Prévention santé
par C’est Nabum
mercredi 13 février 2013
En direct de ma Segpa
Avec mon quatuor
Une déléguée à la prévention de la santé vient tenter l'aventure de présenter l'assurance maladie dans notre établissement. Nous avons regroupé les élèves par genre afin que les jeunes filles puissent parler tranquillement. Le pendant de ce choix, c'est que je me retrouve avec tous les garçons, dont mes inénarrables mousquetaires de l'indiscipline. Juste avant l'intervention, ils venaient de passer un petit temps au bureau, tous les quatre, pour une remonté de bretelles directoriale, ayant sans doute commis de nouvelles espiègleries ailleurs ...
Dans la grande salle polyvalente, je place d'office les élèves pour séparer nos intrépides. Le tour de table est déjà l'occasion d'éclats de rire, de remarques déplacées. L'intervenante reprend d'entrée deux de mes champions. L'un est couché sur la table, l'autre est vautré, main dans les poches, jambes tendues. Le ton de la dame est sec et ferme, elle a du métier et de l'autorité.
Les élèves participent, répondent à ses questions. Une fois encore, les autres se taisent. Comment faire pour qu'ils osent participer ? Les rires reprennent, les apartés, un gros mot en guise de ponctuation (oh le batard !), l'intervenante augmente son débit, sollicite un à un les élèves. Les rires se font plus forts encore, curieusement, ils ne sont que quatre à s'esclaffer.
Le vidéo projecteur assure un peu de calme. Hélas, une jeune fille rentre dans la salle : sifflets, remarques insidieuses viennent ponctuer son passage. Les dérapages reprennent, leurs répliques se font absurdes, grotesques. Ils parlent sans se soucier de l'intervenante et usent à plaisir de provocations classiques (drogue et abus divers sont évoqués comme étant leur quotidien).
Ils dénoncent le comportement supposé d'un camarade. C'est du grand n'importe quoi, ils prétendent que leur compère fume du papier mouchoir. « Lui est foutu » s'exclame T pendant que Z fait une remarque « Pouvez-vous répétez cette question que je n'ai pas comprise s'il vous plait ? », simple répétition ironique d'un conseil préalable de l'intervenante.
Pourtant, elle tient le cap, poursuit sans défaillir son intervention. G s'étire, T se couche sur la table, Z fait craquer ses doigts, B répond à une question. Avec eux, il se passe toujours quelque chose. Ce sont des piles électriques, des adolescents incapables de la moindre concentration et du respect du silence. G parle à T pendant que l'intervenante répond à B.
Nous évoquons alors la contraception. « Les meufs ne font que se plaindre ! », « On s'en fiche de savoir si elles ont une contraception » deux belles répliques de mes chers caïds. Le respect de la femme n'est pas leur fort. Que respectent-ils au juste. ? « Tais-toi trou du cul » s'exclame G, ce qui provoque une réplique de B qui a sincèrement envie d'écouter.
Je suis obligé d'intervenir, cela ne fait que 30 minutes que la séance a débuté. Je déplace G pour rompre les conversations parasites. L'intervenante aborde alors les questions médicales liées au sida. Le silence se fait, des questions naïves arrivent. Nos grandes gueules n'en savent pas plus que les autres en dépit de leur prétendue sexualité débridée. Les idées reçues sont alors proférées avec certitude. La séance devient utile, dans une écoute relative très convenable.
L'animatrice ne cède pas un pouce. Elle a du savoir faire. Elle change de sujet. Elle évoque le but réel de sa visite : nos élèves vont passer l'examen de santé de l'Assurance Maladie à la condition que nous obtenions l'accord de la famille. Hélas, chaque année, des refus sont formulés, pour ennuyer l'école, pour préserver le secret médical, pour d'autres raisons inavouables ou soit-disant religieuses.
« On est obligé d'y aller ? » s'interroge Z. G qui avait déclaré en classe qu'il refuserait d'aller à cet examen, ne dit plus rien. L'intervenante précise alors qu'ils devront venir à jeun. C'est l'occasion d'exclamation. « Comment, ne rien boire, ne rien manger à partir de 22 heures, la veille ? ». Ils sont si fragiles,l es pauvres petits ! Il faudra arriver aussi un peu plus tôt. Un défi pour les rois du retard matinal ...
« Vous aurez également un questionnaire à remplir et si vous pouvez, vous apportez votre carnet de santé. » Le silence se fait. « On vous prendra un peu de sang » ajoute encore l'animatrice. « On va prendre notre sang ? Alors j'y vais pas » s'indigne G qui pourtant en classe n'a peur de rien.
Des questions sérieuses, des peurs secrètes émergent alors.
G coupe la parole à l'intervenante. Elle lui en fait la remarque. Z m'interpelle à haute voix, elle s'en étonne et lui demande le silence. Elle a de l'autorité. Il lui faut recadrer sans cesse ces garçons sous tension permanente. Est-ce de l'hyper-activité, un mal-être qui ne peut être dominé, un manque d'éducation, un trouble psychologique ? J'avoue ne pas savoir que penser de ces jeunes qui n'ont aucune norme sociale, aucun code comportemental, aucune discipline et qui pourtant écoutent de temps en temps.
Nous arrivons à leur poser des questions, personnelles. C'est ainsi que nous devinons qu'une seule famille bénéficie de la CMU. Une surprise nous attend encore, deux garçons vont seuls chez le médecin. Curieusement ce sont deux de nos mousquetaires. Je vous laisse juge de la signification de cette pratique qui peut expliquer bien d'autres choses.
Ce sont des enfants immatures, des adolescents sans censure, sans honte, sans retenue. Que faire d'eux ? Comment sont-ils dans la vie réelle ? Depuis des années d'enseignement, j'avoue ne pas avoir rencontré une telle agitation chronique permanente, une telle incapacité à prendre en compte les autres et la règle.
Z s'indigne de cette visite que nous proposons. « C'est mon droit » « Je ne suis pas obligé d'aller à votre truc ». « C'est ma liberté de refuser ». C'est de l'obstruction systématique, un refus d'adhésion à notre société, une posture de refus systématique de ce qui vient de l'institution. Les remarques déplacées fusent à nouveau, la fatigue sans doute. Ils ne respectent plus rien, pas même eux-mêmes ! Deux heures d'attention, un monde pour eux ...
Médicalement leur.