« Un système fou »
par jlhuss
jeudi 8 novembre 2012
Les questions qui touchent à l’organisation de la santé dans notre pays sont très souvent évoquées par les « politiques » ; elles sont réellement au cœur de nombres de nos concitoyens de plus en plus inquiets. Le procès intenté à une minorité de médecins pour les excès de dépassement d’honoraire est le dernier avatar. On sentait presque une volonté de discriminer l’ensemble d’une profession plutôt que de sanctionner les brebis galeuses facilement identifiables et identifiées.
Le débat se déplace aussitôt (ce n'est pas d'aujourd'hui) en direction des « déserts médicaux », des inégalités territoriales en face de la maladie, des difficultés d’accès aux spécialistes et bien sûr aux difficultés grandissantes des services d’urgences surchargés souvent par des pathologies ne relevant pas vraiment de cette « qualification »
Dans le cadre des échanges nombreux entre praticiens exerçant dans ces services, j’ai eu connaissance, en dépit d’une vie de retraité bien loin de ces tumultes, d’un mail très éclairant du Dr Francis Mounios exerçant à La Rochelle. L'analyse et les constats me sont apparus d'un grand intérêt, tout comme un certain désabusement, une lassitude et ... Une angoisse. Je publie avec son autorisation bien sûr (sans aucune modification).
Chers collègues,
Hélas ce que vivent nos collègues de la Somme est à l'unisson de ce qui se passe partout. Toutes ces problématiques de terrain ont été pointées depuis longtemps. Plus aiguës ici, plus floues ailleurs, souvent en raison de l'histoire locale ou des hommes (et des femmes) sur le terrain.
Aujourd'hui, sérieusement, qui d'entre nous peut encore croire qu'il y a de la place pour des projets médicaux urbi et orbi ? dans l'hôpital et hors les murs !
Il n'y a de place que pour l'ardente obligation d'équilibre des finances dans un état en faillite avec des citoyens consommateurs de plus en plus désargentés mais aussi désinformés à qui les hommes politiques ne veulent pas tenir un langage de vérité : "nous n'avons plus les moyens de nous payer cette médecine que nous chantons, qui multiplie les exploits et sauve des vies". La vérité que nous connaissons tous c'est qu' il y a de moins en moins de choses réellement tenables dans ce que l'on met en vitrine. On nous raconte une fable ! Merveille d'illusion du story-telling d'un marketing moderne.
Citoyens, on vous offre du vent !
Le système est fou, sans pilote et sans direction. Acteurs de terrain, tous confondus, nous sommes contraint par la demande de la société tout entière de faire de plus en plus de choses à de plus en plus de patients, souvent avec une pression médico-légale de plus en plus forte sans moyens adaptés. Parfait exemple d'injonction paradoxale, perversion quotidienne qui fait souffrir celui qui la subit puisqu'il sait qu'il ne peut pas réussir.
Dans ce domaine de la santé nous vivons dans un univers schizophrène. D'un côté, pour survivre, l'hôpital, comme la ville, doit multiplier frénétiquement les actes et traquer les surcoûts pour faire des économies. Le personnel est regardé comme une charge alors que c'est une richesse. Les cost-killers professionnels et autre qualiticiens sont à l'œuvre comme dans n'importe quelle industrie. De l'autre côté, les caisses de l'état qui permettent de rembourser les dépenses de santé sont à sec, avec une pompe de recettes désamorcée par un niveau d'emploi calamiteux !
En ce qui nous concerne dans les SAMU, je vois, au moins dans ma province, que nous sommes en train de mourir peu à peu sous l'activisme des pompiers qui ont investi massivement le secours à personne par le biais des VLI et des VRM non régulables par le 15, déclenchées par des stationnaires sur des mots-clés galvaudés : effrayant exemple d'usurpation de compétences et de réponse médullaire protocolisée !
Tout est confusion : sauvetage, secourisme, transport et soins d'autant que le message est clair : infirmière = Docteur !
Et puis l'appelant gagne à tous les coups si le 15 refuse le tirage, en donnant un conseil avisé, il gagnera à coup sûr au grattage au 18 ! avec déplacement automatique et transport all inclusive. Comment espérer pouvoir "éduquer" les patients en différant des réponses grâce à une régulation médicale si on maintien ce fonctionnement open bar ! Hélas, face à cette offensive nationale d'un service qui sait cultiver une image médiatique de chevalier blanc (paradoxe !), nous sommes impuissants, divisés et dispersés et sans aucun soutien ni de nos administration, ni des élus, ni du Ministère.
Finalement tous ces patients atterrissent aux urgences venant grossir le flot tumultueux et grondant des malades en quête de médecin surtout la nuit et le week-end. Avez-vous noté comme moi que les malades graves sont de plus en plus souvent "noyés" ( comme en régulation) dans le bruit de fond de ceux porteurs de pathologies bénignes qui, de plus en plus souvent chez nous en tout cas, relèvent d'un généraliste qui a disparu des radars dans ces heures noires de la nuit profonde ou des week-ends surtout prolongés !
Sans oublier que ceux qui ,faute de régulation corticale, sont transportés abusivement, toujours à grand renfort de feu à éclat et parfois de sirènes, ressortent parfois au milieu de la nuit au terme d'une consultation banale. Que peut-on alors proposer à ceux qui sont éloignés de 25 km de leur domicile et qui n'ont aucun moyen de transport pour rentrer chez eux ! Il n'y a pas partout de métro qui ouvre à 5 h ! La RATP n'a pas atteint nos belles provinces !
Repli sur soi, fuite dans d'autres activités ou dans d'autres modes d'exercice, confinement à un rôle d'OS faisant ses heures, comptant ses RTT, les yeux fixés sur le planning et sur la pendule, c'est la tentation de chacun d'entre nous avant de recourir à l'arrêt de travail pour souffler, pour ne parler que de choses mineures.
Heureusement pour certains l'heure de la retraite va sonner ! Mais aussi celle d'être probablement un futur "utilisateur horizontal "du système ! Angoisse !
Dr F. MOUNIOS
La Rochelle