Perdre la tête

par C’est Nabum
jeudi 10 janvier 2013

LA MALADIE D'ALZHEIMER

Un mal si symptomatique

Jamais nous n'avons été aussi entourés d'appareils électroniques pour suppléer notre incapacité à retenir le flot d'informations qu'il nous faut emmagasiner. Nous confions désormais à nos téléphones, nos agendas, nos ordinateurs, nos disques durs cette mémoire qu'on met en barrette, en réseau, dans les nuages ou bien dans des clefs.

C'est pourtant au cœur de cette révolution numérique que se dresse face à nous le mal terrible qu'on nomme Alzheimer. L'effacement progressif et inéluctable de la mémoire de l'homme, l'oubli de soi, la fin de l'enregistrement. Un virus informatique se glisse désormais dans beaucoup de têtes, fait de ces malheureuses victimes des ombres sans passé bloquées à jamais dans un présent sans avenir.

Le vocabulaire se joue encore de cette tragédie avec des expressions souriantes, des mots d'esprit quand justement celui-ci vient à manquer cruellement. Perdre la tête ce n'est certes pas l'avoir dans les nuages. Elle est là, douloureuse et inutile. Que vous ayez eu autrefois la grosse tête ou que vous fussiez jadis tête d'affiche, la déchéance est terrible, le mal si invalidant qu'il vous exclut du monde des bien-pensants.

Vous n'avez plus votre tête, c'est l'horrible réalité d'une tête qui ne vous revient plus. On peut dire en se moquant, « perdre la boule « ou bien plus joliment « perdre les oies » cependant, l'humour n'est pas de mise pour ce mal monstrueux, cette perte du lien qui vous prive de vous même et de tous les autres. On peut sauver les apparences, avoir une bonne tête, il n'est plus rien qui veut s'y incruster.

Ce mal est un cri à tue-tête qui dépose votre mémoire aux abonnés absents. Vous n'avez plus toute votre tête, elle a beau rester sur vos épaules, faire belle figure, elle se vide inexorablement, elle perd toute utilité, elle vous coupe du monde qu'elle vous avait pourtant fait tant apprécier autrefois. Vous avez désormais une tête de linotte, un simple souffle d'air et ce qu'on vient de vous dire s'envole à tout jamais.

Vous n'avez plus aucune idée derrière la tête ni même en dedans. Fantôme en souffrance qui n'est certes pas esprit, mort-vivant, vous maintenez l'enveloppe quand plus rien ne vous relie à vos frères les hommes. L'instant, sans cesse répété, sans arrêt renouvelé de cette pauvre tête folle qui est sans mémoire, sans présent, sans passé, sans futur.

Vous ne pouvez plus relever la tête, vous êtes humilié par les faits, détruit, rabaissé par cette perte inexorable de votre ami le plus cher. Vous ne pouvez plus dialoguer en tête à tête avec vous même, vous vous êtes égaré dans ce mal terrible qui va faire souffrir votre entourage. Vous, vous n'en faites qu'à votre tête, sans vous soucier du désordre que vous provoquez parmi les vôtres.

Car telle est la terrible réalité de cette maladie dont on ne devrait jamais se gausser. Elle est terriblement destructrice pour ceux qui ont toute leur tête, qui cherchent sans jamais y parvenir à maintenir la tête au-dessus de l'eau dans ce flot d'incohérences, d'oublis et douleurs à taire. Quand le mal progresse, le malade régresse au-delà de l'acceptable, en deçà des limites du supportable.

Et la société tourne la tête, ignore l'indicible, ferme les yeux devant le calvaire véritable qu'endurent vingt quatre heures sur vingt quatre les accompagnants. Terme adouci pour ceux auxquels cette effroyable maladie demande de devenir des soignants du quotidien, des esclaves d'un malade invisible, les prisonniers d'un processus de totale destruction..

Souvent d'ailleurs, ce sont ceux-là, les proches, les époux ou les épouses, les enfants qui sombrent les premiers dans l'indifférence d'une société qui n'a pas pris, il me semble la pleine mesure d'un cataclysme silencieux. Il faudrait que ce mal sournois redevienne une cause nationale, il détruit à petit feu des familles entières sans qu'il soit fait assez pour soulager un calvaire quotidien.

Mémoirement leur.

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