Pralon).

Au milieu du livre, ce spécialiste de T. S. Eliot semblait quasiment parler du marché aux animaux de Wuhan, l’origine du coronavirus. Chen est l’inspecteur principal chargé d’enquêter sur cette pollution, à ses heures perdues, il est également poète : « Chen était allé dans des restaurants de ce quartier. Ils étaient connus pour leur proximité avec le marché aux poissons dont les stands s’étalaient le long de la rue. Les clients pouvaient choisir leurs fruits de mer et les cuisiniers les préparaient et les agrémentaient à leur convenance. Les plats étaient ainsi plus frais, plus économiques et plus savoureux. ».



La vie était donc envahie de nouveaux comportements et la ville envahie de personnes masquées : « La majorité des passagers étaient des jeunes portant de larges masques qui rendaient leur respiration encore plus difficile dans l’espace étroit du wagon. ». Et de cibler à la fois une nouveauté sociale et un accroc à l’économie : « Les gens s’habituaient à la "nouvelle norme" comme l’appelaient les médias, même si officiellement, l’expression servait surtout à désigner le début du ralentissement économique. ». Phrase qui pourrait s’appliquer au coronavirus en 2020, d’autant plus que le pic de l’épidémie en Chine a dépassé son sommet.

Plus accessible au grand public, une autre littérature peut évoquer ce coronavirus si ennemi du peuple. C’est dans un album d’Astérix, l’un des récents, qui s’est passé du talent du dessinateur Albert Uderzo (scénario de Jean-Yves Ferri et dessin de Didier Conrad), titré : "Astérix et la Transitalique" (éd. Albert René), sorti le 19 octobre 2017. Dans cette avant-dernière aventure du célèbre héros gaulois, l’adversaire principal, le personnage principal, le redoutable concurrent, celui qui garde un masque mystérieux, s’appelle …Coronavirus. Pas de prémonition, puisque les coronavirus sont connus sur l’homme dès 2002 et sur les chats (par exemple) encore bien auparavant.



Mais parlons du vrai coronavirus SARS-CoV-2 qui est une grande source d’inquiétude.

En France, l’Assemblée Nationale a été atteinte avec un député du Haut-Rhin qui est en réanimation depuis le 5 mars 2020. Plusieurs personnes travaillant au Palais-Bourbon sont contaminées et il est aujourd’hui peut-être question de confiner l’Assemblée Nationale, ce qui aurait des conséquences politiques désastreuses et serait une atteinte à la démocratie. Auparavant, deux maires ont été contaminés et un préfet, qui était au contact avec l’un des deux maires, se retrouve en confinement pendant la période incubation.

Dans plusieurs départements comme le Morbihan et le Haut-Rhin, en raison du grand nombre de cas d’infection au coronavirus, il est désormais interdit d’assister à une messe, d’aller au cinéma, de se rassembler dans une salle, etc. ce qui met en péril la fragile bien qu’ancienne démocratie française qui, par ailleurs, est en pleine campagne électorale avec les élections municipales des 15 et 22 mars 2020.



On ne peut d'ailleurs plus dire que les trois principales listes aux municipales de Paris sont dans "un mouchoir de poche" dans les intentions de vote, car les mouchoirs doivent être désormais à usage unique et jetés après utilisation. Changer les comportements n'est jamais simple. Le dimanche 1er mars 2020, lors sa conférence de presse quotidienne sur la situation du coronavirus en France, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a rappelé quelques gestes de bon sens, notamment qu'il faut tousser dans sa manche ou son coude, mais lorsqu'il a lui-même toussé devant les caméras, il a mis sa main devant sa bouche, ce qu'il ne fallait pas faire ! 

Les autorités françaises sont-ils en train de conduire petit à petit les Français au stade 3 de l’épidémie ? Le 6 mars 2020, le Premier Ministre Édouard Philippe a pris la relève du Ministre de la Santé Olivier Véran (en réunion à Bruxelles avec ses homologues européens) pour communiquer à la presse et aussi aux Français.

