Quelle place pour le lobby pharmaceutique dans nos institutions ?
par René Dutronc
vendredi 14 octobre 2011
Après un sursis de quelques jours, le nom de Corinne Moizan, la lobbyiste de chez Servier a enfin été rayé de la liste des représentants d'intérêts de l'Assemblée Nationale.
Touché !
Servier a aussitôt réagi, "estimant que cette décision non motivée intervient de manière totalement arbitraire car il n’apparait en aucune façon que Corinne Moizan ait violé le code de déontologie de l’Assemblée nationale".
Plusieurs élus mis en cause par les propos de Mme Moizan dans le Parisien ont eux-aussi réagi en scandant leur virginité :
Marisol Touraine (PS) avait démenti avoir rencontré Mme Moizan, Catherine Demorton (PS) avait précisé que cela n'était arrivé que deux fois et Michel Heinrich (UMP) avait déclaré avoir "peut-être rencontré une fois Mme Moizan". En revanche, le député UMP Jean-Pierre Door et l'ex-sénateur UMP Dominique Leclerc avaient expliqué avoir rencontré plusieurs fois la lobbyiste car "cela fait partie du travail des parlementaires de s'informer".
Et Christian Lajoux, président du LEEM et de Sanofi de rajouter sur RFI :
Le cas Servier a révélé des abus tels que des cadeaux et avantages -parfois financiers- aux législateurs afin de s'assurer des amitiés dans l'hémicycle ! Mais, selon Christian Lajoux, président du Leem, qui fédère les entreprises du médicament en France, Servier fait figure d'exception. (Ecouter l'interview)
Le LEEM prône la transparence. (Ecouter l'interview)
Ce n'est cependant pas ce que dit Roger Lenglet, journaliste et philosophe.
C'est tout l'intérêt du LEEM que d'essayer de prendre de la distance par rapport à Servier en ce moment. Le LEEM, ex-Syndicat National de l'Industrie Pharmaceutique a infiltré tous les rouages de nos institutions jusqu'à la Commission d'AMM de l'AFSSAPS elle-même ! Il y siégeait même à titre d'invité permanent. Une infiltration transparente, certes, mais d'une efficacité redoutable puisqu'elle semblait normale aux experts "indépendants" de l'AFSSAPS !
Pour autoriser un médicament, va voir Vittecoq et Bergmann, ce sont des copains !
La transparence trouvera cependant ses limites avec les Universités d'été de Pharmaceutiques organisées à Lourmarin dans l'extravagante propriété du lobbyiste Daniel Vial. Ces rencontres étaient interdites à la Presse et les seuls compte-rendus apparaissent dans la revue Pharmaceutiques détenue à l'époque... par Daniel Vial lui-même, "conseiller spécial" de Chris Viebacher, l'actuel directeur général de Sanofi. Selon l'ancien rédacteur en chef de Pharmaceutiques, les thèmes soigneusement choisis par le maître de séance et fondateur de la formule – Daniel Vial-, en amont de la manifestation et en concertation avec des représentants de la branche comme des autorités de santé, doivent moins à l’actualité – même s’ils s’efforcent d’y coller au plus près – qu’à la volonté de placer des intervenants clés et très « VIP » dans la branche à la tribune.
C'est ça la transparence dont parle Monsieur Lajoux ? Des discussions à huis clos entre élus et industriels, loin des caméras ?
Affaire Mediator oblige, en mai dernier le LEEM a annoncé réduire ses investissements dans la revue Pharmaceutiques. Il serait dommage d'attirer l'attention sur cette salade indigeste composée d'industriels et de politiques.
Et que penser de la firme pharmaceutique GSK qui a noyauté une centaine de parlementaires avec son Club Hippocrate, présidé par Gérard Bapt ?
L'affaire Mediator a révélé les conséquences dramatiques de l'enfumage insidieux des structures de l'Etat par une seule firme. Les autres labos sont toujours présents, tapis dans l'ombre. Or Xavier Bertrand n'a pas jugé utile d'entamer un vaste chantier de nettoyage des conflits d'intérêts de la sphère politique. Sa présence à Lourmarin au domicile de Daniel vial expliquerait-elle cette attitude ?