Sida, et préservatif, les catholiques sont loin d’être les pires en Afrique ! 3/3

par Georges Yang
mercredi 1er avril 2009

Le discours moralisateur touche toutes les confessions en Afrique, les catholiques ne sont pas épargnés mais ne sont pas les seuls.

Effets pervers du message moralisateur


Tous les samedis soir, un pasteur organise avec des étudiants un véritable show médiatique intitulé " Prime time ", agrémenté de hip-hop et de rhythm and blues à la gloire de Jésus. Le show se conclut par des sketches où le pasteur Martin Sempa, alias Dr Love, conseille les étudiants pour leur vie sexuelle. Tout est prétexte à stigmatiser les homosexuels, bannir l’avortement et chanter les louanges de l’abstinence avant le mariage ".

Extrait de Le lobby évangélique à l’assaut de l’Ouganda /Anouk Baltard


Il est donc certain que ce genre de propagande a de plus en plus d’audience en Ouganda. Ce n’est pas le discours moral qui est dangereux en soi. Une jeune fille peut très bien comprendre que seuls les messieurs d’âge mûr sont potentiellement dangereux, ce qui peut l’inciter à avoir des rapports sexuels non protégés avec des jeunes gens de son âge. Et puis, connaissant le taux de contamination des années 80 en Ouganda, on peut aussi se dire qu’un homme de 50 ans de nos jours, à la sexualité active, a réussi à survivre à la contamination malgré ses partenaires multiples. Cette approche paradoxale peut aussi inciter à moins de précautions.


Le discours moral est avant tout porté par des prédicateurs ougandais, relayé par des politiciens influents, dont l’épouse du président, mais Kampala est de plus en plus le lieu de conférence des télévangélistes américains, venus directement des Etats-Unis ou de pays anglophones. Ils laissent dans leur sillage de nombreux étudiants américains et des familles de missionnaires résidants connaissant mal la culture et la société ougandaise. Il n’est donc pas question de s’interroger sur la composante morale qu’ils peuvent apporter aux Ougandais, car chacun est libre d’exprimer sa foi et de faire du prosélytisme, mais sur l’impact que peut avoir un discours moral en matière de santé publique.


De même, le rejet du préservatif entraîne la promotion d’autres moyens de prévention, en particulier le recours à la circoncision. L’OMS a déjà un regard bienveillant envers cette initiative qui incite à cette petite intervention. Cette pratique pourrait diminuer le risque de contamination de 60% chez les hommes. La circoncision augmente la kératinisation et l’épaississement de la muqueuse du gland et diminuent les infections locales du fait de l’absence de prépuce. Les publications du Pr. Bertrand Auvert (lauréat du prix Claude Bernard 2007 pour ses travaux) sont particulièrement appréciées en Afrique de l’Est et par l’OMS. Notons cependant que le Professeur Auvert ne se fait pas du tout le porte-parole des tenants de l’approche moralisatrice, mais que la mise en avant de ses recherches tend à mettre au second plan l’utilisation des préservatifs, ce qui peut à très court terme déboucher sur une catastrophe.


Il existe actuellement une campagne d’incitation à la circoncision en Ouganda, au Kenya et au Rwanda où elle est quasi systématique dans l’armée, alors que traditionnellement, les Tutsi ne la pratiquent pas. Le danger est grand qu’une fois circoncis pour des raisons non religieuse ou tribale, les nouveaux circoncis considèrent la méthode comme un moyen infaillible d’éviter la contamination et renoncent de ce fait au préservatif. Hors, la circoncision n’est pas une garantie totale, mais un palliatif du manque d’hygiène et ne diminue en rien le risque pour les femmes exposées à des partenaires séropositifs. Une étude effectuée en Tanzanie dans les années 90 montrait que l’hygiène corporel à lui seul associé au traitement rapide des maladies sexuellement transmissibles, en particulier érosives comme les chancres et l’herpès, permettait une diminution de 40% des risques de contamination parmi des populations n’utilisant pas de condoms.


Le recours au discours moral teinté de religiosité a aussi des conséquences sur ceux qui ne le suivent pas. En effet, l’utilisateur de préservatifs étant montré comme un lubrique qui ne peut contrôler sa sexualité, celui qui en demande dans un centre de santé est mal vu. S’il ne peut avoir recours aux marques bon marché distribuées par les ONG et les centres de santé, il ne lui restera que les marques onéreuses disponibles dans les pharmacies privées où il hésitera de plus en plus à entrer Ces marques sont souvent trois à cinq fois plus chères que Trust, sponsorisé par le marketing social. S’il est encore possible de passer inaperçu et d’acheter des préservatifs loin de son domicile dans une grande ville comme Kampala, cela devient plus problématique dans une petite localité ou un village. La peur du blâme et du qu’en dira t’on peut faire renoncer à ce moyen de prévention.