Le même jour dans la matinée, le Président de la République Emmanuel Macron a visité un EHPAD (établissement d’habitation pour personnes âgées dépendantes) pour recommander, de manière totalement paradoxale, de ne pas visiter les personnes âgées en ce moment, pour ne pas risquer de les contaminer. Pourtant, il le dit alors que lui-même fait le contraire de ce qu’il conseille de faire aux Français !

D’autres institutions sont touchées par le coronavirus. Ainsi, le Président du Parlement Européen, David Sassoli, a décidé le 5 mars 2020, sur la base d’un rapport médical interne, de réunir les députés européens en séance plénière du 9 au 12 mars 2020 à Bruxelles au lieu de Strasbourg, trop proche du foyer de coronavirus de Mulhouse. Il a déclaré : « Sur la base de cette évaluation, et face à ce cas de force majeure, j’ai estimé que les conditions de sécurité de base n’étaient pas réunies pour le transfert habituel du Parlement Européen à Strasbourg la semaine prochaine. ». La situation de la Belgique suit pourtant le même genre de "courbe" que l’Alsace, et il y a déjà deux personnes infectées parmi les collaborateurs du Parlement Européen à Bruxelles. Par ailleurs, David Sassoli avait annoncé dès le 2 mars 2020 l’interdiction d’entrée dans l’enceinte du Parlement Européen des visiteurs extérieurs et des 11 000 lobbies répertoriés.

La palme de l’absurdité pour ne pas dire de la stupidité revient quand même au syndicat CGT qui vient de déposer un nouveau préavis de grève à Radio France (après avoir suspendu le 3 février 2020 pour un mois, la grève illimitée décidée le 21 novembre 2019). Or, la radio France Inter est justement un média stratégique pour communiquer avec les Français en temps de crise ou de catastrophe, leur donner les consignes. L’empêcher d’être opérationnelle en pleine épidémie d’un virus inconnu est le signe de manque de lucidité sinon de responsabilité.

Ce vendredi 6 mars 2020, le seuil de 10 000 personnes infectées par ce nouveau virus a été atteint au niveau mondial, exactement 102 049 personnes. On essaie de le comparer au virus de la grippe mais il n’a rien à voir : la létalité de la grippe est beaucoup plus faible que celle du coronavirus (au moins un voire deux ordres de grandeur). De plus, il existe un vaccin de la grippe qui permet de protéger les personnes les plus exposées.

On doit parler de létalité avec précaution (avec précaution et émotion, chaque "unité" signifie une famille en deuil). On calcule le rapport entre le nombre de décès provoqués par le coronavirus et le nombre de personnes infectées. Les dernières statistiques (qui évoluent malheureusement très vite), indiquent 3 494 décès, ce qui pourrait faire une létalité de 3,4%, ce qui est déjà énorme. On pourra toujours dire qu’on ne connaît pas le nombre réel de personnes infectées, et en particulier, de celles qui ne présentent aucun symptôme ou qui ont des symptômes qu’on attribuera sans dépistage à une grippe. Donc, ce nombre pourrait être surévalué.

Mais en fait, ce calcul est biaisé puisqu’on mélange les torchons et les serviettes. Parmi les personnes qui sont infectées, certaines, malheureusement vont décéder dans quelques jours et ne sont pas prises en compte tandis qu’il y aura plus de personnes infestées le jour de leur décès. C’est pour cela que le calcul le plus pertinent serait de prendre pour définition de la létalité le nombre de personnes décédées sur le total du nombre de personnes guéries et du nombre de personnes décédées, sans tenir compte des cas où le coronavirus est encore actif. Alors, ce nombre doublerait presque car avec 57 611 de personnes guéries, cela donne une létalité de …5,7% !

Cependant, un calcul global n’a pas de sens car il y a des létalités très différentes en fonction des pays, et même des régions, puisque la Province du Hubei tue beaucoup plus, par exemple, que le reste de la Chine. Ces létalités très différentes sont étonnantes. Par exemple, toujours au 6 mars 2020, en France, il est de 42,9% avec la méthode proposée et de 1,4% avec la méthode généralement admise (nombre de décès sur nombre de cas). 653 cas en France et 9 décès, alors qu’en Allemagne, il y a à peu près le même nombre de cas, 670, et aucun décès.

