Responsabilité et culpabilité des laboratoires (1) : le scandale du Seroquel

par Pharmafox
vendredi 7 octobre 2011

J'ai récemmet pu constater que, dans l’opinion publique, si un médicament provoque un problème de santé, le laboratoire est forcément coupable et doit être condamné. La réalité est beaucoup plus complexe, et je vous propose de revenir sur quelques affaires dont on n’a presque pas parlé en France. Cette série abordera des affaires concernant la fabrication, des affaires concernant les essais cliniques et d’autres, comme ce sera le cas de ce premier volet, des affaires concernant les effets secondaires des médicaments.

Quelle responsabilité ?

 

Lorsque l’on découvre qu’un médicament a des effets secondaires graves, il convient de se poser les questions suivantes :

Avertir les patients est souvent le point crucial. Tous les médicaments sont dangereux de toute façon, l’important est de maîtriser le risque. Si un risque existe, on surveille de plus prêt les paramètres qui permettront de voir si le patient est en danger, par exemple le rythme cardiaque ou la tension artérielle s’il y a un risque d’hypertension.

 

Si effectivement le patient commence à développer des symptômes inquiétants, on remplace aussitôt le médicament par un autre, qui sera moins efficace, mais aussi moins dangereux.

 

L’un des gros problèmes pour les laboratoires pharmaceutiques vient des combinaisons de traitement. La loi les oblige à vérifier si le médicament est dangereux. Mais il arrive qu’un médicament ne soit dangereux que s’il est pris en même temps qu’un autre. Les médecins ont un rôle essentiel pour empêcher leurs patients de mélanger n’importe quoi, mais on croise souvent des personnes qui ne demandent pas l’avis de leur médecin.

 

Le Seroquel : responsable et coupable

 

Voyions d’abord le cas où le laboratoire est pleinement coupable. Cela n’a que peu d’intérêt car j’en ai déjà parlé, de toute façon si je ne commence pas par là, personne ne prendra la peine de lire la suite. J’aborde ici le cas du Seroquel, mais vous pouvez relire mon article sur le Zyprexa1.

 

Le Seroquel est un antipsychotique de nouvelle génération. Il est destiné à traiter les patients souffrant de Schizophrénie ou en phase psychotiques de troubles bipolaires (ou cyclothymie pour la veille école). Il serait le plus mauvais élève de sa classe2. Ce n’est pourtant pas ce qu’a prétendu son fabricant, AstraZeneca.

 

Au contraire, le produit était présenté comme très bon. Les représentants médicaux de l’entreprise avaient convaincu les médecins de le prescrire pour l’insomnie, la dépression, la dépression bipolaire ou l’anxiété3. Ils avaient convaincu de prescrire le produit à des patients aussi fragiles que les personnes âgés et les enfants (on évite au maximum de prescrire des neuroleptiques aux enfants car leur cerveau est encore en pleine formation).

 

Bien entendu, presque tous les fabricants faisaient pareil avec leur produit (l’exception serait Novartis) : Lilly avec son Zyprexa, Johnson & Johnson avec son Risperdal4, Pfizer avec son Geodon5, Bristol-Myers Squibb et Otsuka avec leur Abilify6. Face à tant de concurrence, AstraZeneca devait se démarquer.

 

Or, tous ces produits ont un effet secondaire gênant : ils font grossir. Dès lors, il suffisait de prétendre que le Seroquel fait maigrir. AstraZeneca a grassement payé les leaders d’opinion du monde médical pour qu’ils affirment que le Seroquel fait maigrir. Le psychiatre Michael Reinstein a reçu près d’un demi million de dollars3. Wayne MacFadden, directeur médical chez AstraZeneca, couchait avec l’un des chercheurs indépendants chargés d’évaluer le produit78

10.

 

En novembre 2009, AstraZeneca a payé une grosse somme pour mettre fin aux poursuites intenté par les autorités américaines11. Des milliers de patients attendent que leurs plaintes débouchent sur une décision de justice.

 

Si l’on reprend donc la démarche présentée dans le premier chapitre :

L’entreprise est indiscutablement coupable.

 

Omerta en France

 

Ce scandale est, bien entendu, passé inaperçu dans nos médias nationaux. Outre la teneur du dossier en lui-même, la presse aurait largement pu en faire ses choux gras.

 

J’ignore combien de lecteurs d’AgoraVox savent qui est le président d’AstraZeneca12, au niveau mondial bien sûr. Je ne parle pas de Françoise Bartoli, présidente de la filiale française mais du grand Manitou. On le dit d’ailleurs sur le départ13, mais la rumeur n’est pas confirmée :

 

Ah oui, j’oubliais. Son casier judiciaire ne l'a pas empêché d'obtenir les titres de commandeur de l’ordre de la légion d’honneur et de grand officier de l’ordre national du Mérite12.

 

 

1 : Le Zyprexa : d’une pierre, deux coups (de fouet), PharmaFox, AgoraVox, 15 Juillet 2011

2. and leave it at that…, 1 Boring Old Man, 2 Octobre 2011

3. Psychiatrist Got $490,000 Pimping For Seroquel, Engaged In Wide Off-Label Use, Philip Dawdy, Furious Seasons, 11 Novembre 2009

4. J&J Unit Marketed Risperdal Off-Label, Ex-Workers Say, Margaret Cronin Fisk et David Voreacos, Bloomberg, 6 Mars 2009

5. Pfizer Settlement Includes Much Off-Label Promotion of Geodon and Kickbacks To Docs For Zoloft, Mental Helath Blogs, 3 Septembre 2009

6. Otsuka to Pay More Than $4 Million to Resolve Off-Label Marketing Allegations Involving Abilify, Reuters, 27 Mars 2008

7. AstraZeneca’s Sex-for-Studies Seroquel Scandal : Did Research Chief Bias the Science ?, Jim Edwards, BNET, 25 Février 2009

8. AZ Seroquel Trial : Was It “Ghostwriting” or “Professional” Writing ?, Jim Edwards, BNET, 20 Mars 2009

9. E-Mail : AstraZeneca Knew in 1997 that Seroquel Caused Weight Gain, Jim Edwards, BNET, 3 Mars 2009

10. AZ Seroquel Emails Detail Off-Label Promotion ; What Did CEO Brennan Know ?, Jim Edwards, BNET, 20 Mai 2009

11. AstraZeneca Pays Millions to Settle Seroquel Cases, Duff Wilson, The New York Times, 29 Octobre 2009

12. Louis Schweitzer (haut fonctionnaire), Wikipedia

13. AstraZeneca looking for new chairman : Report, The Economic Times, 30 Septembre 2011

14. Louis Schweitzer : « On veut fragiliser la Halde », Cécilia Gabizon, Le Figaro, 6 Septembre 2010

15. Comme Luc Ferry, je ne dirai rien, et de toute façon tout le monde le murmure. Mais merci d’avoir suivi la note, ça montre que je ne les mets pas pour rien.


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