Santé publique ou intérêts privés ?

par Marc Girard
mardi 7 juillet 2009

Quand les experts de l’administration s’expriment publiquement au mépris d’une loi faite dans l’intérêt des patients qui leur fait obligation de déclarer préalablement leurs liens d’intérêt.
Depuis 2007 et malgré d’immenses résistances, les décrets d’application de l’article L4113-13 du Code de la santé publique ont été publiés. Celui-ci fait obligation à tout professionnel de santé s’exprimant publiquement (à la radio, la télé ou dans la presse écrite) de faire état de ses éventuels conflits d’intérêt.
 
Il est patent que cette obligation légale est constamment bafouée - et au plus haut niveau. Affectant de l’ignorer, les journalistes se gardent bien d’interroger leurs interlocuteurs sur cette question pourtant cruciale ; on ne sache pas, d’autre part, que ni l’administration sanitaire, ni les instances ordinales aient jamais sanctionné les continuelles violations de cette loi.
 Avant même cette loi française visant n’importe quel média grand public, la déontologie scientifique imposait – et depuis longtemps – un minimum de transparence quant à de tels liens : dans la mesure où le Moniteur s’adresse bien à des professionnels, on aurait pu penser que cette déontologie eût dû s’imposer de toute éternité. Et l’on incline d’autant plus à déplorer ce manquement qu’à l’évidence, les approximations douteuses du président du CTV ne sont pas neutres, comme illustré par trois exemples – parmi bien d’autres.
 
  Il est plaisant de l’entendre stigmatiser les autorités britanniques pour avoir manqué de penser « à leurs migrants » avant de définir leur politique vaccinale contre l’hépatite B : quel lecteur du Moniteur se souvient que, parmi les Français dûment affolés par M. Douste-Blazy qui faisaient le siège des pharmacies en 1994, beaucoup avaient saisi le lien entre « migrants » et contamination par le virus de l’hépatite B ?[1]
 
Semblablement, il est un peu abusif d’entendre vanter le CTV comme instance d’information crédible sur les vaccins : sur les millions de clients qui vont, chaque année, chercher leur dose de vaccin contre la grippe chez les lecteurs du journal le Moniteur, combien sont dûment informés qu’au terme de nos évaluations les plus prisées – en l’espèce, les revues Cochrane – les preuves d’efficacité pour ces vaccins sont, au mieux, « très minces »[2] – alors que l’hypothèque de leur toxicité court toujours…
 
Enfin, la superbe de l’interviewé concernant une complication du vaccin contre l’hépatite B " qui n’existe pas " serait plus convaincante si le CTV, en principe instance d’expertise, avait daigné relever que pour une maladie réputée stable dans le temps, le nombre des scléroses en plaques en France était passé de moins de 25 000 avant la campagne de vaccination[3] à un chiffre que chacun – à commencer par la DGS – s’accorde aujourd’hui à fixer aux alentours de 80 000 ; plus convaincante aussi si le CTV s’était démarqué des pitoyables efforts de son administration de tutelle pour d’abord nier le fait, puis en dissimuler l’effarante portée…
 
Au moment où, à tort ou à raison, la perspective d’une vaccination obligatoire contre la grippe est évoquée, il importe de comprendre comment ceux qui prétendent conseiller le législateur ou l’exécutif à ce sujet peuvent se tenir aussi impunément hors-la-loi : en tout état de cause, on n’attend pas du journal spécialisé le plus lu dans les officines qu’il se fasse leur complice.
 
[1] De la même façon qu’il faut attendre la grippe porcine pour apprendre, grâce au site gouvernemental www.pandemie-grippale.gouv.fr, qu’avec la précédente (aviaire), la contamination est, au pire, « exceptionnelle ». Ah bon ? Qui avait compris ça – au Moniteur ou ailleurs ? Pourquoi avoir fait tant de foin avec ce risque exceptionnel ? Compte tenu des contraintes budgétaires, n’y avait-il pas d’autres priorités de santé publique – moins « exceptionnelles » ?...
[2] Jefferson T, Demicheli V. Influenza vaccination for elderly people and their care workers. Lancet 2007 ; 369:1857-8.
[3] Delasnerie-Laupretre N, Alperovitch A. Epidémiologie de la sclérose en plaques. Rev Prat 1991 ; 41:1884-7.
 

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