Si l’on prend d’autres pays, les disparités sont assez importantes. Je propose les deux calculs de létalité, celui généralement admis et entre parenthèses, celui proposé ici. Toujours au 6 mars 2020. En Chine, on a 3,8% (5,3%) ; en Corée du Sud : 0,7% (24,2%) ; en Iran : 2,6% (12,0%) ; en Italie : 4,2% (27,4%) ; en Allemagne : 0,0% (0,0%) ; en France : 1,4% (42,9%) ; au Japon : 1,4% (10,9%) ; en Espagne : 2,0% (57,1%) ; aux États-Unis : 4,7% (50,0%).

Ces disparités pourraient avoir une explication. Il pourrait y avoir deux souches du coronavirus, une souche L (environ 70% des cas) et une souche S (environ 30% des cas). Le nombre de souches S, le virus le moins agressif, décroîtrait énormément à partir du début du mois de janvier 2020.

Effectivement, selon une étude menée notamment par le microbiologiste chinois Xiaolu Tang, de l’Université de Pékin, soumise le 25 février 2020 et publiée le 3 mars 2020 dans la "National Science Review", revue de l’Académie des Sciences de Chine, le virus appelé désormais SARS-CoV-2, découvert en décembre 2019 à Wuhan, a eu le temps (déjà) de muter. Or, la seconde souche est bien plus dangereuse que la première : plus contagieuse et surtout, plus répandue. On peut lire la publication scientifique ici.

On pourra toujours dire que l’étude porte sur un nombre de cas (103) trop faible pour avoir une fiabilité statistique. Néanmoins, cela donne une indication plutôt cauchemardesque des perspectives actuelles.

Les pouvoirs publics, confrontés à une telle crise, globale, doivent garder en vue les valeurs fondamentales, et la première, c’est de protéger chaque vie humaine d’une contamination fatale. Dans tous les cas, les gouvernements seront critiqués soit d’en faire trop, soit de ne pas en faire assez. Tant qu’à être critiqué, l’esprit de responsabilité commande d’être plutôt trop prudent que pas assez. C’est pour cela que les procès d’intention généralement faits à l’encontre de Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé à l’époque de l’épidémie de grippe H1N1, sont infondés. La commande de 94 millions de vaccins était justifiée pour pouvoir protéger tous les Français. La question aurait sans doute été de savoir s’il fallait rendre ce vaccin obligatoire ou pas.



L’essentiel, en fin de compte, c’est de prendre la mesure du réel danger. S’il faut éviter les contacts humains, ce n’est pas seulement pour éviter d’être contaminé, c’est aussi pour éviter de contaminer les autres. Petit à petit, de nouveaux modes de salutation voient le jour et modifient les habitudes sociales pourtant très ancrées. Certains les adoptent plus rapidement que d’autres. Ainsi, lors d’une réunion ministérielle, la Chancelière allemande Angela Merkel, pour le saluer, a tendu malencontreusement la main à son Ministre de l’Intérieur qui l’a fermement refusée. Chacun a sa part de responsabilité dans la propagation du coronavirus.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Mutation.
Publication "On the origin and continuing evolution of SARS-CoV-2" par Xiaolu Tang and cie, National Science Review, le 3 mars 2020 (à télécharger).
Municipales 2020 (2) : le coronavirus s’invite dans la campagne.
Article 49 alinéa 3 : le coronavirus avant la réforme des retraites ?
Les frontières arrêteront-elles le coronavirus ?
Coronavirus : la croisière ne s’amuse plus.
Le docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte de l’épidémie de coronavirus.
Le coronavirus de Wuhan va-t-il contaminer tous les continents ?
L’apocalypse par l’invasion de paléovirus géants ?
Le virus de la grippe A(H1N1) beaucoup plus mortel que prévu.
"Estimated global mortality associated with the first 12 months of 2009 pandemic influenza A H1N1 virus circulation : a modelling study" ("The Lancet", 26 juin 2012).
Publication d’origine sur le Mollivirus sivericum du 08 septembre 2015 (à télécharger).
L’arbre de la vie.
Découverte du virus du sida.
Vaccin contre le sida ?
La grippe A.
Un nouveau pape de la médecine.

 


 


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