Dans le même état d’esprit, la glorification de la virginité et de l’abstinence dans les écoles a vu la quasi-disparition de l’éducation sexuelle des adolescents ougandais en milieu scolaire. Les adolescents oseront de moins en moins se renseigner sur la sexualité et seront de ce fait nettement plus exposés quand ils passeront à l’acte.

 


Vers une mondialisation du message moralisateur ?


Le cas ougandais n’est pas une exception. De nombreux pays d’Afrique et des Caraïbes sont tentés par cette approche dans l’élaboration de leur programme de lutte contre le sida. La Côte d’Ivoire qui a reçu un financement important du PEPFAR et dont le président Laurent Gbagbo et son épouse Simone font parti d’une église évangéliste, la Shékina Glory, semblent suivre le même chemin que l’Ouganda. En dehors de la foi qui peut sincèrement animer le couple présidentiel ivoirien, l’arrière-plan politique du rapprochement de la Côte d’Ivoire avec les Etats-Unis et le refroidissement des relations avec la France et l’Eglise catholique chères à Houphouët-Boigny, ne sont pas étrangers à cette orientation.


Dans de nombreux pays, il devient de plus en plus difficile de se procurer des préservatifs, les utilisateurs potentiels sont quelquefois dissuadés de s’en servir. Dans la quasi-totalité des pays africains, l’homosexualité et la prostitution masculine sont passées sous silence. Seuls quelques rapports officiels utilisent l’euphémisme MSM (men having sex with men) et très peu de pays africains ont des programmes spécifiques de prévention en milieu homosexuel.


Le rôle important des églises américaines dans le monde et l’engagement moral en politique de l’administration Bush, ainsi que le volume des fonds américains investis dans des programmes de prévention du sida ont un impact grandissant et modifient de façon radicale les orientations stratégiques des acteurs de terrain.

On peut aussi s’interroger sur l’impact des églises évangélistes au sein des communautés issues de l’immigration en Europe et plus particulièrement en France, originaires d’Afrique subtropicale et des Caraïbes, en particulier parmi les Ivoiriens, Congolais des deux Congo et Haïtiens. Nombreux sont ceux qui ont abandonné le catholicisme pour intégrer une église pentecôtiste, où le discours moralisateur est très véhément. Y a-t-il des répercussions de ces prêches sur le comportement sexuel des communautés émigrées ? Il ne semble pas exister d’études et d’analyse poussée sur ce thème en France. L’impact du message de prévention à l’intérieur de ces communautés religieuses par le biais des prédications dans leurs églises est encore mal connu et mériterait donc une étude plus approfondie.

 

Heureusement, l’approche moralisatrice n’est pas encore universelle et cela même aux Etats-Unis. Une communication plus pragmatique au niveau du message de prévention tend à voir le jour. Shanti A. Parikh pense que l’une des pistes de prévention serait de faciliter l’infidélité au lieu de la réprimer. Dans l’environnement rigoriste qui s’installe outre-Atlantique, il fait figure de pionnier.


Ce discours est assez peu répandu et sort du moralisme ambiant. De fait, le secret et le fait de se cacher ne peuvent qu’augmenter la prise de risque. Les hommes étant ce qu’ils sont, l’adultère, le recours à la prostitution et aux aventures extraconjugales n’étant pas prêt de disparaître, autant donner aux hommes infidèles les moyens de se préserver et par ricochet, protéger leurs épouses qui, il faut le reconnaître, n’ont le plus souvent pas leur mot à dire dans le contexte social ougandais et africain en général (sauf en pratiquant elles même l’adultère dans un secret encore plus discret que celui des hommes). Autant donc ne pas contaminer sa femme quand on est infidèle pourrait devenir un slogan porteur et efficace, n’en déplaise aux moralistes, surtout dans un contexte ougandais où il est assez fréquent d’avoir simultanément une épouse, plusieurs maîtresses régulières ou occasionnelles. L’infidélité sans risque est une approche qui est encore peu usitée dans le milieu de la prévention du sida ! Le concept " d’infidélité positive " pouvant porter à confusion dans un contexte où le statut sérologique est souvent mis en exergue.

 


Perspectives d’évolution du message de prévention en Ouganda


L’exemple ougandais doit faire réfléchir à la manière dont le message de prévention peut être appréhendé en tenant compte à la fois des mentalités, des enjeux moraux, économiques, politiques et de la recherche de l’efficacité allant vers une diminution de la transmission de la maladie.

