Un documentaire de France5 : Un monde sans fou
par Tichote
samedi 15 mai 2010
Réalisé par Philippe Borrel (Pistés par nos gènes), le documentaire décortique habilement l’instrumentalisation politique des troubles mentaux. Questionne le glissement sémantique de la psychiatrie à la « santé mentale ». Note le recours systématique aux médicaments et l’absence de prise en compte de l’environnement du patient. S’alarme du repérage anticipé des déviances et de la volonté d’identifier des personnes « pas encore malades mais qui risquent de le devenir ». Constate que le dernier lieu où certains trouvent des soins, c’est en prison. Et décrypte le discours des pouvoirs publics qui promeuvent le risque zéro, et veulent imposer des soins avec moins de moyens et plus de contraintes sécuritaires. A travers des témoignages de soignants, patients, magistrats, bénévoles et élus, le documentaire montre comment, trente ans après la fin des asiles, « la maladie mentale repose de plus en plus sur l’associatif et les familles ». Et s’achève sur cette citation du psychiatre François Tosquelles : « Sans reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît. »
Dans nos rues et dans nos prisons, les malades mentaux se retrouvent de plus en plus exclus et représentent aujourd’hui un tiers des populations SDF et carcérale de notre pays. Et, faute d’avoir trouvé une prise en charge adéquate dans les services d’une psychiatrie publique en crise profonde de moyens et de valeurs, ces malades psychotiques chroniques se retrouvent de plus en plus exclus de la société.
Philippe Borrel, auteur du livre « un monde sans fou » pose là un grave problème de société. Un nouveau monde se construit en ce début de siècle.
En 2010, le parlement Français doit voter une réforme de la psychiatrie et fixer les objectifs d’une nouvelle politique de "santé mentale". Ce projet de loi ne concernera pas les seuls malades psychiques, ou leurs familles, mais l’ensemble des Français.
Il s’agira en effet d’appliquer désormais des programmes de prévention dans les écoles, dans les entreprises, dans les maisons de retraite, ou dans les quartiers défavorisés... Avec pour ambition de détecter au plus tôt - pour les prévenir - les maladies psychiques, mais aussi tous les troubles du comportement : stress, dépression, addictions, comportements suicidaires, qui affecteraient aujourd’hui un Français sur quatre.
Ce projet inquiète certains professionnels de la psychiatrie, qui déplorent de voir une réponse uniquement sécuritaire faite aujourd’hui face à la crise profonde de valeurs et de moyens, de la psychiatrie publique en France.
Défenseurs d’une vision humaniste des soins née il y a cinquante ans dans notre pays, des psychiatres, des soignants, des travailleurs sociaux, des familles et des patients, s’alarment aujourd’hui de voir émerger une véritable logique d’exclusion et de normalisation des souffrances psychiques, avec une prise en charge à plusieurs vitesses, au profit d’impératifs gestionnaires et d’une conception protocolisée des individus.
Si les malades ne sont plus des "sujets" qu’il faut écouter mais des "usagers" qu’il faut "traiter" ou "gérer" ou "responsabiliser", c’est-à-dire non plus des hommes et des femmes avec des sentiments, avec une histoire personnelle, avec des relations sociales, avec un psychisme, mais simplement un "profil symptomatique" ou un "cerveau" ; si l’objectif de la société n’est plus de soigner ou d’aider, mais de gérer au moindre coût un problème embarrassant ; alors la porte est ouverte au tri entre ceux qui sont curables et ceux qui ne le sont pas, entre ceux qui ont les moyens de se soigner et ceux qui ne les ont pas, et donc à l’exclusion, dans un climat de mise sous tension généralisée de la société.
Un collectif de psychiatres a lancé un appel il y a un an contre « la nuit sécuritaire ». Près de 30 000 citoyens (soignants, patients, familles, etc.) l’ont signé.
EXTRAIT : « En amalgamant la folie à une pure dangerosité sociale, en assimilant d’une façon calculée la maladie mentale à la délinquance, est justifié un plan de mesures sécuritaires inacceptables. Alors que les professionnels alertent régulièrement les pouvoirs publics non seulement sur les conditions de plus en plus restrictives de leur capacité de soigner, sur l’inégalité croissante de l’accès aux soins, mais aussi sur la mainmise gestionnaire et technocratique de leurs espaces de travail et d’innovation, une seule réponse leur a été opposée : attention danger, sécurisez, enfermez, obligez, et surtout n’oubliez pas que votre responsabilité sera engagée en cas « de dérapage ».