Refus de soins ou déni de reconnaissance ?

par citoyen
lundi 10 juillet 2006

La mise en exergue de pratiques de refus de soins concernant les bénéficiaires de la CMU continue de faire grand bruit.

Après la publication de l’enquête, le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, avait aussitôt saisi le Conseil national de l’ordre des médecins. Celui-ci est plutôt resté prudent. Depuis, les syndicats de médecins se sont mobilisés, notamment la CSMF et l’UMESPE tant pour contester la méthode d’enquête elle-même que pour avancer des motifs à l’existence de pratiques discriminatoires. Ces arguments tenaient à des difficultés « administratives », « techniques », mais aussi au fait que les médecins concernés considèrent « perdre de l’argent » en acceptant ces personnes dans leur cabinet sans que ces arguments tiennent réellement compte que la problématique portait sur des pratiques discriminatoires à l’endroit de personnes défavorisées. Désormais, les rangs de la communauté médicale se fissurent, puisqu’un collectif de médecins généralistes vient de saisir la HALDE. De son côté, la CNAMTS décide de lancer une enquête approfondie.

Le Collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins (COMEGAS) a saisi la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), au sujet des refus de soins opposés aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), mis en évidence dans une étude réalisée par le Fonds CMU.


Le COMEGAS a précisé, lundi dans un communiqué, avoir saisi la HALDE par courrier jeudi 29 juin, en réaction aux « pratiques illégales et discriminatoires qui, outre leur caractère éthiquement inacceptable, contribuent à accroître l’exclusion et les inégalités sociales de santé, très importantes en France, à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité accrues des populations les plus défavorisées ».
L’étude de type « testing », réalisée pour le Fonds de la CMU dans six villes du Val-de-Marne, a montré que le taux de refus de soins pour les bénéficiaires de la CMU complémentaire atteignait 41% chez les médecins spécialistes.

Ces résultats ainsi que la méthode utilisée ont toutefois été contestés, voire réfutés par plusieurs syndicats de médecins, ainsi que par l’Ordre des médecins du département concerné par l’étude. Et les réactions publiées sur le site d’AgoraVox après mon précédent article à ce sujet ont largement montré que cette situation faisait débat au sein même de la communauté médicale.


Le COMEGAS, qui regroupe une cinquantaine de généralistes, « condamne fermement [les pratiques de refus de soins] ainsi que les tentatives de les minimiser ou de les justifier par des difficultés administratives, des comportements soi-disant inadaptés des patients ou en remettant en cause la méthode d’enquête ».


Il souligne avoir déjà, « dès 2004, interpellé la Sécurité sociale et l’Ordre des médecins sur la question des refus de soins aux bénéficiaires de la CMU par des médecins, en particulier spécialistes, ou des dentistes ».


Le COMEGAS cite également une enquête de l’Union fédérale des consommateurs Que Choisir effectuée en 2005, qui confortait ses craintes.


Le collectif s’étonne par ailleurs de la réaction de l’Ordre des médecins lorsqu’il affirme qu’il n’est pas saisi de plaintes de la part de patients, alors qu’il reconnaissait l’inverse dans un courrier au COMEGAS daté de février 2005 et que le COMEGAS reçoit lui-même des demandes d’aide de patients confrontés à ces refus ».


Dans la lettre de saisine qu’il a adressé à la HALDE, le collectif estime même que « l’Ordre ne dit pas la vérité en prétendant n’avoir reçu aucune plainte, même s’il est probable que ces plaintes sont très peu nombreuses ».


« En effet, la plupart des patients qui ont la CMU n’ont ni le temps, ni les moyens, ni la capacité, ni l’envie d’entamer une démarche auprès de l’Ordre ou d’une autre instance. Orientés vers la survie quotidienne, face à un refus de soins, qui fait partie par définition hélas de leur réalité d’exclus, ils n’ont qu’une priorité : continuer à se battre pour trouver un autre médecin qui les acceptera », explique le COMEGAS.


Réagissant à cette initiative, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui avait déjà exprimé ses réserves sur l’étude par la voix de l’Union nationale des médecins spécialistes français (Umespe), appelle mercredi dans un communiqué à « ne pas désespérer les malades en CMU » tout en restant prudente sur l’éventualité de discriminations avérées : « La CSMF ne saurait bien évidemment soutenir de telles pratiques qui, si elles sont réelles, doivent naturellement être condamnées. »

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La démarche du COMEGAS « est certes compréhensible, mais elle constitue un déni de la réalité quotidienne vécue par des milliers de médecins libéraux spécialistes et généralistes confrontés aux bugs du déploiement du médecin traitant. Le fait que la majorité des patients en CMU n’ait pas choisi de médecin traitant pénalise finalement le médecin sur ses propres honoraires », affirme la CSMF.

Jugeant que l’étude du Fonds CMU, résultat d’un « testing », est « sans valeur statistique », la CSMF « estime qu’il est dangereux de jeter le discrédit sur une profession toute entière et de laisser croire à l’opinion publique que les médecins libéraux sont animés par les seules logiques de profit ».


Le syndicat considère que « l’immense majorité des médecins continue à recevoir les malades en CMU », et recommande la prise en compte du dossier par les partenaires conventionnels.

De son côté, le conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), réuni mardi, a demandé qu’une étude soit réalisée sur l’accès aux soins pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), selon la présidence de la CNAMTS.

Le Conseil, au vu des résultats de l’enquête susmentionnée, s’est déclaré très préoccupé, compte tenu des taux importants de refus de soins qui ont été enregistrés chez certains médecins ou chirurgiens-dentistes.

Pour autant, le conseil de la CNAMTS a reconnu le caractère peu extrapolable en l’état des informations ainsi recueillies, aussi a-t-il demandé qu’une étude « soit conduite par les services de la CNAMTS eux-mêmes, en coordination avec le Fonds CMU et l’ensemble des acteurs concernés, afin que soit appréciées de manière plus exhaustive l’ampleur de ce phénomène et les raisons invoquées par les professionnels de santé.


Cette étude devra, au-delà de la phase purement analytique, permettre de proposer des solutions qui garantissent l’accès effectif à des soins de qualité pour l’ensemble de la population.

N’oublions pas que le ministre de la santé, Xavier Bertrand, a saisi l’Ordre des médecins du sujet.


L’existence de pratiques discriminatoires de la part des médecins, même si elle est contestée par l’Ordre des médecins ou la Confédération des syndicaux des médecins français, n’en continue pas moins de faire grand bruit. Ce qui est nouveau, c’est que la communauté médicale semble finalement divisée entre une attitude consistant à dénier « toute valeur » à cette étude faite par testing, et la nécessité d’affirmer sa condamnation si de telles pratiques existaient. L’attitude de la COMEGAS a ceci d’honnête qu’elle ne craint pas, comme la CSMF, que l’image des médecins soit ternie par la médiatisation de telles pratiques. Et de nous faire croire que « de telles démarches risquent, par leur médiatisation, de déstabiliser un public déjà fragile, de le désespérer et finalement de l’éloigner davantage du système de soins. » L’argument paraît quelque peu fallacieux, car comment et pourquoi le quidam se détournerait-il du système de soins au prétexte que certains médecins ont des pratiques litigieuses ? C’est qu’en fait cet argument n’est pas destiné au patient lui-même, mais plutôt à l’Assurance maladie qui, elle, tient à la cohérence du système de soins.

L’affaire se situe donc, pour l’instant, entre refus de soins des personnes bénéficiant de la CMU et déni de reconnaissance de la profession de médecin.


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