Sida, et préservatif, les catholiques sont loin d’être les pires en Afrique ! 2/3

par Georges Yang
mardi 31 mars 2009

Ambivalence et dualité de la société ougandaise.

Il existe de fait deux sociétés ougandaises qui cohabitent jusqu’à présent dans une certaine harmonie. De nombreux Ougandais oscillent entre le moralisme et le libertinage. Comme déjà décrite plus haut, la composante puritaine, attachée à des valeurs religieuses, rassemble avant tout les évangélistes et les born again. L’église catholique, bien qu’ayant elle aussi un discours moralisateur, semble moins virulente et aussi moins écoutée en dehors des groupes charismatiques. Les leaders religieux des communautés islamiques, eux aussi profèrent un discours exemplaire mais ils sont nettement moins présents dans la presse et sur les radios ougandaises. Ce paradoxe apparent est assez bien vécu par la société et ce sont souvent les mêmes qui assistent avec ferveur aux offices religieux qui surfent sur les sites de rencontre une bible négligemment posée à côté de l’ordinateur, ou passent des soirées arrosées dans les bars et les clubs de la capitale. A un degré moindre, on retrouve ce dualisme comportemental dans des villes de province.

Les membres du gouvernement et du parlement ne parlent pas tous de la même voix. D’un côté, autour de Janet Museveni, elle-même membre du parlement ougandais, on retrouve un groupe moralisateur qui veut interdire plus fermement les spectacles de kimansulo (le striptease en luganda, langue locale) et qui milite contre la légalisation de l’avortement. Le ministre de l’Ethique et de l’Intégrité M. Nsaba Buturo veut interdire les minijupes. Selon une dépêche récente reprise sur de nombreux sites (18 septembre 2008) le ministre considère que le port de la minijupe peut induire des accidents de la circulation parce que les hommes seraient détournés de la conduite à un tel spectacle. "Ce qui ne va pas lorsque vous portez une minijupe, c’est que vous pouvez causer un accident, car certaines personnes sont faibles", a-t-il expliqué. Ce ministre s’est déjà fait remarquer pour son accueil chaleureux à des télévangélistes américains dans le cadre de ses fonctions officielles.

La population la société civile et même certains membres du gouvernement sont partagés quant à cette initiative. Dans le même ordre d’idée, le Ministère de la Santé, en collaboration avec Population Service International (PSI Uganda) et Youth AIDS, patronne la publication et l’affichage géant dans les rues d’une publicité montrant un homme de 50 ans environ, un peu chauve avec une cravate. Le message étant : voudriez vous voir cet homme en compagnie de votre fille de 15 ans ? Alors, pourquoi êtes-vous avec la sienne ! Une autre affiche vante les mérites d’une jeune fille qui refuse cadeaux, bijoux et voiture et qui fait comprendre que rien ne l’arrêtera dans ses études. Cette campagne intitulée Fight against cross generational sex a débuté à Kampala en mars 2007 et comprend à la fois un affichage géant et une campagne de sensibilisation dans les écoles et les universités. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la KIU Kampala International University a été bâtie à quelques dizaines de mètres des deux bars les plus chauds de Kampala, le Al’s bar et le Capitol et que le soir venu, un joyeux mélange d’étudiants, de fêtards et de prostituées se croisent aux alentours de la faculté, les étudiantes n’étant pas de reste dans le vestimentaire et la séduction !

Parallèlement, les défenseurs de la morale soutiennent les lois pénalisant l’homosexualité et fustigent ce comportement sexuel comme immoral et contre les principes culturels et religieux du pays. L’homophobie est très marquée dans la presse ougandaise et reflète l’opinion de la majorité de la population. Cela n’empêche qu’il existe une communauté homosexuelle restreinte, peu visible dont un noyau à Kampala. Hélas, à la suite de faits divers sordides impliquant des enseignants dans des affaires de viols sur mineurs dans les internats, l’opinion publique a de plus en plus tendance à faire l’assimilation entre pédophiles et homosexuels et certains de ces derniers ont subi récemment des sévices. Les noms d’homosexuels et de lesbiennes sont régulièrement publiés dans la presse à scandale, cette exposition pouvant avoir des conséquences fâcheuses pour les personnes concernées. Le 8 septembre 2006, le Red Pepper a publié une liste de 13 noms de femmes connues supposées lesbiennes. Il y a une volonté délibérée de créer le scandale pour les éditorialistes dans un but purement mercantile, mais en même temps il existe un rejet officiel de pratiques sexuelles " dissidentes " par une grande partie de la population. D’un autre côté, lors d’interviews auprès de prostituées et d’étudiantes vivant en internat, il semble que les relations entre jeunes filles ou femmes allant au delà des caresses furtives sont relativement fréquentes, enfin plus courantes que l’homosexualité masculine.