 

Pour conclure :


- L’abstinence et la fidélité sont des solutions qui ne peuvent s’appliquer qu’à des personnes ayant fait un choix volontaire sans contrainte. Cette approche de la prévention ne peut donc être universelle. Elle peut même avoir des effets néfastes si elle est appliquée sous la contrainte morale et la surveillance de la moralité par les voisins ou les coreligionnaires, débouchant sur de l’hypocrisie et de la dissimulation.

- D’un autre côté, le tout préservatif ne peut être une panacée et résoudre tous les problèmes de diffusion de la maladie. D’abord du fait de son acceptation permanente par les utilisateurs ; l’Ouganda, comme tous les autres pays fait face au phénomène de lassitude qui débouche très souvent sur un abandon progressif de l’utilisation systématique, surtout lors de relation entre personnes qui se connaissent. Sans parler de retour au barebacking, référence très occidentale non employée en Ouganda dans le langage courant, on peut constater que l’usage des préservatifs est surtout respecté scrupuleusement par de nombreux Ougandais lors de relation avec des prostituées. C’est pourquoi il est préférable d’utiliser le concept de comportement à risque que de groupe à risque. De nombreuses prostituées ougandaises sont très familiarisées par les ONG et les centres de soins et de prévention et n’ont pas de réticence à en utiliser avec leurs clients. Elles en usent nettement moins avec leurs amants de coeur qui sont souvent issus d’un milieu de marginaux, de transporteurs ou bien d’un entourage criminogène et prennent de ce fait plus de risques avec ceux-ci. Par contre, les femmes célibataires ayant une activité professionnelle, rechignent souvent à proposer le préservatif à leur partenaire de peur d’être assimilées à des prostituées.

- La jeunesse ougandaise n’attend pas que l’on lui dise d’utiliser des préservatifs, mais espère être écoutée et trouver des interlocuteurs capables de répondre à leurs interrogations sur la sexualité. Le groupe de jeunes journalistes de Straight Talk a longtemps répondu aux questions de la jeunesse. L’association recevant le support de l’UNICEF. Une inflexion vers une approche morale verrait probablement une désertion partielle de ce genre de média par la jeunesse. Il n’existe pas encore en Ouganda d’adeptes du Straight Edge, mouvement provocateur issu du punk américain rejetant le nihilisme des punks de la première génération, prônant l’abandon de l’alcool, de la drogue et de la sexualité hors mariage, le tout avec le décorum, le langage et la gestuelle des leaders initiaux de cette tendance musicale. Le discours moraliste reste encore le plus souvent cantonné dans le cadre des églises et des associations. Par contre, l’imagination ougandaise étant très créatrice, les psychodrames, pièces de théâtre, posters, affiches, jeux de rôle incitant à l’abstinence foisonnent dans les associations ciblant la jeunesse. Le recours aux diverses langues nationales autant qu’à l’anglais, permet cependant une certaine liberté d’expression souvent proche du refrain des adeptes du Straight Edge : « Don’t smoke, Don’t drink, Don’t fuck, At least I can fucking think ! » (Inutile de traduire !).

Cependant, l’analogie entre straight talk et Straight Edge n’est pas forcément une pure coïncidence ou analogie. De nombreux adeptes de l’abstinence ont compris qu’un discours puritain uniquement teinté de références bibliques avait peu d’influence sur la jeunesse. Ils ont de ce fait adapté leur langage en le modernisant, en dépoussiérant le dogmatisme des pasteurs classiques. Le recours aux langues vernaculaires, peu accoutumées aux fioritures et aux circonlocutions est tout à fait en harmonie avec cette nouvelle approche. Hélas, dès 2005, ce forum a été obligé de s’autocensurer (voir interview de Cathy Watson par Rap 21). Cette restriction de langage est due à des pressions des églises et de Washington, si l’on en croit les responsables de cette organisation, qui pourtant ne sont pas des adeptes du libertinage.


- Si la circoncision peut avoir des effets positifs à l’échelle de la population, elle ne peut être considérée comme un moyen de prévention individuel, mais comme un apport au niveau de la santé publique. On ne peut décemment pas proposer cette solution comme une alternative au préservatif. C’est probablement dans la compréhension du risque individuel que le message doit être très prudent afin d’éviter des interprétations erronées.


- Le soin des maladies sexuellement transmissibles participe aussi à la diminution de la transmission du VIH. Or il est étonnant de constater que de nombreux programmes de prévention du sida négligent cet aspect du problème s’ils ne font tout bonnement pas totalement l’impasse sur cette approche qui devrait être systématiquement conjointe.


- Le message, ou plutôt les messages adressés aux populations doivent être clairs, évitant confusion et double sens. S’il est légitime que les églises et les associations religieuses participent à leur manière à la sensibilisation sur la maladie, il est par contre plus contestable que des organismes de santé publique, utilisant des fonds publics fassent intervenir la morale comme prioritaire dans la prévention.


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