Du bord des responsables pragmatiques, l’adjoint au maire de Kampala Kabuwy Takuba, probablement soutenu par le ministre des finances, a proposé en vain de taxer le striptease, kimansulo, déclarant : " Nous en avons discuté, mais nous ne sommes pas parvenus à la conclusion qu’il fallait légaliser le kimansulo. Certains étaient contre, trouvant la pratique trop indécente et immorale. Mais les quelques partisans du " oui " avaient des arguments de poids pour que leur idée soit acceptée. Parmi elles : autoriser le kimansulo dans des établissements contrôlés pour taxer au prix fort les bars et les boites qui proposent ce genre de spectacles. Objectifs : renflouer les caisses de la ville, mais aussi attirer les touristes ".

Cette requête n’a pas encore abouti à la reconnaissance de ce genre de distraction, mais malgré l’interdit officiel le nombre de clubs présentant des spectacles de danseuses en nu intégral est encore très important à Kampala. A contrario, il existe un lobby pour la légalisation de l’avortement qui se bat contre les leaders religieux en mettant en avant l’argument du risque sanitaire encouru lors des avortements clandestins. Le président lui-même se montre souvent hésitant quant à cette option et une loi plus souple que celle existante qui autoriserait l’avortement pour convenance personnelle a été rejetée au moins deux fois par le parlement, mais elle a le mérite d’avoir au moins été présentée au débat parlementaire.

Quant à la presse ougandaise, elle est plutôt libre au niveau du langage sur la sexualité, frisant parfois l’obscénité pure et simple. Des tabloïdes, sur le modèle britannique dans lesquels on voit de jeunes femmes très peu vêtues, sont en vente dans les rues et les kiosques à journaux et ont de très nombreux lecteurs. Tous les sujets concernant la sexualité, y compris l’homosexualité masculine et féminine sont abordés dans ces journaux populaires et quelquefois racoleurs avec des titres accrocheurs au vocabulaire à la fois cru et imagé (avec hélas parfois des conséquences néfastes sur les individus cités nommément comme décrit plus haut).

Mais ce qui fait aussi le succès de Red Pepper, Sunday Pepper et Onion, en anglais ainsi que deux autres titres en luganda, ce sont les petites annonces très explicites à la recherche de sugar daddy ou de sugar mummy, c’est-à-dire d’adultes prêts à sponsoriser les études ou le bien être de jeunes filles ou de jeunes hommes contre des prestations qui n’ont rien d’équivoque. Il faut noter que ces annonces s’adressent à plus de 90% à des Ougandais et non à des étrangers. Car l’Ouganda n’est pas la Thaïlande. On ne peut parler de tourisme sexuel et le pays n’atteint pas non plus la fréquentation touristique du Kenya où pullulent des gigolos de plage. La quasi-totalité des clients des prostituées, des spectacles de striptease et des salons de massage qui foisonnent à Kampala est composée de citoyens ougandais. De même, si musulmans et christian born again qui représentent à eux seuls près de 40% de la population ougandaise, sont contre toute consommation d’alcool, l’Ouganda est devenu pour l’OMS depuis 2005 le premier consommateur mondial de boissons alcoolisées avec 17.2 litres d’alcool pur par adulte et par an. La consommation de bière est la plus élevée par habitant. Le nec plus ultra étant d’en consommer en mangeant de la viande de porc grillée entre hommes et ensuite aller à la recherche de compagnie féminine. Cette pratique ougandaise très répandue est même à l’origine d’une polémique déclenchée par l’opposition contre le président Museveni.


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